Le Mali est une vieille terre d’Islam, mais une toute jeune démocratie en construction. Alors ne faudrait-il pas de la mesure dans les comportements ?
L’Islam au Mali est multiforme et varié, traversé par des courants divers qui cohabitent harmonieusement dans le respect mutuel. L’Islam au Mali a engendré de nombreux saints et de nombreux érudits qui ont beaucoup contribué à l’enracinement et au rayonnement de la religion de Mahomet à travers l’Afrique. Nous ne citerons pas ici tous ces grands hommes de peur d’en oublier, mais nous mentionnerons cependant celui qui vient de nous quitter, il y a juste quelques jours : Guidjo Almami de Ségou, un homme de bien qui s’est consacré à Dieu et à sa dévotion, qui n’a composé avec aucun prince, qui n’a jamais parlé de politique, qui n’a réclamé ni ne s’est arrogé aucun privilège de quelque sorte d’aucun régime. En cela l’Imam de Guidjo a suivi la voie de ses prédécesseurs et aînés qui, depuis le Soudan français, au plus fort de la lutte d’indépendance, se sont tenus à l’écart de l’arène politique, préférant devant le colonisateur adopter la stratégie de la résistance passive. Après l’indépendance, la neutralité a généralement été de mise de la part des leaders religieux ; si ça et là certains ont cru devoir intervenir, ce n’était qu’au profit de gens ou de groupe de gens qu’ils estimaient lésés par le pouvoir, ou quand des grands sujets de société étaient en débat comme le code de la famille.
Depuis le 22 mars 2012, cette neutralité si indispensable et salutaire pour la paix sociale est mise à mal par des leaders religieux pensant plus à leurs personnes, voulant se forger un destin national autre que celui de serviteur de Dieu, en plongeant dans le marigot politique. La transition a suscité des vocations dans la sphère religieuse musulmane plus précisément, vocations de faiseurs de rois ou pourquoi pas de rois tout court car l’appétit vient en mangeant !
Nous les avons vus au lendemain du 22 mars 2012 sur les antennes, nous les avons vus le 12 août 2012 et surtout entendus déclarer au stade du 26 mars ce jour :
– ” demandons aux imams et chefs religieux de prêcher les caractéristiques d’un bon dirigeant pour qui un musulman doit voter ”
– ” demandons à la communauté musulmane du Mali de rester mobilisée et soudée et de ne ménager aucun effort pour parler d’une seule voix afin de doter le Mali de gouvernants dignes de gouverner avec honnêteté et responsabilité “.
Nous les avons vus, il y a un mois, organisé avec des partis politiques une marche contre l’intervention de la CEDEAO au Nord du Mali, au lieu de marcher contre les pratiques barbares des islamistes qui amputent, tuent, volent et violent au nom de Dieu.
Nous les avons enfin vus et entendus le 26 novembre 2012 devant le stade Modibo Kéïta, parler d’anciens, de nouveaux, de création de parti politique, etc.
Nous tenons cependant, pour l’histoire, à leur adresser les mises en garde suivantes pour la sauvegarde de la concorde, de la paix et de la cohésion nationales :
– Qu’ils gardent le Coran et la chapelet dans l’enceinte qu’ils ne doivent jamais quitter, la mosquée.
– Qu’ils laissent les croyants venir à la mosquée et non le contraire.
– Qu’ils suivent les pas de leurs aînés en restant des aiguilles pour coudre le tissu social et non pour le piquer ou le déchirer.
– Qu’ils évitent à notre si exemplaire pratique religieuse les affres de l’arène politique où tous les coups et tous les vices sont permis : la corruption, la compromission, la trahison, le mensonge, le cynisme et nous en passons. L’Islam en est aux antipodes.
– Qu’ils évitent au Mali les conséquences insoupçonnables d’une guerre de religion par le biais de la politique car chez nous l’Islam comprend plusieurs courants et obédiences dont les agités aujourd’hui sont ultra minoritaires.
– Qu’ils sachent que jamais, au grand jamais, dans ce pays béni, aucun imam, aucun guide spirituel, aucun héritier de quelque saint que ce soit ne pourra dicter aux citoyens maliens leurs choix démocratiques dans une république laïque et multiconfessionnelle.
– Que chacun reste à sa place, l’arbitre ne peut pas prendre part au jeu.
– Dieu l’inégalé, l’inégalable, quand tu appelles les fidèles à venir écouter sa parole et l’exalter, ils accourront par hordes ; si tu transmets sa parole, ils en boiront les mots; si tu t’avises à te substituer à lui, à vouloir te faire adorer à sa place, te faire écouter à sa place, les fidèles te cloueront au pilori tôt ou tard!
– Dès qu’un guide spirituel, un imam ou un prêcheur plonge dans l’arène politique, la fosse aux lions devrait-on dire, il devient un citoyen ordinaire : il sera critiqué, insulté, vilipendé, sa vie privée sera passée au crible, il sera traîné dans la boue, ce que tout le monde savait mais taisait sera dévoilé, il ne pourra plus se prévaloir d’aucune immunité. Que cela soit bien clair. A bon entendeur salut !
Dugufana