Le Rapport 2010 de la Commission nationale des droits de l’homme du Mali (CNDH), vient d’être rendu public lors d’une cérémonie dont l’intervenante principale fut Maître Kadidia Sangaré Coulibaly, Présidente de cette structure. Entre autres sujets abordés, celui, lancinant dans notre pays, de la corruption. Nous vous proposons des extraits du chapitre qui lui est consacré.
La pratique de la corruption n’est pas un fait isolé au Mali, elle tend de plus en plus à se généraliser. Le phénomène est, dit-on aujourd’hui, systématique. Les acteurs de la corruption se rencontrent dans toutes les structures publiques, parapubliques et privées .Ils sont présents à toutes les échelles des institutions et structures et dans toutes les catégories socioprofessionnelles.
Toutefois la corruption est plus visible chez les uns que chez les autres. L’occasion faisant le larron, il s’agit, entre autres, des corps particulièrement exposés à la corruption que: – La justice; – L’éducation; – La santé; – La politique; – Les administrations fiscales et économiques; – Les institutions privées (banques, entreprises privées, etc.…); – Les institutions d’aide au développement (agences, ONG nationales et internationales); – Les institutions financières; – Les services de répression (polices, douanes, gendarmerie, garde, eaux et forêts); – Les services de contrôle (impôts, affaires économiques, inspections etc.…); – Les organisations paysannes (AV, Fédération paysannes coopératives);
Ses causes sont socioculturelles: – La baisse des valeurs morales et sociales (fuite des consciences devant le vol et le mensonge qui sont devenus la règle; méconnaissance des textes régissant les secteurs par même des intellectuels); économiques: insuffisance de traitement et de pension des retraites des travailleurs (après la retraite, le fonctionnaire malien meurt plus du chagrin de ses charges familiales que de la maladie) – des arrêtés ministériels sont pris pour évacuer et/ou rentabiliser des opérations privées (exemple du port du casque institue pour évacuer le stock de casques chez un particulier, ou celui de demander le changement des plaques d’immatriculation de véhicules et engins en un modèle dont seul un particulier est en mesure d’offrir les services exiges); dues à un environnement international favorable: les phénomènes de mondialisation, de globalisation et de libéralisation, mal compris et mal appliques profitent à une catégorie d’operateurs qui ont la main totalement libre pour mener certaines opérations, les autres se réduisant a la sous- traitante plutôt qu’à la concurrence; ou au trafic international (la porosité des frontières profite aux malfaiteurs à cause de la déréglementation des systèmes de contrôles étatiques et transfrontaliers).
Ses causes sont aussi juridiques et administratives: pressions sociales et politiques sur les juges (intermédiations intempestives); clientélisme pour monnayer les services d’après élection, – changement quotidien de parti politique considéré comme moyen d’enrichissement; le Parlement devient un refuge pour certains délinquants financiers; existence politique précaire pour la majorité des hommes politiques (la politique devient le moyen le plus rapide pour attendre ses objectifs économiques); redistribution comme mode de maintenance politique (les partis politiques vivent des dividendes de placement des militants a des postes juteux, marches publics qui s’attribuent au gré des appartenances politiques). …
Le phénomène se manifeste de plusieurs manières selon qu’on l’apprécie du côté du corrupteur ou du corrompu: – Les investissements de corruption préventive consistent pour l’usager à mettre l’agent dans une position d’obligé par des cadeaux; – La personnalisation des relations avec un agent prêt à intervenir en faveur du citoyen à tout moment; – La manipulation des registres normatifs et réglementaires pour échapper aux contrôles; – Le dédoublement de fonction quand un agent oblige un usager a mener affaire avec sa propre entreprise; – La création de longues files d’attente par les agents feignant d’être submergés de travail; – Les fausses déclarations pour lesquelles les agents obligent explicitement l’usager à acheter le matériel utilise pour le service; – La régularisation de l’irrégulier, quand les dossiers demandes ne sont pas complets pour obtenir un service; – La pratique des commissions (les fameux 10%); – Le favoritisme.
Un coût exorbitant pour le Mali
Les pertes de revenus sont énormes pour le développement du pays. (Source: Ministère des finances (Loi des finances 1993)). Sur l’exercice 1992, on évalue le cout de la corruption sur les fonds directement gérés par le gouvernement à 98,603 milliards de FCFA, soit 4.6% du PIB de l’année. Ce montant se compose comme suit: 37 Milliards de pertes fiscales, 43,1 Milliards pour les vols et gaspillages, 18, 503 Milliards pour l’accroissement des couts et frais. Si l’on y ajoute la corruption dans d’autres structures, telles que la CMDT, la SOTELMA, l’EDM etc, estimée a environ le tiers de celle des fonds publics, on obtiendrait 6,3% du PIB. A titre indicatif, la perte de recettes fiscales (37 Milliards) correspond a: – Sept (7) fois le nombre de bourses d’études actuelles; – 1850 CSCOM ou écoles; – Entre 9.000 et 12.000 ha de terres aménagées à l’Office du Niger; – 41, 5 % de la masse salariale payée par l’Etat la même année…
La corruption détourne les ressources nationales vers des objectifs autres que ceux du développement. Ce faisant, elle perpétue à long terme le sous-développement. Elle permet l’enrichissement illicite de certains agents, chose qui démoralise les meilleurs travailleurs. Elle est source de redistribution non équitable des revenus en lieu et place de l’Etat charge de réguler l’économie. Elle crée un manque à gagner important pour le Trésor Public (rapport du Bureau du Vérificateur Général). Elle accentue la pauvreté et le sous développement: le montant moyen des dépenses indues dans les foyers ruraux de par la corruption leurs permettaient de réaliser plusieurs infrastructures sociales de développement.
Les surfacturations diverses entraînent le renchérissement du coût des projets qui alourdit le poids de la dette extérieure. La corruption empêche tout contrôle sur la qualité des services fournis, ce qui aboutit souvent à des suppléments de frais pour des travaux de réfection ou d’entretien des matériels et équipements. Dès lors que les jeux sont faits d’avance, les citoyens honnêtes et compétents sont obligés de renoncer, parce que corruption et service de qualité ne font pas bon ménage le plus souvent. Conséquences juridiques et judiciaires: – Une justice sélective; – Des juges sans crédit; – Des justiciables sans recours juridiques appropries; – La multiplication des actes de justice populaires … Faute de pouvoir satisfaire les exigences des corrompus ou par répulsion pour les pratiques, des citoyens refusent de plus en plus de recourir à leurs services, affaiblissant ainsi ces institutions et à travers elles, l’Etat. A terme, celui-ci, arrivant de moins en moins à remplir ses missions surtout régaliennes, on aboutit à une perte totale de confiance des citoyens en l’Etat, donc en l’équipe dirigeante. Ce qui engendre un incivisme généralisé.
La corruption devenant de plus en plus le mode d’accès privilégié à tout service, le citoyen ordinaire n’a plus foi en la justice de son pays. Ce faisant il peut recourir à la justice populaire pour régler ses comptes. Ce qui est une menace sérieuse pour la paix civile. La collectivité entière et le pays perdent leur crédit auprès des citoyens, des investisseurs et des partenaires au développement. … Il existe beaucoup d’institutions intervenant dans la lutte contre la corruption au Mali CASCA, BNV et inspections de contrôle… A celles-ci, s’ajoutent aussi les audits réalisés par les partenaires techniques et financiers dans le cadre du suivi des fonds alloués au développement national. Toutes ces institutions ne sont que des mirages car ayant toutes montré leurs limites. L’Etat a organisé plusieurs séminaires, conférences et autres activités, mais sans que la corruption ne diminue et sans encourager la culture de l’excellence. Les partis politiques, les élus nationaux, l’Assemblée Nationale devraient être à l’avant – garde de la lutte contre la corruption. C’est le contraire…Les politiques sont devenus des marchands et intermédiaires cherchant à obtenir des postes stratégiques pourvus par l’Etat.
Ramata DIAOURE