Que mijote en définitive la junte du 18 Août ? Cette question s’imposait déjà avec les mesures et démarches impopulaires et peu rassurantes par lesquelles les pouvoirs de la Transition se montre redoutable depuis son installation : nomination de gouverneurs militaires, substitution du corps préfectoral gréviste par des agents de substitution, violations tous azimuts de la charte de la Transition et de la loi fondamentale par la nomination de représentants de la Nation, etc. Que de dérives propres à alimenter les suspicions somme toute légitimes d’une intention malicieuse de la part d’autorités, qui donnent l’air de poser les jalons d’une prolongation de la Transition par des empiétements intentionnels sur les délais. Comment expliquer autrement le gaspillage des précieux 18 mois dans les tiraillements et échanges d’amabilités avec des syndicats ou encore avec la classe politique sans lesquels l’effectivité des réformes préconisées n’est point envisageable ?
Qui plus est, les signaux de la malveillance sont corroborés, depuis vendredi, par l’instauration de l’état d’urgence à l’issue du conseil des ministres extraordinaire. Longtemps annoncé comme réponse au rejaillissement de la Covid, la mesure est finalement intervenue mais beaucoup moins contre la pandémie qu’au profit du confort tyrannique des pouvoirs en place. En attestent d’abord les incohérences criantes qui entourent la série de restrictions énumérées dans le communiqué du conseil des ministres, puis les tendances liberticides de ses modalités d’application déclinées dans une circulaire du ministre de l’Administration.
En effet, comme tant instrument de lutte contre la Covid, l’état d’urgence pourrait n’avoir que peu d’impacts sur la propagation de cette maladie, à en juger par la partialité de ses contraintes inobservables et inapplicables. Inutile, en effet, d’espérer des succès tangibles contre le Coronavirus avec des moyens de lutte aléatoires et qu’on sait limités ou par des restrictions aussi inopérantes et incomplètes comme la fermeture sélective et temporaire des lieux publics, la limitation partielle des mouvements, etc. En revanche, l’état d’urgence paraît plus efficace dans son instrumentalisation par les autorités de la Transition comme moyen de confiscation des libertés fondamentales. C’est le visage qu’a montré, en tout cas, le ministre de l’Administration Territoriale, à travers une circulaire adressée aux autorités locales en insistant moins sur l’objet de l’Etat d’urgence que sur les opportunités liberticides qu’offrent les dispositions de la loi y afférente. Dans ladite circulaire, gouverneurs, préfets et sous-préfets sont instruits de tirer parti des pouvoirs que leur confère la loi 2017-55 pour infliger des restrictions à l’exercice des droits et libertés. Allusion est faite spécifiquement à l’opportunité qu’ils ont d’assurer le contrôle de la presse ainsi que des médias de toute nature, d’interdire les réunions publiques et privées ou encore de pénétrer le secret des correspondances privés et téléphoniques, entre autres. La loi 2017-55 relative à l’Etat d’urgence autorise certes des restrictions de cet ordre mais avec des nuances ainsi stipulés à son article 13 : « Le décret instituant l’état d’urgence peut par une disposition expresse (…) habiliter l’autorité administrative compétente à prendre toutes les mesures appropriées pour assurer le contrôle de la presse et des publications de toute nature, des réseaux sociaux, ainsi que celui des émissions radiophoniques ou télévisées, des projections cinématographiques et des représentations théâtrales». Alors question : le décret 2020-031/PT-RM sur l’Etat d’urgence comprend-il les dispositions expresses qui soutiendraient les instructions équivoques du ministre ? Quoi qu’il en soit, le glissement d’une lutte anti-Covid à la confiscation de droits et libertés est assez énorme pour ne pas justifier les préjugés et stéréotypes qui pèsent sur le règne des militaires à Koulouba.
A KEÏTA