Durant l’année 2016 et depuis le début de l’année en cours, la situation des droits de l’Homme est accablante au Mali, selon Amnesty International qui vient de publier son rapport à la suite de ceux de Human Watch Right et de l’Amdh. Et pour cause : le conflit armé interne et l’instabilité se sont intensifiés. Des groupes armés se sont rendus coupables d’exactions, tuant notamment des soldats de maintien de la paix. Des membres des forces de sécurité et des forces de maintien de la paix des Nations unies ont eu recours à une force excessive et meurtrière, entre autres contre des manifestants.
L’instabilité s’est étendue depuis le nord jusqu’au centre du pays et un nombre croissant de groupes armés ont mené des attaques. Ainsi, en juillet, 17 soldats ont été tués et 35 autres blessés au cours de l’attaque d’une base militaire dans le centre du Mali. La ville de Kidal, dans le nord du pays, est restée aux mains de groupes armés. La mise en œuvre de l’accord de paix d’Alger, signé en 2015, a été entravée par la prolifération des groupes armés. En juillet, à la suite de plusieurs attaques perpétrées notamment dans le nord et dans la capitale, Bamako, les autorités ont décidé de maintenir l’état d’urgence jusqu’en mars 2017.
En juin, le Conseil de sécurité de l’ONU a prolongé le mandat de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) jusqu’en juin 2017. Plus de 10 000 soldats de maintien de la paix étaient stationnés dans le pays.
En raison du conflit, plus de 135 000 Maliens restaient réfugiés dans les pays voisins.
Exactions perpétrées par des groupes armés
Les attaques de groupes armés contre la MINUSMA se sont multipliées. Plus de 62 attaques ont ainsi été menées durant l’année, tuant 25 membres des forces de maintien de la paix et six civils qui travaillaient pour l’ONU. Des mines terrestres utilisées par les groupes armés ont tué et mutilé des civils ainsi que des membres des forces de maintien de la paix et des forces de sécurité.
En janvier, Béatrice Stockly, une missionnaire suisse, a été enlevée à Tombouctou par Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Elle avait déjà été capturée par ce groupe et gardée en otage durant neuf jours en 2012. Sophie Pétronin, une Française travaillant pour une organisation humanitaire, a été enlevée par AQMI à Gao en décembre.
À la mi-mai, le groupe armé Ansar Eddine a abattu cinq membres tchadiens des forces de maintien de la paix et en a blessé trois autres au cours d’une embuscade à 15 km au nord d’Aguelhok, dans la région de Kidal, à l’est du pays. Plus tard dans le même mois, un membre chinois des forces de maintien de la paix a été tué et d’autres ont été blessés au cours d’une attaque contre un camp de la MINUSMA dans la ville de Gao, dans le nord-est du pays. Cette attaque a été revendiquée par AQMI.
Recours excessif à la force
Des membres des forces de sécurité et des forces de maintien de la paix ont recouru à la force de manière excessive et ont été accusés d’exécutions extrajudiciaires. L’ONU a signalé 24 cas d’homicides, d’exécutions sommaires et de disparitions forcées en mars et en mai. En mai, l’Organisation a annoncé que, parmi les 103 personnes arrêtées en 2016 par les forces maliennes et internationales pour des accusations liées au terrorisme, trois avaient été sommairement exécutées et 12 avaient été torturées par les forces maliennes.
En avril, deux manifestants ont été abattus et quatre autres blessés à l’aéroport de Kidal au cours d’une manifestation contre les arrestations menées par les forces internationales. La MINUSMA a ouvert une enquête.
En juillet, les forces maliennes ont tiré à balles réelles lors d’une marche organisée à Gao par le Mouvement de résistance civile. Mahamane Housseini, Seydou Douka Maiga et Abdoulaye Idrissa ont été tués, et 40 autres personnes blessées.
Impunité
Malgré quelques progrès, peu de mesures ont été prises pour que les victimes du conflit obtiennent justice, vérité et réparations. L’expert indépendant des Nations unies sur la situation des droits de l’homme au Mali a souligné l’absence d’amélioration, en particulier concernant l’accès à une justice digne de ce nom pour les femmes victimes de violences. Les principaux obstacles pointés étaient l’insécurité et le manque de soutien logistique apporté aux magistrats.
En mai, 12 personnes inculpées de faits en lien avec le terrorisme ont été condamnées à des peines de prison. Certaines d’entre elles avaient été libérées au titre de l’accord de paix.
En novembre s’est ouvert le procès du général Haya Amadou Sanogo, jugé pour des charges liées à l’enlèvement et à l’exécution, en 2012, de soldats accusés de soutenir le président renversé, Amadou Toumani Touré1.
La Commission vérité, justice et réconciliation, créée en 2014 pour enquêter sur les graves violations des droits humains commises entre 1960 et 2013, n’était toujours pas opérationnelle fin 2016.
Justice internationale
En septembre, la Cour pénale internationale a condamné Ahmad Al Faqi Al Mahdi à neuf années de prison pour avoir dirigé des attaques contre des bâtiments religieux et des monuments historiques. Membre du groupe armé Ansar Eddine, il avait été inculpé pour son rôle dans la destruction, en 2012, de neuf mausolées et d’une mosquée dans la ville de Tombouctou, dans le nord du pays. Il a plaidé coupable.
Liberté d’expression
En août, Mohamed Youssouf Bathily (dit Ras Bath), un journaliste qui travaillait pour la radio Maliba FM, a été arrêté et inculpé d’atteinte aux mœurs et de propos démobilisateurs de troupes. Il avait critiqué l’armée et réclamé la démission du chef d’état-major. Il a été libéré deux jours plus tard et placé sous contrôle judiciaire. Son émission de radio a été interdite.
Droit à l’éducation
Selon les Nations unies, 296 des 2 380 écoles des régions de Gao, Kidal, Ségou et Tombouctou ont été fermées pour des raisons d’insécurité, sans que des solutions alternatives ne soient proposées. Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes [ONU] a souligné la mauvaise qualité de l’enseignement, liée au grand nombre d’élèves par enseignant, ainsi qu’au manque de manuels scolaires et d’enseignants qualifiés. Il a en outre pointé les disparités existant entre les zones rurales et urbaines en matière de scolarisation. Sept groupes armés ont continué d’occuper des écoles.
Droit à un niveau de vie suffisant
Plus de 33 000 Maliens étaient encore déplacés à l’intérieur du pays en raison du conflit, tandis qu’environ 3 millions de personnes étaient exposées à l’insécurité alimentaire, dont plus de 423 000 à un degré de gravité élevé. Des attaques de convois humanitaires par des groupes armés dans les régions de Gao et de Ménaka ont entravé l’aide, notamment en matière de soins de santé. En juin, à Kidal, un entrepôt où était stockée de la nourriture pour plus de 10 000 personnes a été pillé.
Droits des femmes
En juillet, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes [ONU] a exprimé ses préoccupations quant à la faible représentation des femmes au niveau décisionnel après la signature de l’accord de paix, ainsi qu’au sein de la Commission vérité, justice et réconciliation. Il s’est également inquiété du très faible taux de réussite des filles dans l’enseignement secondaire, entre autres à cause des mariages d’enfants, des grossesses précoces, des coûts indirects de l’éducation, du travail des enfants et du choix d’envoyer plutôt les garçons que les filles à l’école. Le Comité a enjoint au Mali de réformer sa législation afin de mettre un terme à la discrimination envers les femmes et de finaliser le projet de loi visant à interdire les mutilations génitales féminines.
Synthèse de Sékou Tamboura