Les responsables du bureau d’Amnesty International-Mali étaient face aux hommes de médias le mercredi 22 février 2017 au Mémorial Modibo Keita. C’était pour la publication de leur rapport 2016-2017 sur la situation des droits humains à travers le monde. Ce document établit, pour 2016, le bilan complet de la situation des droits humains dans le monde à travers 159 pays et fait des résumés régionaux. Dans ce document, l’ONG international de défense des droits humains s’alarme de la montée des discours et politiques xénophobes et extrémistes, faisant que des pans entiers de la population, du fait de leur origine, de leur religion, en sont la cible et voient leurs droits fondamentaux bafoués. Le Rapport 2016-2017 souligne aussi les échecs répétés de la communauté internationale à répondre aux crises liées aux conflits et à protéger les populations civiles. Au Mali, les responsables d’Amnesty International se disent préoccupés par la culture de l’impunité.
Ainsi, en Afrique de l’Ouest et du Centre, l’ONG met en lumière les mesures draconiennes et disproportionnées comme les arrestations arbitraires, la détention au secret, la torture, les disparitions forcées et les exécutions extrajudiciaires, prises par les États pour répondre à des craintes, en matière de sécurité.
Pour Amnesty International, dans plusieurs pays, parmi lesquels la Côte d’Ivoire, la Mauritanie et le Nigeria, la répression des manifestations et les lois sanctionnant la dissidence ont confirmé que les États de la région étaient en train de reléguer les droits humains au second plan. Cependant, l’intensification de la répression politique et la multiplication des interdictions visant des manifestations n’ont pas empêché les citoyens de descendre en masse dans la rue pour exprimer leur opinion et faire valoir leurs droits. Ainsi, en Gambie, la terreur et la répression qui ont prévalu pendant des années ont cédé la place à l’espoir et à l’optimisme lorsque des milliers de personnes ont osé se mobiliser et s’exprimer ouvertement après la contestation des résultats d’une élection. »
Une politique de diabolisation à l’origine d’un recul mondial des droits humains
Le rapport souligne qu’en 2016, plusieurs bouleversements politiques ont révélé la capacité des discours de haine à libérer la face la plus sombre de la nature humaine. Si les propos pernicieux tenus par le président Donald Trump durant sa campagne, sont particulièrement emblématiques de la tendance mondiale à défendre des politiques toujours plus «clivantes» et fondées sur la colère, d’autres dirigeants politiques à travers le monde ont comme lui parié sur des discours reposant sur la peur, l’accusation et la division pour remporter le pouvoir. En 2016, certains s’en sont également pris aux réfugiés et aux migrants, des boucs émissaires faciles. Le rapport annuel d’Amnesty International montre que 36 pays ont violé le droit international en renvoyant illégalement des réfugiés dans des pays où leurs droits étaient menacés.
Dans ce contexte mondial sombre, le rapport 2016/2017 montre que des groupes armés qui ont tué et enlevé des centaines de civils en Afrique de l’Ouest, notamment au Mali et en Afrique centrale ont ainsi contraint des millions de personnes à vivre loin de chez elles, dans un climat de peur et d’insécurité.
En 2016, il y avait encore au moins deux millions de personnes déplacées dans le nord du Nigeria.
Au Cameroun, plus de 170 000 personnes, en majorité des femmes et des enfants, ont été déplacées dans toute la région de l’Extrême-Nord, en raison des exactions de Boko Haram.
Au Niger, plus de 300 000 personnes avaient besoin d’aide humanitaire pendant l’état d’urgence déclaré dans la région de Diffa, où la plupart des attaques étaient le fait de Boko Haram. Au Mali, entre décembre 2016 et janvier 2017, environ 2000 personnes se sont déplacées en lien avec l’insécurité dans le nord du pays et des milliers d’autres dans des situations humanitaire préoccupantes.
Un monde qui ferme les yeux sur les atrocités
Amnesty International tient à alerter sur le fait que les crises actuelles seront exacerbées en 2017 par l’absence handicapante de volonté politique en matière de droits humains sur une scène internationale chaotique. En effet, la politique de rejet se manifeste également à l’échelle internationale, où le multilatéralisme cède la place à un ordre mondial plus agressif et plus conflictuel.
Le monde est confronté à une longue liste de crises, sans que l’on constate beaucoup de volonté politique de les résoudre. Il s’agit notamment de la crise en Syrie, au Yémen, en Libye, en Afghanistan, en République centrafricaine, au Burundi, en Irak, et aux deux Soudan. Le rapport annuel d’Amnesty International fait état de crimes de guerre perpétrés dans au moins 23 pays en 2016.
Malgré ces situations critiques, l’indifférence de la communauté internationale aux crimes de guerre est devenue la norme, tandis que le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies reste paralysé par les rivalités entre ses membres permanents.
Quelques avancées dans le domaine de la justice
En 2016, la région Afrique de l’Ouest et du centre a connu quelques avancées dans le domaine de la justice. Ainsi, l’ancien président tchadien Hissène Habré a été condamné à la réclusion à perpétuité pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et torture. La Cour pénale internationale a déclaré Jean-Pierre Bemba, ancien vice-président de la République démocratique du Congo, coupable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis en République centrafricaine. Par ailleurs, la CPI a ouvert le procès de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo, et de son ministre de la Jeunesse, Charles Blé Goudé, tous deux accusés de crimes contre l’humanité. Elle a également déclaré coupable Ahmad Al Faqi Al Mahdi, qui était poursuivi pour des attaques menées contre des mosquées et des mausolées à Tombouctou, au Mali.
En République centrafricaine, l’État a pris des mesures en vue de la création d’un tribunal pénal spécial, composé de juges locaux et étrangers et chargé d’enquêter sur les crimes de droit international perpétrés pendant le conflit, ainsi que d’engager des poursuites contre leurs auteurs présumés.
Quelques cas graves d’atteintes aux droits humains
Amnesty International a recueilli des informations sur de graves atteintes aux droits humains commises en 2016 dans 159 pays. Voici quelques exemples, qui concernent des pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale.
Cameroun : Les autorités et les forces de sécurité ont commis des violations des droits humains dans le cadre de la lutte contre Boko Haram. Des personnes arrêtées arbitrairement ont cette année encore été jugées de manière inéquitable par des tribunaux militaires.
République centrafricaine : La faiblesse du système judiciaire a compromis les efforts visant à amener les auteurs présumés d’atteintes aux droits humains à rendre des comptes.
Côte d’Ivoire : Les autorités ont restreint de façon inacceptable les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique à l’aide de lois érigeant en infraction les manifestations pacifiques, entre autres formes d’expression. La plupart des membres de l’opposition arrêtés arbitrairement ont été détenus dans des véhicules de police en mouvement, une pratique connue sous le nom de « détention mobile », sur plusieurs kilomètres et contraints à regagner leur domicile à pied.
République du Congo : Des opposants politiques ont été placés en détention pour avoir critiqué le déroulement de l’élection présidentielle. Les forces de sécurité ont eu recours à une force excessive et parfois à la torture pour réfréner la dissidence. Une nouvelle loi restreignant encore davantage l’espace dont disposait la société civile a été adoptée.
Guinée équatoriale : Des centaines de personnes, notamment des opposants politiques et des étrangers, ont été arrêtées arbitrairement. Entre février et mai 2016, plus de 250 personnes ont été arrêtées pour avoir assisté à des réunions politiques organisées par des partis de l’opposition. Toutes, hormis quatre, ont été libérées sans inculpation après avoir été maintenues en détention pendant plus d’une semaine.
Guinée: Les forces de sécurité ont mené des manœuvres d’intimidation et de harcèlement et procédé à des arrestations arbitraires visant des personnes qui exprimaient des opinions dissidentes. Des actes de torture et d’autres mauvais traitements ont été signalés. La version révisée du Code pénal a aboli la peine de mort pour les crimes de droit commun.
Mauritanie : Des défenseurs des droits humains et des opposants au gouvernement ont fait l’objet de poursuites motivées par des considérations politiques, les organisations antiesclavagistes étant particulièrement visées.
Nigeria : L’armée et d’autres forces de sécurité ont eu recours à une force excessive contre les manifestants pacifiques pro-Biafra, entraînant la mort d’au moins 100 d’entre eux au cours de l’année.
Sierra Leone : Les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion restaient soumis à des restrictions inadmissibles.
Dieudonné Tembely
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