La population malienne est majoritairement musulmane et tolère la mendicité lorsqu’elle est fondée, c’est-à-dire lorsque le mendiant en face est un talibé ou un homme diminué physiquement et incapable de travailler. Même dans les sociétés rurales sommairement islamisées ou dans les communautés chrétiennes minoritaires, le phénomène n’est pas trop condamné. Mais la ville, sans doute parce qu’elle est plus fortunée que la campagne, est plus large envers les mendiants et plus solidaire que le village qui se cherche, faute de moyens.
Au village, à cause du contexte de pauvreté générale, les gens donnent peu aux mendiants, à tel point que les infirmes, réduits à l’état de mendiants, n’osent pas faire le porte-à-porte pour demander secours et assistance, mais attendent sagement chez eux les bonnes volontés qui veulent bien leur venir en aide. De la sorte, beaucoup d’indigents et d’impotents des campagnes n’ont d’autre solution à leur malheur que de courir vers la grande ville pour y promener leur handicap et avoir droit à une vie décente.
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Les grandes villes sont donc remplies de mendiants professionnels qui encombrent, jours ouvrables comme jours non-ouvrables, les grands boulevards, les devantures des magasins et naturellement celles des mosquées. Il y a même des rond-points qui leur appartiennent et il ne faut pas s’aviser de leur manquer de respect à ces endroits sinon, subitement devenus agressifs, ils vous montrent qui ils sont. D’autant que la loi malienne ne réprime pas la mendicité et que la culture islamique, bien installée en ville, aide le phénomène à y prospérer.
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Mais depuis quelques années est apparue dans nos grandes villes une autre forme de mendicité d’autant plus surprenante qu’elle émane de certains princes d’hier, de gens qui, il y a seulement quelques années, taxaient les mendiants de fainéants et les renvoyaient avec des coups de pied dans le derrière.
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Il s’agit d’anciens fonctionnaires ou même d’officiers de la police ou de la gendarmerie ayant, d’aisance, dansé autrefois sur la lune, mais qui, maintenant rattrapés par le dénuement sont redescendus à terre et, au contact des chaudes réalités de la retraite, ont perdu de leur superbe au point d’accepter de mendier. Il s’agit aussi de tous ces fonctionnaires et conventionnaires qui n’ont pas su préparer leur retraite et qui, cette échéance arrivée, se sont vus obliger de se débrouiller aux dépens de leurs camarades et connaissances.
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Les travailleurs se plaignent aussi de ces belles dames bien mises qui font le tour des grands services, notamment de ceux où l’argent se travaille, avec à la bouche des arguments fallacieux comme le mari en chômage, un enfant malade avec des ordonnances à acheter ou tout simplement la menace de l’expulsion si les loyers en retard ne sont pas payés. Il semble que tous les gens bien habillés, en costume ou en grand boubou bazin, ne sont pas tous des travailleurs en activité et ne vont quotidiennement dans les bureaux que pour indisposer leurs anciens collègues avec leurs demandes incessantes de services. Ce phénomène de mendicité des cols blancs est devenu si rampant que dans les services, dès qu’on voit arriver certains individus, c’est la ruée vers les portes pour se cacher ou pour souffler à la secrétaire qu’on est absent alors qu’on est enfermé là-dedans.
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La vie est devenue si chère que les salaires ne suffisent plus à boucler les mois, à plus forte raison la pension trimestrielle. Même quand celle-ci est devenue mensuelle comme c’est le cas maintenant, les problèmes matériels et financiers des retraités n’ont pas été pour autant résolus dans la mesure où la modicité des pensions de retraite fait que celle-ci est devenue synonyme de misère économique.
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Toutefois, certains travailleurs sont plus exposés à cette mendicité que d’autres. C’est bien connu que les enseignants et les médecins, jusqu’à une date récente, n’avaient pas de problèmes dans la retraite, n’ayant eu à gérer que leur seul salaire dans toute leur carrière. Mais, les travailleurs des grands services liés aux finances comme la douane ou les impôts, quand ils vont à la retraite, ne peuvent plus soutenir leur ancien train de vie et sont obligés de se rabattre sur la solidarité des anciens collègues qu’ils rançonnent systématiquement. Dans cette situation économique dramatique, certains perdent tout, même les jolies femmes conquises avec l’argent facile et qui ne s’attendaient pas à cette dèche. D’autres aussi liquident en larmoyant tous les biens précieux acquis à prix d’or : costumes, meubles, engins mécaniques et même les titres fonciers.
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Cette période est rude aussi pour les officiers de la police et de la gendarmerie et de façon générale tous les agents habitués à l’argent facile. Parce que dans un contexte de grande corruption comme le nôtre, certains services permettent au travailleur de s’enrichir facilement et rapidement. Il en va aussi de tous les corps habillés dont les agents bénéficient de revenus hors salaire pouvant tripler, voire quadrupler, leur traitement mensuel.
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En définitive, la bonne santé socio-économique d’un pays se voit aussi au train de vie de ses retraités ; lorsque ceux-ci sont quasiment transformés en néo-mendiants, le pays n’est pas écroulé, mais il se tient mal sur ses jambes.
rnFacoh Donki Diarra“