La vague de revendications féministes qui a secoué le monde à partir des années mille neuf cent soixante-dix, s’est attelée à courir derrière l’égalité des sexes, dans une espèce de challenge à relever. Et la femme s’est vue affublée d’attributs du genre « dame de fer » dès l’instant où elle bousculait l’homme sur le terrain de la fermeté, voire de la force musclée ou même de l’apparence physique, jusqu’à le reléguer dans l’arrière cour d’une émasculation pitoyable et de faire de son pouvoir un infra pouvoir.
Tous ces mouvements atteignirent l’Afrique à travers sa frange intellectuelle formée à l’école occidentale. Un coagulant unit désormais toutes les femmes : le combat pour la libération des chaînes de l’oppression du mâle, brutalement apparu sur la scène comme l’ennemi historique à abattre. Les différences sont gommées. La femme cesse d’être plurielle ; elle devient un être collectif planétaire ; elle est une partout dans le monde, parle le même langage de solidarité transfrontalière, transcontinentale, transculturelle. La femme africaine subit, sans s’en rendre compte, déjà les contrecoups de la mondialisation. Vive l’ouverture !
L’allègement des tâches domestiques est devenu un secteur de revendication.
Le développement de la technologie, mettant à la disposition des femmes l’équipement moderne, a assurément été une révolution, contribuant à leur soulagement.
L’effritement et l’atomisation des familles ont accusé cette tendance à l’allègement. Qui plus est, le féminisme a inscrit dans son agenda le partage des responsabilités domestiques avec les hommes qui voient ainsi leur rôle se déplacer.
Dans le domaine de l’éducation des enfants, en plus des crèches, garderies et jardins d’enfants, tout un arsenal para technologique vient aider les mères et créer un facteur de différenciation sociale : laits dits maternisés, biberon, couches jetables, petits pots, landaus etc. Dans ce domaine-là également, l’éducation et la socialisation des enfants sont revues dans un cadre partenarial voire égalitaire avec l’homme.
De plus, les nounous, ou les « petites bonnes » des bébés, arrivent et élargissent le cercle familial ; elles travaillent elles aussi à plein temps, tandis que Madame vaque à ses préoccupations orientées à remplir sa vie de femme épanouie entre bureaux et autres espaces de travail, salons de coiffure, ateliers de tailleurs, bijouteries, mariages, baptêmes sur les lieux desquels, la rivalité est sans pitié. C’est à qui paraitra le mieux, gratifiera le plus la cohorte des griots et griottes venues chanter les charmes, flatter les égo par le rappel des prestigieux arbres généalogiques. Vive l’allègement, que dis-je ?
Vive la déresponsabilisation et la déresponsabilité !
Mais, si l’intellectuelle africaine s’inscrit dans ce mouvement d’émancipation, la grande majorité de ses sœurs bénéficient peu de ces avancées technologiques.
Par ailleurs, toutes les valeurs dont se parait la femme africaine, se dressent désormais comme autant de facteurs aliénants pour cette nouvelle catégorie de femmes. Plus question de se soumettre au mari. Plus question de s’effacer !
Au contraire, il faut démontrer, publiquement, (si besoin), qu’on le domine. Plus question de se taire, encore moins de souffrir dans le silence. Adieu, bonnes vertus de grand-mère ! Et vive l’Affranchissement !
Cette nouvelle génération de femmes refuse de jouer son rôle de forçat, de pilier et de poubelle. Du coup, elle se trouve dépossédée de son rôle d’épicentre du système social, qui glisse subrepticement vers la petite bonne de la maison.
Les relations belle-mère/belle-fille prennent un autre tournant. Elles deviennent conflictuelles. Ennemie publique numéro un, les démêlés avec la « méchante belle-mère » agrémentent désormais les causeries de salon de la jeune femme émancipée, à telle enseigne que les relations belle-mère/belle-fille sont en train de devenir un cliché.
Face au bolide fait femme, les hommes résistent peu aux discours officiels, mais se défendent tant qu’ils le peuvent, au sein de leurs foyers.
La lutte des sexes se substitue à la lutte des classes. Beaucoup de couples se déchirent.
Impréparés à un tel chamboulement, privés de vertus pour y faire face, les hommes perdent tout repère et certains croient trouver le correctif dans les remariages et la polygamie, pour corriger, prétendent-ils le plus souvent, leurs « méchantes femmes. » Mais les « méchantes femmes » s’accumulant, ils accumulent femme sur femme, soucis sur soucis, tracasseries sur tracasseries. Le foyer conjugal se transforme en chaudron de soupe pimentée. L’impréparation des jeunes couples, qui ont dans la plupart des cas, décidé de se marier à la faveur d’une rencontre aux résonnances de coups de foudre, sans se connaître plus amplement, sans que leurs familles se connaissent, accuse l’instabilité familiale si tant est vrai que le mariage, furu, c’est d’abord une affaire de responsabilités et de contraintes sociales dont l’amour kanu, si puissant soit-il, ne peut faire bon marché s’il veut rester solide. S’aimer à deux sans aimer la famille du mari et celle de son épouse, est difficilement gérable. Furu s’oppose bien à kanu dans leur essence.
Quid du rituel du mariage traditionnel, la retraite nuptiale de sept jours, avec le rôle important de la conseillère nuptiale, qui mérite d’être revisité, en tant que vecteur d’éducation et de socialisation du jeune couple et qui a été largué au musée des usages désuets par le féminisme des années 1970 ?
Et pourtant les femmes peuvent ré enchanter le Mali, l’Afrique et le monde.
Les femmes peuvent ré enchanter l’Afrique :
Les discours modernes sur l’émancipation, redevables des systèmes de valeurs importées, ont opacifié le rôle moteur de la femme africaine. Ils ont souvent souffert du délit d’impertinence et de simplicité. Notamment, ils n’ont pas suffisamment pris en compte la réalité de la culture, qui nous le savons, a comme caractéristique majeur l’entêtement et la forte capacité de résistance.
Aujourd’hui, des courants de pensée néo-maternistes, germés aux Etas Unis d’Amérique, propagés ensuite un peu partout en Europe notamment dans les pays scandinaves, prônent le retour à l’image de la femme-mère, femme au foyer, responsable de tout et de tous. Mais, c’est la nature que ces courants (d’essence écolo-morale), replacent au cœur de la responsabilité féminine. La femme du XXIe siècle doit allaiter son bébé pendant de longs mois, travailler à temps partiel, rester à la maison, deux ans s’il le faut, pour couver, chouchouter, pouponner, pomponner, son rejeton. A bas le biberon ! Il existe même des hôpitaux dénommés « Hôpitaux amis du bébé » où l’on impose le « peau à peau ». On n’est pas l’amie de son bébé si on ne l’allaite pas.
Je pense que, face aux séismes qui nous secouent, (au point de nous ébranler dans nos certitudes les plus absolues) les femmes du Mali et d’Afrique peuvent ré enchanter en reconsidérant leur capital de vertus référencées. Je leur propose de le déterrer non pas dans un dessein de retour en arrière, mais de réappropriation.
Ensemble, avec la société entière, elles les reconsidéreront à l’aune des enjeux actuels, car je crois à la fluctuation et à la relativité des valeurs en fonction des défis qui se posent à chaque génération d’hommes. On a beau être fervent défenseur des traditions ancestrales, on ne peut pas clamer dans le contexte d’aujourd’hui que se taire, s’effacer, souffrir dans le silence sont salutaires pour les femmes. Au contraire, je souscris à tout ce qui est défense des droits de la femme, d’abord en en tant qu’Etre humain, ensuite en tant qu’être privé de droits liés à son sexe. Cependant, je dis qu’il y a un esprit en l’air ; on peut le capter, cet esprit, je le sens, dans les vertus du compromis, de la patience, de la tolérance, de la souplesse, de l’humilité.
Il s’agit donc d’un ré appropriation, par les femmes, des valeurs qu’elles ont forgées au bout d’un long processus de socialisation forcé, devenu pli culturel au bout du souffle ; elles en tireront la quintessence, la sève salvatrice aussi bien pour elles-mêmes que pour l’ensemble de la communauté.
L’on ne devra pas perdre non plus de vue que nos sociétés sont traversées par des questions et des questionnements qui se posent ailleurs dans le monde. Connaître au mieux ces questions et les gérer sans mimétisme en tenant compte de nos propres réalités, là réside le défi.
Dores et déjà, nous savons que de nouveaux concepts, élaborés ou en cours d’élaboration, font désormais partie du dictionnaire de la problématique féminine et doivent être assimilés : le concept même de femme qui s’étend désormais à toute personne de sexe féminin, y compris la petite fille. Ce sont aussi, en plus de la promotion de la femme, des concepts d’équité, de parité, d’égalité des genres, d’approche selon le genre, ou encore, d’égalité, de participation, d’implication, de leader et son corollaire leadership, de discrimination positive ou d’autonomisation etc.
En retombant sur nos pieds maliens, le modèle féminin ne devrait-il pas être transfiguré en code de contribution à la renaissance de l’Afrique ? La femme ne devrait-elle pas réhabiliter le sein nourricier auquel tout le monde s’abreuve d’abord, pour apporter plus de bonté, plus de douceur, plus de compassion, plus de sagesse et reprendre en main le pouvoir d’éducatrice, de socialisation de ses enfants qui était le sien et dont sa spoliation a engendré des effets pervers !
Aussi, en jouant avec des artifices qui ont longtemps été les siens, elles revisiteront leur autorité sur leurs enfants et leurs hommes, les propulseront dans un contexte plus pacifié, plus élargi, dépassant le cadre étriqué des familles pour s’ouvrir à la société et au monde. En d’autres termes, le combat des femmes doit être redéfini dans une perspective démocratique qui n’a de but que de tendre vers la dignité et le bien-être de tous, femmes et hommes. Il contribuera, ce combat, à identifier les futurs possibles pour des initiatives citoyennes toujours plus probantes pour le devenir de notre destin collectif.
Pourquoi ne pas également injecter une dose de sacré dans la redéfinition de ce statut de la femme en tant que mère nourricière collective, généreuse ? L’un des effets collatéraux du triomphe de la raison a justement été le gommage du côté sacré qui régulait les relations humaines en Afrique. En effet, c’est parce que les mentalités étaient rituellement ancrées qu’elles ont été môle de résistance. Par exemple, quand une jeune fille se mariait, – c’est d’ailleurs toujours le cas – la femme de caste qui l’amenait dans son foyer conjugal était toujours chargée du message suivant adressé à la belle-mère et à toute la belle famille par les propres parents de la jeune femme : « nous vous confions cette enfant, nous vous demandons de la mettre entre votre chair et votre peau ; elle appartient désormais à votre famille. Nous ne voulons rien savoir la concernant ; toute sa gestion vous échoit, morte ou vivante.»
N’est-ce pas dans ce ressourcement réajusté que nous devrions éduquer nos filles, en insistant également sur les vertus du travail, valeur libératrice, valeur émancipatrice ?
Quant aux hommes, je voudrais leur faire passer le message comme quoi, une relation de couple doit se jouer comme une symphonie dans laquelle le dialogue, la communication occupent une place de choix.
Extrait de l’intervention
De Mme Adame Ba Konaré
Sur la problématique féminine
(Hôtel Radisson le 8 mars 2010)
NDLR : le titre est de la Rédaction.
A vouloir poser la chaume d’une case sur une autre, elle se trouvera grande ou petite sans jamais avoir les mêmes dimensions. L’Afrique malgré la mondialisation a ses réalités propres.
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