Malgré la présence des forces armées maliennes et étrangères dans le nord et le centre du pays, la situation des Droits de l’Homme reste encore préoccupante, selon Guillaume Ngefa, Directeur de la division des droits de l’Homme de la MINUSMA.
« Entre le dernier trimestre de l’année 2017 et janvier 2018, la situation des droits de l’homme au Mali reste préoccupante », a rapporté Guillaume Ngefa le jeudi dernier, au cours du point de presse hebdomadaire de la Minusma. Selon lui, cela s’explique par la situation sécuritaire volatile, caractérisée par des attaques terroristes asymétriques, qui ont visé les populations civiles, certaines minorités religieuses ainsi que les troupes étrangères et les forces de défense et de sécurité maliennes.
Le Directeur de la division des droits de l’Homme de la Minusma affirme dans son exposé que les cas de violations et abus sérieux documentés à leur niveau vont de l’exécution sommaire ou extrajudiciaire, des disparitions forcées, des mauvais traitements, aux arrestations et détentions arbitraires et illégales. A titre d’exemple, il estime qu’entre le 1er octobre et le 10 décembre 2017, les forces de défense et de sécurité maliennes ont arrêté 141 personnes en relation avec le conflit, dont 123 pour des charges terroristes.
La méthode de travail
En ce qui concerne la Division des droits de l’homme de la MINUSMA, rapporte Ngefa, elle a concentré ses activités sur la surveillance de la situation au centre du Mali en raison du nombre assez élevé d’incidents qui ont un sérieux impact sur les civils. Cette situation, estime-t-il, reste caractérisée par l’expansion des activités des groupes terroristes et autres extrémistes qui ont affaibli l’autorité de l’Etat et ont réussi à étendre leurs zones d’influence en appliquant la loi islamique à leur manière dans ces régions. La Minusma suit donc de près la situation dans le centre du Mali où elle continue à documenter des violations et abus sérieux des droits de l’homme qui sont imputés indistinctement aux forces de défense et de sécurité malienne, surtout dans le contexte de la conduite d’opérations antiterroristes, et aux groupes armés. «D’ailleurs, la Division des droits de l’homme est en train de préparer un rapport qui sera rendu public sur la situation particulière du centre du Mali», promet le directeur.
Dans le cadre de leur surveillance, le conférencier affirme qu’ils ont mis en place un mécanisme de suivi et de collecte d’informations au niveau des communautés qui s’estiment être victimes d’abus. Mais aussi, qu’ils ont entamé un dialogue avec les communautés et leurs leaders, religieux et traditionnels. Il explique que le mécanisme consiste à être à leur écoute pour établir un catalogue d’abus, de violations des droits de l’homme et de plaintes qu’ils ont pu enregistrer parce qu’ils représentent une autorité dans leurs communautés et que les membres de leurs communautés viennent se plaindre auprès de ces autorités. Et une fois ces catalogues renseignés, la Minusma met ces informations à la disposition des autorités maliennes, avec pour objectif de permettre à la justice malienne d’ouvrir effectivement des enquêtes. « C’est dans ce cadre-là que j’ai conduit le mois passé deux missions dans la région de Mopti, notamment à Djenné et dans la ville de Mopti où nous avions reçu un certain nombre d’informations et des allégations. Nous avons déjà commencé déjà à avoir un dialogue avec les autorités», indique Guillaume Ngefa.
Dans la même veine, il renchérit que ce mécanisme est aussi complémentaire d’un deuxième mécanisme qui existe depuis presque deux ans, c’est de rencontrer régulièrement les autorités maliennes, le Ministère de la justice et le ministère des Droits de l’homme. Enfin, le Directeur reconnait l’établissement d’un dialogue critique sur les cas de violations des droits de l’homme et sur les mesures prises par les autorités maliennes, car leurs informations étant des preuves prima facie peuvent aider dans la recherche de la vérité.
Les groupes armés sur la sellette
Guillaume Ngefa accuse les groupes signataires, non signataires ainsi que les autres groupes terroristes qui ont continué à violer les droits de l’homme même s’il a été remarqué que depuis la signature« des engagements d’Anéfis en octobre 2017 », à Kidal, entre la plateforme et la CMA, le nombre de violations des droits de l’homme a diminué. Il émet quelques inquiétudes quant aux engagements d’Anéfis qui continuent de soulever de profondes préoccupations du point de vue des droits de l’homme, en particulier sur le rôle attribué à la commission justice qui est composée de cinq cadis qui traitent les différends entre la plateforme et la CMA. «Il y a préoccupation puisque cette commission justice prend des décisions qui peuvent être assimilées à des décisions judiciaires», dit-il.
Parlant des efforts de la Minusma, l’orateur dira que la MINUSMA a continué à soutenir la Commission nationale des droits de l’homme, notamment pour renforcer son indépendance institutionnelle et opérationnelle.Et que c’est dans ce cadre, et en partenariat avec l’institut international des droits de l’homme de Strasbourg, connue actuellement comme la Fondation René Cassin, elle a eu des séances de renforcement des capacités pour les membres de la Cour constitutionnelle. Il s’agit d’échanger avec la Cour constitutionnelle sur les différents défis, retours d’expérience et sur la mise en œuvre des conventions internationales au regard de la loi malienne, en mettant l’accent sur les compétences et le rôle de la Cour constitutionnelle.
L’appui de la Minusma
Aussi, ajoutera Ngefa, dans le cadre de ses initiatives dans le domaine de la lutte contre l’impunité, la MINUSMA a lancé une session de formation avec les fondations René Cassin et Friedrich Naumann sur le procès pénal international, à laquelle ont participé plus d’une centaine de personnes venant de 14 pays différents. Il s’est dit persuadé que c’est extrêmement important parce que, depuis 5 ans, elle a forméenviron 300 membres des institutions de l’Etat, notamment des membre de la Cour Constitutionnelle, des avocats et autres membres des institutions nationales. C’est une très grande contribution au renforcement de l’expertise nationale.
Quant au récent rapport thématique sur la situation des droits de l’homme au Mali,il soutiendra que c’est un rapport particulier, car il fait directement un lien entre les droits de l’homme et le processus de paix. Dans le cadre des Nations unies, c’est d’ailleurs la première fois qu’une composante droits de l’homme fait ce lien entre droits de l’homme et mise en œuvre d’un accord politique. C’est important, parce que la majorité des parties dans un processus de paix ont tendance à estimer qu’elles sont légitimées et par conséquent, protégées. C’est le rôle de la Minusama de les rendre responsables dans la mise en œuvre de l’accord, pas seulement parce qu’elles siègent ou participent aux activités, mais aussi parce qu’elles doivent rendre compte de la manière dont l’accord est mis en œuvre. Et ce rapport a donné un éclairage sur la manière dont les différentes parties signataires respectent de bonne foi leurs engagements.
Pour faire le point sur la violations des droits humains, Guillaume Ngefa soulignera qu’entre janvier 2016 et juin 2017, le rapport a fait état de plus de 600 cas de violations et abus des droits de l’homme et de plus de 800 incidents impliquant des hommes armés non identifiés et mettant en danger la vie de civils. Ces chiffres sont des indicatifs de ce que la Division droits de l’homme a pu effectivement vérifier. Donc, les nombres réels sont plus élevés que cela. Ensuite, ce rapport parle d’hommes armés non identifiés, car il existe cette difficulté à identifier les auteurs de ces violations. S’agit-il de bandits ? De membres des groupes armés, etc. Cela démontre que tous ceux qui exercent un certain contrôle sur une partie du territoire doivent être tenus responsables des abus sérieux qui s’y commettent, préconise-t-il. Et d’ajouter qu’au total, cette violence a fait plus de 2 700 victimes parmi lesquelles 4 41 ont été tuées, voire exécutées, d’autres portées disparues.
Les FAMa et les forces étrangères épinglées
Au sujet des auteurs, le conférencier informe que plus de 78% de ces violations, abus et autres incidents mettant en danger les civils impliquent soit les mouvements signataires ou non-signataires de l’Accord, soit des éléments armés non identifiés.Mais aussi, figurent des éléments affiliés à AQMI, Ansar Eddine ou d’autres groupes similaires. Les acteurs étatiques maliens, notamment les forces de défense et de sécurité et les autorités judiciaires ont été aussi impliquées à hauteur de 20%. Les forces internationales, y compris la MINUSMA, quant à elles, ont 2% de part de responsabilité.
En concluant son discours, il a précisé que ce rapport est très équilibré parce qu’ils sont aussi rigoureux avec eux-mêmes. Car, lorsque les violations des droits de l’homme sont commises par les forces internationales, ils le rapportent.
Hamadou KARA