La vie privée est la sphère de chaque existence dans laquelle nul ne peut s’immiscer sans y être invité. La liberté de la vie privée est la reconnaissance, au profit de chacun, d’une zone d’activité qui lui est propre et qu’il est maître d’interdire à autrui. On considère comme relevant normalement de la vie privée tout ce qui concerne la santé personnelle, les convictions religieuses, morales, philosophiques, politiques, la vie familiale et affective.
Le principe fondamental du respect de la vie privée est exprimé par l’ article 9 du Code civil qui stipule que « chacun a droit au respect de sa vie privée ». Et sur la base de cette disposition, les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé. Ce principe est aussi exprimé par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». La Convention européenne des droits de l’homme, à travers son article 8, prévoit en substance le « Droit au respect de la vie privée et familiale » : toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.
La notion de vie privée s’oppose à la vie collective ; elle limite le pouvoir politique par la création d’un espace pour l’individu. La protection de la vie privée englobe : la vie personnelle (identité, origine raciale, santé…) ; la vie familiale, conjugale ou sentimentale ; le domicile (Cass. civ. 1re nov. 1990). Le droit au respect de la vie privée est reconnu à toute personne, quels que soient son rang, sa naissance, sa fortune, ses fonctions présentes et à venir (Cass. civ. 1re 23 octobre 1990). La protection de la vie privée est aussi assurée par les règles concernant le secret professionnel. Les atteintes à la vie privée sont des infractions prévues par le Code pénal.
Les problèmes de la caractérisation de la vie privée
La notion de vie privée s’est imposée progressivement dans les esprits et dans les moeurs, sans qu’elle ait d’abord été véritablement l’objet d’une conceptualisation précise qui ait précédé ce déploiement multiforme. En conséquence, son usage demeure une source d’équivoques et de confusions. Il y a une incertitude très grande. Qu’est-ce qui relève exactement de la vie privée ? La difficulté tient à ce que la notion de vie privée soit relative, les mêmes actions pouvant quelquefois, d’un certain point de vue, apparaître comme privées ou, au contraire, comme publiques à partir d’une autre perspective également acceptable. Ainsi, lorsque le président des Etats-Unis prête serment en compagnie de son épouse, la présence de celle-ci peut être qualifiée d’acte privé (puisque la présence de l’épouse est un événement qui n’entre pas dans les attributs de la fonction de président) ; tandis que le fait que l’épouse soit présente à la cérémonie lui confère inévitablement un statut « public ». De même, le fait qu’il y ait un prêcheur qui exhorte à la prière dans cette même cérémonie peut avoir un caractère privé : la prestation de serment ne prévoit pas qu’il y ait un prêcheur qui s’engage dans un sermon moralisateur ; mais sa présence à la prestation de serment lui confère un caractère public.
Il apparaît donc que la distinction entre le public et le privé est, dans une large mesure, une question de point de vue. On peut toutefois essayer de formaliser davantage les choses : il y a deux variables tout à fait différentes qui entrent en considération dans la formation de la thématique de la vie privée. La première tient à la capacité de contrôle d’un individu sur une action donnée qui peut relever soit de son initiative, soit lui être imposée d’une manière ou d’une autre par un entourage ; ce qui définit les capacités effectives d’action dans le cadre d’une interaction. La deuxième tient à la capacité à tenir ou non secrètes certaines actions. Ces deux variables sont fondamentalement différentes et ne convergent pas dans la délimitation d’une sphère de la vie privée.
La capacité d’initiative de certaines décisions peut appartenir à l’individu ou lui être imposée dans le cadre des règles d’un groupe de référence ou des volontés des membres d’un groupe de référence. Ainsi, un enfant peut-il faire ce qu’il veut dans ses sorties ou ses fréquentations, et avoir ainsi une vie privée, ou devoir rendre compte de ses actions auprès de ses parents (qui chercheront à les contrôler). Les parents représentent alors, du point de vue de l’enfant, une sphère publique incarnée par la « famille », par opposition à l’espace privé possible de l’enfant. Au contraire, cette vie intérieure à la famille pourra relever de la vie privée face au travail professionnel de ses membres (où l’on est amené soit à rendre compte de cette vie familiale, soit au contraire à la tenir à l’écart), lequel peut exercer des contraintes sur les décisions de la vie privée : par exemple, susciter des activités entre les employés où ceux-ci sont supposés amener leurs conjoints.
Mais la vie professionnelle pourra elle-même relever de la vie privée face à une sphère publique, incarnée cette fois-ci par l’Etat qui peut, par exemple, choisir d’interférer ou non avec des décisions professionnelles « privées » : par exemple en autorisant ou en interdisant certaines activités professionnelles, comme la prostitution ou la vente d’armes. La prostitution et la vente d’armes relèvent-elles de choix privés ou de quelque chose qui engage la sphère publique ? L’école est un bon exemple de l’incertitude liée à la notion de privé/public, du fait du caractère relationnel de cette conceptualisation : si je porte un foulard dit « islamique » dans l’enceinte de l’école, je peux très bien dire qu’il s’agit- là d’un choix privé qui n’engage que moi ; pourtant, cette attitude pourra être perçue par certains comme outrepassant la sphère privée, puisqu’elle intervient dans le cadre d’une école qui apparaîtra comme un lieu « public », par opposition à la famille.
Dans le cas spécifique de la France, et de l’histoire particulière de sa laïcité, la notion d’école publique renverra également implicitement à des références de type universaliste par opposition à la dimension de certains choix privés perçus, comme se situant en retrait par rapport à cette universalité. On peut prendre également l’exemple d’un chef d’entreprise qui ne dévoile pas « publiquement » ses revenus : du point de vue de ses employés, cette donnée peut-elle relever de la revendication d’une vie privée, alors que le chef d’entreprise envisage, pour sa part, les salaires des employés comme une variable qui ne saurait être elle-même uniquement privée ?
La délimitation d’une sphère privée est donc particulièrement difficile dans la mesure où il existe très souvent, à partir de la considération d’une situation particulière, un point de vue à partir duquel celle-ci puisse être considérée comme relevant d’un acteur singulier, ou au contraire, d’un groupe d’acteurs par opposition à un individu. Par ailleurs, comme il a été dit, la délimitation d’une vie privée n’implique pas directement le secret, pas plus que le secret n’implique nécessairement la vie privée. Le secret est souvent lié à des activités qui n’engagent ni de près ni de loin la vie privée. Ainsi en va-t-il de toutes les informations tenues secrètes dans le cadre des activités étatiques, industrielles ou commerciales, où le secret apparaît comme un des éléments garantissant le succès de certaines opérations, comme par exemple le célèbre « secret défense ».
En retour, un très grand nombre d’activités que l’on associe aisément à la vie privée ne font pas l’objet d’un secret particulier : le conjoint est généralement l’objet d’un choix privé, mais il est communiqué au public ; le nombre d’enfants relève d’un choix privé, mais il est connu de tous ; les loisirs sont privés, mais ne sont généralement pas confidentiels, etc.
Rassemblés par Ben Dao