Jeudi 25 octobre, Hamey Coulibaly, la cinquantaine révolue, était au bord de la crise de nerf dans la cour de l’association Temedt à Bamako. «Nous vivons un embargo social ; mon frère est décédé et nous n’avons été que 3 personnes à l’enterrer dans le village », a-t-il révélé, jurant de mener jusqu’au bout la lutte contre l’esclavage. Président de l’association Gabana (nous sommes tous pareils en Soninké), Hamey s’exprimait lors d’un atelier sur l’émancipation et le renforcement des capacités des leaders du secteur informel.
Le 24 octobre, dans la région de Kayes, des défenseurs des esclaves ont été blessés, des vidéos circulent sur les réseaux sociaux, montrant des esclaves lynchés en public. Quelques semaines plus tôt, Hamey et des membres d’une mission de sensibilisation de Temedt ont échappé au lynchage, le 23 septembre 2018 à Troukoumbé, dans la région de Kayes. En effet, la mission était partie dans ce village pour une journée de sensibilisation.
Dans la foule réunie sur la place du village, selon Abdoulaye Mako, membre de Temedt et partie de la mission, certains ont commencé à faire des murmures. Soudain, des participants ont été roués de coups. «Il y avait des gens qui n’acceptaient pas que ceux qu’ils considèrent comme leurs esclaves soient honorés ; il y a eu du sang. Ils ont aspergé notre véhicule d’essence et voulaient le brûler », a déclaré Mako.
La mission a pu s’échapper, mais le véhicule a pris feu à Bamako le même jour au siège de Temedt vers 3 heures du matin. L’association a ainsi décidé de porter plainte auprès des autorités compétentes dans la capitale. Ses membres ont découvert des publications de certains soutiens des agresseurs sur les réseaux sociaux.
Un des commanditaires de la violence qui a interrompu la mission de sensibilisation à Troukoumbé a été arrêté à Bamako dans la nuit du 24 au 25 octobre par la police «On n’en reste pas là, nous allons porter plainte en France et aux Etats Unis contre tous ceux qui soutiennent l’esclavage », a déclaré Abdoulaye Mako.
Gabana, avec le soutien de Temedt, mène une croisade contre la pratique de l’esclavage dans les localités Soninké du Mali. «L’esclave, lorsqu’il décède, sa femme fait deux mois et demi de veuvage au lieu de 4 mois pour les autres couches de la société. L’esclave a beau maîtriser le coran, il ne peut pas être imam ; l’esclave ne peut pas être élu maire. On ne veut pas qu’on dénonce cela », a déploré Hamey.
Selon les membres de Gabana, tous ceux qui portent des noms de famille Bambara dans les localités soninké sont considérés comme des esclaves. Coulibaly, Traoré, Diarra, Tangara etc., sont des patronymes des familles d’esclaves dans ces localités. «Ces familles sont minoritaires dans les villages soninké, environ 3 ou 4 dans certains villages, mais si les autorités ne les aident pas à protéger leurs droits la situation va péter parce que nous n’allons plus jamais accepter d’être des sous- hommes », a promis Hamey.
L’Etat et ses représentants au niveau local sont mis sur le banc des accusés par Temedt et les organisations de défense des droits de l’Homme. Le gouverneur de Kayes, les préfets et les sous-préfets sont fortement interpellés, particulièrement en raison de leur parti pris en faveur des négationnistes. « Les négationnistes sont nombreux. Pas parce qu’ils vivent de ça, mais ils aiment dire je possède des esclaves », a fait savoir un responsable de Temedt.
L’urgence pour les défenseurs des droits de l’Homme, c’est l’adoption du projet de loi criminalisant l’esclavage au Mali. Ce texte dort dans les tiroirs du ministère de la Justice depuis 2015. «Le projet de loi est en standby, il n’est pas mort. Il ne faut pas ajouter une crise à la crise, c’est comme ça que moi j’ai compris », a commenté Boubacar Touré, représentant du ministre de la Justice.
A en croire Hamey Coulibaly, les esclaves vivent un véritable calvaire dans les zones habitées par les Soninké. Gabana et Temedt qui entendaient mener une campagne mixte impliquant tous les habitants de ces localités veulent désormais mener la lutte sur le front international. En décidant de porter plainte contre les personnalités vivant en Europe et dans d’autres pays occidentaux qui seraient opposées à Gabana, le combat prendra une ampleur inattendue.
Soumaila T. Diarra