Dans un entretien à bâtons rompus, le président de l’Association Malienne des Droits de l’Homme (AMDH), Bréhima Koné, nous livre ici son jugement par rapport aux deux projets de loi, à savoir l’abolition de la peine de mort et le nouveau code de la famille, que le gouvernement a envoyés à l’Assemblée Nationale pour adoption et qui font couler tant d’encre et de salive au sein au sein de la population malienne.
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L’Indicateur du Renouveau : Le gouvernement vient d’envoyer deux projets de loi sur la table de l’Assemblée Nationale, dont l’un se rapporte à l’abolition de la peine de mort au Mali, alors que l’autre concerne le nouveau code de famille : pouvons nous savoir vos impressions sur ces deux lois ?
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Bréhima Koné : Par rapport à ces deux projets de loi, nous saluons cet acte courageux que nous considérons comme une avancée significative en matière de promotion et de protection des droits humains dans notre pays. Si vous avez suivi les différentes revendications de notre organisation, l’AMDH, et d’autres organisations de la société civile, nous avions toujours demandé l’adoption du nouveau code de la famille que nous considérons comme un code révolutionnaire, d’autant plus qu’il protège beaucoup de droits au niveau des femmes. Vous savez que la femme malienne a été beaucoup brimée, l’ancien code n’établit pas du tout l’équilibre entre les couples. Il y a aussi le poids de la tradition, des coutumes, qui fait que les femmes ne vivent pas de façon harmonieuse dans notre pays. Il y a beaucoup d’inégalités que ce nouveau code protège, mais ça ne veut pas dire qu’il va donner une certaine suprématie à la femme par rapport à l’homme, même si à ce niveau il faut donner beaucoup d’explications pour qu’on puisse comprendre ; en tout cas ce code est en harmonie avec le protocole de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples relative à la convention portant sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard de la femme. S’agissant du projet de loi sur l’abolition de la peine de mort, nous le saluons également pour la simple raison que le Mali a ratifié le pacte international sur les droits civils et politiques, dont le deuxième protocole va à l’encontre de l’application de la peine de mort. Nous disons aussi que sur le plan strictement juridique, la peine de mort est contraire à la constitution de notre pays, qui en son article premier consacre le droit à la vie. Ce qui fait que si on maintient la peine de mort dans le code pénal, ça crée un imbroglio juridique, toute chose qui n’est même pas conforme à la hiérarchie des normes en la matière, en ce sens que le code pénal doit être conforme à la constitution. La deuxième chose, c’est que la suppression de la peine de mort est devenue aujourd’hui une revendication de la communauté internationale, des Nations Unies et de l’Union Africaine. Vous verrez que certaines dispositions des conventions internationales, notamment la déclaration universelle des droits de l’homme, le pacte international sur les droits civils et politiques, la charte africaine des droits de l’homme etc…prohibent la peine de mort. Une autre chose qui est réelle et assez déterminante est qu’aujourd’hui, les juridictions internationales qui connaissent des crimes les plus graves comme les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, aucune de ces juridictions, je veux parler de
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L’Indicateur du Renouveau : Justement par rapport à ces deux projets de loi, nous assistons à des manifestations hostiles des populations, comment en jugez vous ?
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B. K : Nous pensons que ces manifestations sont dues à une mauvaise compréhension de l’islam. C’est vrai que quelque part l’islam peut à travers des verdicts vouloir que la personne qui a tué soit aussi exécutée, mais nous pensons qu’il faut faire la part des choses. Chaque fois qu’il y a le pardon des parents de la victime, une réparation en nature est possible et ça c’est depuis le temps du code d’Ammorabi qui contient aussi la loi du Talion en 1730 avant Jésus Christ. Dans l’islam aussi, il y a la sourate Bakara (la vache), qui parle de la condamnation, mais n’exclut pas aussi le pardon. C’est pourquoi nous pensons que les gens doivent fournir de l’effort pour mieux comprendre tout cela. A notre avis, ces manifestations si on ne les condamne pas, on ne doit pas aussi les encourager, car nous sommes dans un Etat de droit et le Mali a pris des engagements internationaux. Notre pays est membre de la communauté internationale et de ce fait, il doit se conformer à certaines normes pour mériter l’image qui est la sienne dans le concert des nations.
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L’Indicateur du Renouveau : Quand vous parlez d’engagements internationaux, à quoi faites voue allusion ?
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B. K : Les engagements internationaux, c’est la ratification des différentes conventions que sont par exemple le pacte international sur le droit civil et politique. Le Mali est aussi membre des Nations Unies, membre de l’Union Africaine, il est représenté au niveau de toutes ces instances. Au niveau de l’Union Africaine, c’est un Malien qui dirige la commission, en la personne d’Alpha Oumar Konaré ; une de nos compatriotes est au niveau de
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L’Indicateur du Renouveau : D’autres pensent qu’il serait mieux de garder la peine de mort dans son état actuel de non application et non abolie, au lieu de soulever un débat qui touche aux convictions religieuses des uns et des autres. Quel est votre jugement là-dessus ?
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B. K : Nous nous pensons que le fait que la peine de mort ne soit pas appliquée depuis 27 ans, ne relève que de la volonté politique de nos différents dirigeants qui se sont succédé. Ceci dit, nous pensons qu’il y a de fortes chances que la peine de mort, si elle est maintenue, ne soit un jour un instrument de règlement de comptes politique entre les hommes politiques, comme cela s’est passé ailleurs dans le monde. Nous connaissons des pays, qui après avoir passé dix sans appliquer la peine de mort, se sont levés un beau jour au terme d’un procès expéditif, pour condamner des citoyens et ensuite les ont exécutés. Le cas s’est passé au Rwanda, au Tchad, au Burundi etc….Ce qui est extrêmement dangereux et doit être évité, en abolissant purement et simplement la peine de mort, tout en prévoyant des alternatives. Vous-mêmes vous pouvez le constater avec nous, que les personnes qui détournent des fonds assez élevés, faisaient l’objet de condamnation à la peine de mort, et quand vous voyez à l’époque le nombre de condamnés à mort, les 80% représentaient ceux-là qui avaient détourné des fonds publics. Il n’ y avait que 20% de crime violents. De ce fait, il s’agit maintenant d’isoler ces criminels violents, en prenant des mesures de sécurité pour les mettre hors d’état de nuire. Ce qui les empêchera d’échapper pour aller recommencer. Mais ce qui est sûr, c’est que depuis 27 ans, ces criminels, on ne les a pas exécutés, donc ce qui est important, c’est de renforcer les mesures de sécurité et abolir la peine de mort. Le Rwanda qui a connu des crimes atroces, l’a abolie, la plupart de nos voisins l’ont abolie comme le Libéria, et récemment on a vu ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire, mais ce pays a aboli la peine de mort, le Sénégal l’a aussi abolie. Donc c’est pour vous dire que ce n’est vraiment pas du mimétisme pur, mais il faut reconnaître que le Mali est contraint de le faire. Les considérations religieuses qu’on est en train de mettre en avant frisent quelque part la laïcité, par ce que le Mali est un pays laïque et non un pays musulman, même si une grande majorité de la population est musulmane. Nous sommes aussi convaincus que ce n’est pas tous les musulmans qui sont partisans de l’application de la peine de mort, ce n’est vraiment pas une démarche purement musulmane, nous pensons qu’il faut faire la part des choses.
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L’Indication du Renouveau : En abolissant la peine de mort, quel va être désormais le droit de la victime au Mali ?
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B. K : Là aussi il faut faire la part des choses. Dans ce contexte, nous pensons qu’il y a l’aspect pénal et l’aspect civil. L’aspect pénal appartient au ministère public, lequel poursuit et le tribunal condamne. Quand une condamnation tombe, par exemple lorsque
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L’Indicateur du Renouveau : Pensez-vous que le nouveau code de la famille colle bien avec nos valeurs sociétales ?
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B. K : Nous pensons qu’il faut aussi bien comprendre ces valeurs sociétales. En remontant par exemple jusqu’à la charte de Kouroukan Fouga. Dans cette charte qui a été adoptée depuis 1236, il y a beaucoup de considérations, beaucoup de droits qui sont réservés à la femme. Même dans notre société, beaucoup de droits sont réservés à la femme même si quelque part le facteur familial de notre société réapparaît, avec le mari qui est le chef autoritaire. Nous ne pensons pas que le nouveau code de la famille puisse bousculer les normes sociétales, il s’agit tout simplement de bien comprendre. Que les femmes sachent que dans la jouissance de leurs droits, elles ne doivent pas trop abuser jusqu’à aboutir au déséquilibre du foyer. Car, cette mauvaise compréhension peut amener la dislocation du foyer. Aux hommes de comprendre que c’est tout juste une certaine liberté que le code donne à la femme afin que celle-ci puisse s’épanouir en tant qu’être social et pouvoir aller vers son émancipation afin de travailler comme eux. Cette émancipation lui permettra d’accéder à l’emploi, au crédit, avoir une certaine autorité au niveau de la famille sur les enfants et être vraiment une personne au vrai sens du mot. Mais quoi qu’il en soit, dans nos sociétés, on admettra difficilement que la femme soit chef de famille, cela bien qu’on dise que la femme a les mêmes droits que l’homme. Sinon dans les faits, vous constaterez que la femme a intérêt à se soumettre quelque part à l’homme, ce qui est bon en soi. Nous pensons qu’il faut procéder à une forte sensibilisation et à une bonne explication des choses. Et même si le nouveau code est adopté aujourd’hui, c’est va être un apprentissage au cours duquel on pourra toujours corriger certaines failles, si non c’est une obligation pour nous d’aller vers ça, afin de franchir un cap important en matière de respect des droits des femmes. C’est quelque chose sur lequel les Nations Unies sont rigoureuses et interpellent chaque fois le Mali.
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L’Indicateur du Renouveau : Mais selon ce qui se raconte, il semblerait que le nouveau code de famille n’accorde pas assez de crédit au mariage religieux, de même que la répartition de l’héritage selon ce qu’à dit Dieu le tout puissant. Alors quelle est votre explication ?
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B. K : A ce niveau il faut être clair, même dans le code actuel, le mariage religieux n’est pas reconnu. Ce qui est reconnu, c’est le mariage civil. Une œuvre humaine n’est jamais parfaite, on peut toujours corriger ce qui doit être corrigé. Dans certains pays comme
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L’Indicateur du Renouveau : Le nouveau code de la famille, si on comprend, bien fait pour arranger la femme, pourtant ce sont ces mêmes femmes qu’on a vu manifester contre son adoption ; alors quels sont vos commentaires par rapport à ça ?
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B. K : En réalité nous pensons que c’est de la pure manipulation. Certains hommes politiques veulent juste récupérer l’évènement pour en faire un objet de politique politicienne. Ce sont des pauvres dames, excusez-moi du terme, qui n’ont même pas eu droit à des explications par rapport au projet de loi sur l’abolition de la peine de mort et même par rapport au code de la famille. Il faudra de ce fait une large sensibilisation. Dans tous les cas, ce ne sont pas les femmes qui vont s’opposer à ce code dès lors qu’elles vont se rendre compte des avantages qu’il leur confère. Et quant à la peine de mort, ça relève d’une mauvaise interprétation de la part de certains hommes politiques, ce qui n’est pas du tout une bonne chose. La peine de mort a été abolie dans d’autres pays sans que cela ne pose problème, des pays pourtant qui ont connu des milliers voire le million de morts comme le Rwanda, mais les gens ont accepté d’aller vers le pardon pour que le pays puisse continuer dans son développement, au lieu de s’attarder sur des questions aussi banales qui ne valent pas la peine de perdre le temps. Le Mali a besoin aujourd’hui de faire face aux véritables problèmes au niveau des droits économiques, sociaux et culturels. On a besoin de manger, de nous soigner, de dormir, de savoir où et comment nos biens sont engagés dans le cadre du développement, surtout l’exploitation des mines d’or qui pourra nous aider à aller vers une véritable dynamique de développement, tout en nous souciant de la paix et de la sécurité qui sont aujourd’hui beaucoup menacées dans notre pays.
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L’Indicateur du Renouveau : Quel profit notre pays peut-il tirer dans l’adoption de ces projets de loi ?
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B. K : D’abord ça rehausse l’image du pays sur le plan international, par ce que nous sommes tous fiers chaque fois qu’on parte à l’extérieur qu’on nous dise : chez vous au Mali tout va bien, votre pays est un modèle en matière de démocratie, d’Etat de droit et de respect des droits humains. C’est vraiment ce qui nous réconforte. Mais supposons qu’on maintienne toujours la peine de mort, d’abord au niveau de la coopération judiciaire, nous aurons des blocages et sur le plan économique, il y a certaines coopérations bilatérales qui seront bloquées, des aides peuvent nous être refusées par certaines institutions comme
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L’Indicateur du Renouveau ; Votre dernier mot ?
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B. K : Nous invitons surtout les citoyens maliens à l’apaisement, par ce que pour des questions qui ne touchent pas sensiblement à la vie de la nation, qui ne nous font pas reculer, qui ne créent même pas de dommages et qui ne demandent même pas de financement, il faudra pas que cela créer l’instabilité dans notre pays. Nous souhaitons que les autorités prennent toutes les mesures pour que ces deux codes soient mieux expliqués aux populations du Mali afin que tout le monde comprenne et que notre pays puisse aller de l’avant.
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Entretien réalisé par Abdoulaye Diakité
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