La déperdition scolaire des jeunes filles reste une préoccupation majeure au Mali. Il ressort de l’Enquête Modulaire et Permanente auprès des ménages (EMOP, 2019/2020) que 9,7% des jeunes filles abandonnent l’école pour des raisons imputables aux mariages et grossesses précoces. C’est ainsi que nous avions pu mener des recherches pour en savoir plus auprès des responsables de l’Observatoire National du Dividende Démographique (ONDD) qui a pour mission, entre autres, de conduire des études et recherches dans le domaine de l’économie générationnelle et des questions de population au Mali.
Notre enquête s’est donnée comme objectif d’analyser les effets des mariages et des grossesses précoces sur la scolarisation des adolescentes. Elle a consisté des obstacles à l’achèvement scolaire des adolescentes, en mettant un accent particulier sur les mariages d’enfants et les grossesses précoces. Les résultats auxquels nous avons obtenu montrent que parmi les indicateurs analysés, ce sont la taille du ménage et le mariage d’enfants à travers la cohabitation précoce de la jeune fille avec son mari qui agissent négativement sur la probabilité d’achèvement jusqu’au niveau secondaire des adolescentes. Par contre, le niveau de vie du ménage et le niveau d’éducation du mari ont des effets positifs significatifs sur les chances d’achèvement scolaire jusqu’au niveau secondaire des adolescentes.
Selon les données de l’Enquête Modulaire et Permanente auprès des ménages (EMOP) réalisée en 2020, les mariages/grossesses précoces sont responsables des abandons/échecs scolaires pour 9,7% des jeunes filles dont 5,2% dans le milieu rural. Le rapport de l’UNICEF (2015) basé sur l’enquête MICS (2010) avait estimé la prévalence des mariages d’enfants pour environ 55% des filles de moins de18 ans et 15% pour celles de moins de 15 ans. Les analyses récentes de l’enquête démographique et de santé (2018), révèlent que 18% des femmes âgées entre 25 et 49 ans étaient déjà en union avant d’atteindre l’âge de 15 ans révolu et 53% l’étaient avant d’atteindre 18 ans alors que cet âge correspond à celui du cursus de l’enseignement secondaire.
D’autres études ont par ailleurs révélé que la prévalence des mariages d’enfants est plus élevée dans les pays à faible taux d’alphabétisation. Selon, l’UNICEF les adolescentes privées d’éducation sont plus touchées par les mariages d’enfants que les filles ayant reçu une éducation complète ou avec peu d’éducation. Elles sont six fois plus exposées aux risques d’être mariées avant l’âge adulte que celles qui ont reçu une éducation complète jusqu’au secondaire. Cependant, la fréquentation de l’école permet de retarder et, à terme, de prévenir le mariage précoce de l’adolescente car l’accès à l’école exerce une influence de protection sur la fille scolarisée. Ainsi, lorsqu’une fille va à l’école, son entourage a plus tendance à la considérer comme une enfant que comme une femme prête à devenir épouse mère.
Par ailleurs, les adolescentes mariées ont généralement tendance à produire des résultats médiocres et abandonnent généralement l’école aussitôt mariée. A l’inverse, les résultats scolaires de la fille adolescente peuvent aussi influencer son mariage précoce.
En effet, plus les résultats scolaires de la jeune fille sont médiocres, plus la probabilité qu’elle se marie à un jeune âge est élevée.
Selon les résultats de l’EMOP 2018/2019, le mariage/grossesse (17,9%) et l’échec scolaire (15,5 %) expliqueraient l’abandon de nombreux élèves au second cycle fondamental.
En le plaçant sous l’angle socio-culturel, le mariage se présente comme un référent de la considération sociale de l’individu et lorsqu’il n’est pas accompli, conduit à la déconsidération de celui-ci. Cependant, parmi les modalités d’accomplissement du mariage, les formes précoces et forcées continuent d’occuper une place de choix au détriment de l’éducation, notamment pour les jeunes filles. De ce point de vue il apparait aujourd’hui comme un acte social, un processus de socialisation auquel l’individu est soumis et doit se soumettre.
Quant aux liens entre les grossesses précoces et la scolarisation, elles continuent de faire aussi l’objet de recherches, notamment en Afrique Subsaharienne. Les grossesses précoces apparaissent dans plusieurs études comme étant une cause principale des abandons scolaires chez les adolescentes.
En effet, les récentes politiques sociales et d’aides aux jeunes femmes, dans leurs applications font diminuer considérablement les effets négatifs des grossesses précoces sur la scolarisation des adolescentes. Cependant, certaines jeunes filles par suite de grossesse peuvent manquer de motivation pour continuer la vie scolaire, les mères adolescentes n’étant que très peu préoccupées par leur scolarité à la faveur de leurs maternités. Les grossesses précoces confèrent à cet effet aux adolescentes une nouvelle responsabilité à l’endroit de l’enfant qui naîtra. Elle pourra entrainer chez elles un bouleversement de leur vie sociale autant que scolaire. Ainsi, ces jeunes filles ne se sentent plus à leur place à l’école, et sont poussées à s’éloigner du système scolaire, persuadées qu’on n’aura pas cru en leur capacité à concilier les devoirs de mère et la vie scolaires. Selon l’Enquête démographique et de santé au Mali (2012-2013), les femmes qui n’ont aucun niveau d’instruction ont en moyenne 2,5 enfants de plus que celles qui ont un niveau secondaire ou plus ; près de deux adolescentes sur cinq (39 %) ont déjà commencé leur vie reproductive et 33 % ont eu au moins un enfant surtout lorsqu’elle contracte une grossesse aussitôt.
En effet, il ressort que les grossesses précoces sont généralement associées aux mariages d’enfants et qui, d’ailleurs sont d’une ampleur importante dans le milieu rural qu’urbain (Gueye et al, 2001).
En conclusion, cette analyse fait ressortir principalement un effet négatif et significatif du mariage des adolescentes sur leur achèvement scolaire enfant. La cohabitation précoce de la jeune fille avec son mari ressort comme un obstacle à l’atteinte d’une scolarisation complète des adolescentes. Ce résultat corrobore ceux des études antérieures sur les facteurs déterminants de la scolarisation, ainsi que les motifs des abandons et échecs scolaires des adolescentes. Il est révélé que les mariages d’enfants à travers les exigences du foyer représente un obstacle à la réussite scolaire des filles au regard des contraintes liées aux tâches domestiques difficiles à concilier avec les obligations scolaires. Nous sommes ainsi arrivés à la conclusion que chaque année de mariage d’enfant pour une adolescente renvoie à une réduction de la probabilité d’achèvement du cycle secondaire de quatre à dix points de pourcentage même s’il n’a pas été précisé dans quelle proportion, il y a eu cohabitation.
Quant aux grossesses, elles ne se sont pas révélées significatives pour l’atteinte d’une scolarisation complète. Ce résultat est cohérent avec ceux de l’EMOP 2019/2020 qui montrent que les grossesses précoces ne représentaient que 1% des motifs évoqués par les adolescentes pour les échecs et abandons scolaires. Les mesures adoptées par le système éducatif du Mali pour les cas de grossesses expliqueraient ce résultat. En effet, les politiques éducatives pour la scolarisation et le maintien des filles à l’école plaident pour l’ajournement au lieu d’une exclusion en cas de grossesse. Cette mesure est de nature à atténuer les effets des grossesses sur l’atteinte d’une scolarisation complète des jeunes filles.
Bokoum Abdoul Momini/maliweb.net