Emploi des sourds et malentendants au Mali : La double discrimination

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Les sourds se disent discriminés au concours de la fonction publique qui réserve 15 % des places aux personnes en situation de handicap en application de la loi 027 du 12 juin 2018. Faute de système éducatif adapté, de formations diplômantes, il n’est pas facile pour eux-mêmes, les diplômés, d’avoir des stages ou des emplois. Le problème est lié à « la difficulté de communiquer ». Un déphasage entre les textes juridiques et les pratiques !

 « La loi malienne dit que nous naissons égaux en droits et en dignité. Pourtant nous les sourds, n’avons pas le même droit que les autres Maliens. Seulement 5/100 des sourds sont diplômés. Ceux qui malgré les difficultés ont eu leur diplôme, ne trouvent pas de travail ou même un lieu de stage. « Quand tu pars demander un stage étant   malentendants ou sourds, on ne va jamais t’embaucher au motif qu’ils ne vont pas pouvoir communiquer avec toi », déplore Rokiatou Abdoul Maïga, malentendante détentrice d’une Licence en Assurance-Banques-finances et d’un Master en Logistique Transport – Commerce international.

Cette amertume est partagée par beaucoup d’autres personnes, qui comme elle,  sont malentendantes ou sourdes. Famory Konaté, Président de l’Association Malienne des Sourds (Amasourd), abonde dans le même sens. A ses dires, les personnes sourdes sont « les dernières employées dans les services et les premières congédiées à cause des difficultés de communication ».

En 2018, le Mali a adopté une loi relative aux droits des personnes vivant avec un handicap, la loi n° 2018-027 du 12 juin 2018 et le décret n°2021 -0662/PT –RM du 25 septembre 2021 fixant ses modalités d’application. L’article 26 de cette loi précise que « les personnes vivant avec un handicap justifiant d’une formation professionnelle, bénéficient de mesures spécifiques de recrutement et de rémunération aux emplois publics et privés lorsque l’occupation de l’emploi et leur état sont compatibles. Et, sur la base de l’égalité des droits à chaque recrutement à la fonction publique de l’Etat et des collectivités, un quota de 15% est accordé aux personnes vivant avec un handicap ».

Si la loi précise la qualification, il n’en demeure pas moins que la formation professionnelle des personnes sourdes reste problématique.

« Les difficultés d’accès à un emploi décent des personnes sourdes sont dues à leur faible niveau d’étude qui s’arrête au DEF ainsi que la non possibilité pour elles d’accéder à des formations qualifiantes sans compter qu’à cause de la pauvreté certains parents abandonnent l’éducation de leurs enfants », explique Moussa Keïta, président de l’Association Malienne des Interprètes en Langue de Signes ( AMILS). 

« L’obstacle à l’éducation, la formation qualifiante des personnes sourdes se résume au manque de cadre scolaire adapté avec la présence de formateurs initiés en langues de signes ou celle d’interprètes en langue de signes pouvant faciliter l’apprentissage des élèves sourds », fait savoir le président de l’AMASOURDS. Selon lui, il faut l’application intégrale de la Convention internationale des droits des personnes handicapées et l’application intégrale de la loi nationale 027 du 12 juin 2018 pour faciliter l’emploi des sourds. « Nous devons penser à l’introduction de la langue des signes dans les écoles comme langue maternelle des personnes sourdes. Également, renforcer la pédagogique des écoles pour personnes sourdes à travers l’instauration d’une cellule de formation des enseignants des écoles spéciales dans les IFM (Instituts de Formation des Maîtres) afin de permettre aux élèves sourds de poursuivre des études supérieures en plus d’introduire dans la formation qualifiante dans leur parcours », soutient-il.

 Quand bien même des personnes sourdes parviennent à obtenir leur qualification, il n’en demeure pas moins que leur accès à l’emploi reste difficile, selon certains témoignages.

 Ignorance coupable

« J’ai été embauchée pour un stage en 2019. Ma patronne disait que le mieux était que je reste à la maison et qu’on allait me faire appel lorsqu’il y aura du travail. Le stage avait une durée de 3 mois mais je ne me suis rendue au service que 3 fois. N’est-ce pas une discrimination ? », s’interroge témoigne Rokiatou Abdoul Maïga, diplômée et membre de l’Association malienne des sourds. Ses propos sont soutenus par Moussa Kéïta : « la défaillance auditive est l’obstacle majeur dans l’accès à l’emploi des personnes sourdes vu que 80% des chefs d’entreprises ou PME ont une faible connaissance sur le handicap de manière générale et spécifiquement la surdité. Ces personnes font l’amalgame entre le handicap et la maladie. Elles croient qu’en recrutant une personne handicapée, ce serait une charge supplémentaire. 95% des chefs d’entreprises ne savent pas comment communiquer avec une personne sourde d’où la méfiance à les recruter ».

 Sur les 5.325 sourds et malentendants actifs recensés par l’Association Malienne des Sourds (Amasourd), seulement 2% sont dans la fonction publique contre 80% dans le secteur informel. L’Amasourd se dit lésée dans l’attribution et l’application du quota des 15% accordé aux personnes vivant avec un handicap dans les concours de la fonction publique et des  Collectivités. « Le problème se pose toujours au sein de la Fédération des personnes handicapées où la primauté est accordée à certaines catégories de handicap. En matière d’emploi, les sourds sont les derniers embauchés et les premiers congédiés à cause des difficultés de communication. Nous voulons l’attribution d’un quota aux diplômés sourds », explique le président Konaté de l’ Amasourd, estimant que leur situation requiert un traitement particulier vu leur difficile accès au système éducatif.

Il est soutenu dans ses propos par Mme Maïga : « cette question de quota, me fait rire, pourquoi ? Sur 50 handicapés intégrés à la fonction publique, tu ne verras qu’une seule ou 2 personnes sourdes ou malentendantes ». Si des personnes sourdes crient à une double discrimination pour leur intégration dans le monde du travail, le président du Collectif des Handicapés diplômés et non diplômés au Mali, Sidy Mohamed Coulibaly, pour sa part rassure et déclare que des réflexions sont menées au sein de la Fédération Malienne des Associations de Personnes Handicapées (FEMAPH) sur la situation de l’employabilité des personnes sourdes.

La Constitution du Mali dans ses articles 10 et 11, reconnaît l’éducation, la formation, le travail, l’instruction comme des droits pour chaque citoyen sans aucune distinction. De plus, la loi interdit d’écarter une personne ou un groupe de l’accès aux différents types d’enseignement ou de les limiter à un niveau inférieur d’éducation. Dans le Programme décennal de développement de l’éducation et de la formation professionnelle deuxième génération (PRODEC 2), il est bien précisé que l’éducation doit être inclusive avec un accès équitable à une éducation de qualité pour tous. Et la loi n° 2018-027 du 12 juin 2018 relative aux droits des personnes vivant avec un handicap parle des droits des handicapés lors des recrutements dans les services publics et privés, de l’accès à la fonction publique et des Collectivités.

Khadydiatou SANOGO, Ce reportage est publié avec le soutien de JDH, Journalistes pour les Droits Humains et National Endowment for Democracy- NED

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