Beaucoup de femmes de nos jours ne semblent plus en mesure d’entretenir l’enfant d’une autre.
L’adoption est une réalité culturelle qui existe dans de notre société depuis la nuit des temps. L”adoption de l”enfant d”un parent, d”un ami ou d’une coépouse est l”un des traits caractéristiques de la vie familiale de notre société. C”est ainsi que des enfants grandissent parfois sans savoir qu”ils ne sont pas les vrais fils ou les vraies filles de ceux qui les élèvent.
Les communautés maliennes ont inventé cette pratique pour raffermir davantage les liens parentaux et resserrer un peu plus les relations entre les membres de la même famille. Mais il arrive souvent qu”il y ait incompatibilité d”humeur entre les "parents" et la fille ou le fils adoptif. Dans ce cas, si l”enfant ne se révèle pas trop rebelle, les "parents" s”avèrent être des négriers qui n”hésitent pas à le transformer en une bête de somme taillable et corvéable à merci. Et Dieu seul sait les problèmes psychologiques et matériels qui jalonnent la vie de ses enfants.
Des exemples d’adoption traditionnelle. Adopter un enfant, c’est le prendre pour son fils ou sa fille, et créer un lien de filiation qui devient progressivement indéfectible. Dans la société traditionnelle, cette pratique avait un sens très profond. Il témoignait la stabilité et la solidité des liens de parenté, d’amitié, de fraternité mais aussi de grande solidarité.
Mamadou Kontao est aujourd’hui septuagénaire. Il a été adopté par une tante maternelle qui n’a pas connu la joie d’enfanter. "Dès ma naissance, on m’a offert à ma tante. J’ai dépassé mes vingt ans sans connaître la vérité. Jusqu’à présent je ne me reconnais pas deux mères. C’est la seule et l’unique mère que j’ai". Le vieux Kontao, estime que donner son enfant à un parent est un geste de solidarité, d’amour qui n’a pas d”équivalent dans les gestes de manifestation d’estime ou d’affection entre parents. Ce don de soi n’a pas de prix. En effet tu donne une partie de soi à la personne. L’enfant est le bien de plus cher qui puisse exister sur cette terre.
Malheureusement, les mamans d’avant et celles d’aujourd’hui ne se ressemble guère, beaucoup de chose ont changé. Les mamans ne sont plus les mêmes. Les mères poules des décennies d’avant les indépendances des pays africains ou d’après sont entrées dans des légendes. Leurs vies modèles sont racontées comme des contes dans les grandes familles disloquées d’aujourd’hui. Ces récits n’émeuvent ni les mères « modernes » de notre époque ni les enfants.
Et pourtant la voie africaine de l’adoption a fait ses preuves de réussite dans l’éducation morale des enfants d’autrui. Les exemples de complicités indestructibles sont encore visibles à Bamako. Ainsi Mme Mariam Fofana a été confiée à la coépouse de sa mère. Elle ne le regrette pas."J’ai été adoptée par ma marâtre qui n’avait pas eu de filles. Elle m’a éduqué comme la sienne. Je n’ai jamais manqué de rien. Même quand, elle se bagarre avec ma mère génitrice, je me range toujours de son côté. Je ne sais pas si je pouvais avoir mieux", explique Mme Mariam Fofana. Cette femme reconnaissante pense que tout dépend des conditions dans lesquelles les enfants sont adoptés. Elle explique qu’autrefois l’adoption à la manière traditionnelle servait à raffermir les liens amicaux et parentaux. Mariam ajoute que "quelqu’un qui t’a donné son enfant’ a tout donné. Tu peux jamais faire de mal à cette personne".
La belle aventure de l’octogénaire Fatoumata Diop mérite d’être connue. Elle a été adoptée à Dakar par un ami de son père. Après l’éclatement de la fédération de l’Afrique Occidentale Française (A.O.F), son père adoptif ressortissant du Sénégal fut obligé de l’adopter légalement. Il lui fit faire changer d’acte de naissance pour bénéficier des avantages de ce pays. Quand Fatoumata a eu l’âge de se marier, ce père adoptif lui a offert tout ce qu’un père peut donner à sa fille. Aujourd’hui, à 89 ans, Mme Diop se sent plus proche de ses parents, de ses frères et sœurs adoptifs. "Ils me connaissent mieux et me comprennent mieux. C’est très naturel ça"conclut-elle.
Un enfant "qui n”est même pas le sien". La belle époque de l’adoption traditionnelle africaine semble révolue. Tout a changé. Ni les parents, ni les enfants ne respectent les règles traditionnelles de l’adoption. L”être humain étant ce qu”il est, l”expérience n”est pas toujours positive de nos jours. La relation peut être très peu filiale entre les "parents" et l”enfant adoptif. Les "parents" peuvent s”avérer odieux, se comporter comme des négriers. Ils transforment alors le mioche en bête de somme taillable et corvéable à merci. Paradoxalement les femmes méchantes envers les enfants adoptifs et les pères de famille aveugles à ces maltraitances qui se déroulent sous leur toit, font preuve d”un laxisme coupable à l”égard de leurs propres enfants. Ceux-ci passent le plus clair de leur temps à flemmarder ou à faire les « 400 coups ».
Les filles adoptives sont alors traitées pire que des servantes. Elles sont obligées de faire la vaisselle et la lessive de toute la maisonnée. Elles sont chargées aussi de garder les enfants en bas âge. Les garçons deviennent des domestiques. Ils lavent les voitures, coupent les fleurs. Bref, ils sont affectés à toutes les corvées. Coups et injures ne sont pas rares dans ces contextes dégradés.
Aujourd”hui, la plupart des jeunes victimes de "l”adoption" sont des élèves. Ils sont contraints de quitter leurs parents à la campagne pour poursuivre leurs études en ville. Ils atterrissent généralement chez un oncle, une tante, un ami du père, une cousine de la mère, un frère d”un ami de l”oncle. La vie étant maintenant plus dure dans la grande ville, la possibilité d”être maltraité est plus grande que par le passé. La situation devient alors intenable pour l”adopté. Il abandonne ses études, quitte sa famille d”accueil. Peu de ces jeunes retournent au village. Nombreux en revanche sont ceux qui finissent dans la rue et grossissent les rangs des délinquants urbains. Parfois, la famille d”accueil se montre correcte. Elle fait ce qu”elle peut pour un enfant adoptif qui se révèle proprement "ingérable". Ébloui par les mirages de la ville, l”adolescent peut perdre de vue le droit chemin. La famille d’accueil est souvent lassée des incartades d”un enfant "qui n”est même pas le sien". Elle l”abandonne alors à son destin.
Les enfants de ma coépouse. La vie des couples polygames à Bamako génère tous les jours des faits divers extraordinaires. Les défis que les coépouses se lancent sont titanesques et alimentent à souhait la douce haine la plus durable possible. Certaines guerrières entretiennent des "grins" de courtisanes chez elles à vocation de suppléer au bon moment à l”imagination défaillante de "l”épouse -lumière". Le quotidien se nourrit d”injures, de moqueries, d’ironies, de corps -à -corps à l”issue parfois fatale. Ces antipathies volontairement suscitées et entretenues engendrent la désunion du tissu familial. Malheurs aux enfants qui perdent leurs mères dans les familles polygames de Bamako.
Les enfants de la défunte deviennent des employées de maison. Ils souffrent la plupart du temps dans le plus total anonymat de la méchanceté des maîtresses de maison. Cette attitude fort répandue, s”inscrit pourtant en porte-à-faux de la culture d”un pays qui professe que "la meilleure preuve d”amour d”une femme envers ses propres enfants, c”est d”aimer les enfants d”autrui comme les siens". Combien de mères passent outre cette recommandation séculaire en exploitant, jusqu”à la moelle des os, de pauvres filles dont le seul tort est d”avoir perdu leurs mères dans une famille polygame. Certaines "marâtres sont insensibles. Elles imposent un calvaire aux enfants d’autrui. Ceux-ci tentent, par un travail acharné, d”échapper à la misère, à la mendicité et la prostitution. Certaines mégères traitent les enfants d’autrui comme des esclaves. Elles triment sans relâche sous les coups de gueule, les injures, le fouet ou la taloche de "madame" au grand dam du père de famille, parfois impuissant. Pendant ce temps, ces femmes, exigeantes jusqu”à la mesquinerie avec autrui, affichent une faiblesse coupable envers leurs propres enfants. Elles pardonnent leur fainéantise, cèdent à leur moindre caprice. Elles leur abandonnent sans aucune précaution la voiture du père de famille ou la leur. Elles ferment pudiquement les yeux sur leurs incessantes escapades en boîtes de nuit.
Mais "Dieu ne dort pas" disent les croyants. Ils ajoutent qu”Il veille sur ce qu”il y a dans l”œuf et sur les plumes de la poule qui le couve. Que de problèmes ramènent quotidiennement à la maison les enfants gâtés ! Leurs nuisances n”ont rien de comparable avec une sauce brûlée par la fille de la défunte coépouse ou un drap déchiré pendant la lessive.
Le réarmement moral des mères adoptives sévères est toujours possible. Les maliennes peuvent rivaliser dans une saine émulation à restaurer la belle époque et l’esprit des merveilleuses mères poules d‘antan. Qu’au fronton de chaque foyer bamakois brille le précepte suivant : « l’épouse modèle est celle qui traite les enfants d”autrui et les siens sur le même pied d’égalité ».
Doussou Djiré
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