Droits de l’homme : Le défi du traitement médiatique de la délinquance

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Au Mali, il n’est pas rare de voir dans la presse ou sur les réseaux sociaux des accusations portées contre des personnes, avec leurs photos et leurs noms, alors qu’elles n’ont pas encore été jugées. Information ou violation de droits ?

Moussa Bagayogo est le Coordinateur national par intérim du Bureau national catholique de l’enfance, BNCE-Mali. Pour lui, «certains journalistes et activistes sur les réseaux sociaux se permettent ou bien ont pris la mauvaise habitude de publier les photos à visage découvert des personnes, des présumés voleurs. Cette situation est une violation de leurs droits, parce qu’au regard du code pénal malien, il y a la présomption d’innocence».

Ainsi, toute personne n’ayant pas été jugée et condamnée par les autorités compétentes est présumée innocente. Donc, avant le jugement, publier la photo des présumés voleurs avec leurs visages découverts est une violation de leurs droits et ils peuvent intenter des actions en justice contre les auteurs de ces publications.

Selon Me Habib Koné, avocat au Barreau du Mali, «publier les photos ou l’identité de présumés voleurs dans la presse n’est pas normal. Parce que la Constitution du 25 février 1992 et le Code de procédure pénale garantissent la présomption d’innocence. La présomption d’innocence est le fait de considérer que quelqu’un est innocent tant qu’il n’a pas été définitivement jugé et condamné. Et quand on dit définitivement, il peut même être condamné en première instance. Il a le droit de faire appel, il est encore présumé innocent. Il fait appel, la Cour d’appel reconnait qu’il est coupable, il peut encore faire un pourvoi, et pendant cette période, il est encore présumé innocent. La présomption d’innocence veut que tant que la personne n’a pas été condamnée jusqu’à la Cour suprême ou qu’elle n’a pas été condamnée sans faire un recours, on considère qu’elle est encore innocente».

Toujours selon Me Koné, «par rapport à ce que la loi dit, la sanction se fait à deux niveaux. La première est pénale. C’est le fait de prendre la photo d’une personne et de la divulguer. C’est d’abord une atteinte à son droit à l’image. La première infraction est donc une atteinte à l’image de la personne. La deuxième infraction procède d’une loi spécifique. La loi portant protection des données à caractère personnel interdit qu’on divulgue des informations qui permettent de reconnaitre quelqu’un par des informations qui lui sont propres, comme le nom, le prénom, l’âge. En fait, tout ce qui peut permettre d’identifier la personne». Pour Moussa Keita, c’est une violation du droit à la protection de ses données à caractère personnel.

«Nous sommes dans une société où le vol est de plus en plus développé. Avec l’urbanisation, le chômage se développe. 65 % des Maliens ont moins de 25 ans et l’école ne garantit plus la mobilité sociale. Les gens passent la journée à ne rien faire et dans ce contexte, l’internet aussi s’est développé et a fait que les gens se sont procuré des téléphones. Cela crée une sorte de course à l’information, parce que n’ayant pas grand-chose à faire dans la journée, ils la passent à se connecter. Chacun se prend pour un journaliste, chacun veut être le premier à publier l’information. C’est pour cela que dès qu’ils voient une image, un décès, un accident, ou un voleur, ils publient l’information », explique Bréhima Dicko, sociologue.

« L’autre explication aussi c’est que beaucoup de voleurs qui ont été arrêtés et remis à la police ont été libérés sous 24, 48 ou 72h, puisque la garde à vue dure 72h. Et si la plainte est retirée entre temps pour des raisons sociales (d’intervention des proches ou des amis, des personnes âgées), à un moment donné, les personnes ont l’impression qu’il y a de l’impunité et que pour cette raison il faut publier les photos des présumés voleurs. En espérant que cette publication des photos sur les réseaux sociaux va créer une sorte de honte et que les voleurs vont arrêter. C’est le fait d’être au chômage, l’accessibilité à un Smartphone connecté, la course à l’information et le sentiment d’impunité qui poussent les gens à publier l’information en se disant que cela peut contribuer à lutter contre le vol».

Bintou Diawara

 

 

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