Selon le président de l’Observatoire pour les Elections et la Bonne Gouvernance au Mali, Dr. Ibrahima Sangho, les autorités de la transition doivent prioriser les réformes minima et se pencher sur les élections. Optimiste quant à la réussite des réformes attendues, il plaide pour une union sacrée, une large concertation de tous les acteurs : formations politiques, société civile, organisations faîtières, etc. pour relever les défis. « Sans les partis politiques, on ne peut aller de l’avant. L’Armée n’a pas vocation à conquérir et à exercer le pouvoir. Les partis politiques sont importants dans le processus et il faut qu’ils soient là et soient d’accord », affirme Dr. Sangho.
La première Transition de 18 mois
« On a fait aujourd’hui plus de 20 mois sans bouger. Quand on faisait le coup d’Etat 2020, c’était à la suite de la crise postélectorale. Donc on pensait que pour les prochaines élections, les autorités allaient s’engager pour des réformes politiques profondes. Pour qu’il n’y ait plus jamais de coup d’Etat en République du Mali. Ce qui a posé problème c’est qu’il y avait 3 organes qui organisaient les élections. La Commission nationale indépendante (Céni) qui est chargée des suivis des activités électorales et puis la Délégation générale chargée aux élections (DGE), qui s’occupe du fichier électoral et la Cour la constitutionnelle. Ces 3 organes ont posé problème. Il faut les changer. Toute la classe politique et la société civile sont unanimes à ce qu’il ait un Organe unique de Gestion des Elections. Les réformes devraient concourir à mettre en jour un organe unique de gestion des élections. Il faut créer ledit organe dans la constitution. Tant qu’il n’est pas créé dans la constitution, on pourra facilement l’enlever. En 1997, un organe unique a été créé (Commission nationale indépendante des élections), mais elle n’a organisé que cette élection. Tant qu’on crée l’organe unique de gestion des élections, c’est facile de l’enlever. Il faut la créer dans la constitution.
La relecture de la Loi électorale
Relire simplement la loi électorale ne résoudra pas le problème. Il faut relire la constitution et la loi organique des députés. La loi électorale crée les régions comme nouvelles circonscriptions électorales où la loi organe des députés ne définit que les cercles et les communes comme circonscriptions. La loi organique des députés est supérieure à la loi électorale. Normalement, c’est la loi électorale, la loi organique et la constitution qui devraient aller ensemble devant le Conseil national de la Transition pour avoir des textes cohérents et des élections.
C’est la constitution qui donne le plein pouvoir à la Cour constitutionnelle. Il faut obligatoirement relire la constitution pour retirer ce pouvoir exorbitant de la Cour, à la proclamation des résultats. Au regard de tout ça, on peut dire que du 18 août à nos jours, nous n’avons pas bougé. Les autorités de la transition n’ont pas fait les réformes nécessaires.
Qu’en est-il des 24 mois de prorogation de la Transition?
Si on se réfère à la prolongation de la transition de 24 mois, le problème demeure encore au niveau du calendrier électoral. Personne ne connaît le calendrier. On dit qu’on va proroger de 24 mois. Le président de la Transition a pris un décret qui crée une commission de rédaction de la nouvelle constitution. Mais quand est ce qu’il y aura le référendum ? Quand est-ce qu’il y aura la présidentielle ? Quand est-ce qu’il y aura les législatives ? Personne ne le sait. Cela est un problème. Du fait que l’on n’a aucune vue sur l’avenir. Il n’y pas de dialogue politique nécessaire. Tant qu’il n’y a pas de consensus politique fort à l’heure actuelle au Mali, on ne peut pas faire de réformes politiques profondes.
Tout le monde l’a vu, en 2000, le Président Alpha Oumar Konaré a tenté de réviser la constitution, ça n’a pas marché. En 2011, ATT a essayé, ça n’a pas marché. En 2017 et aussi en 2019, IBK a essayé, ça n’a pas encore marché. Donc les 4 tentatives de relecture de la Constitution n’ont pas abouti parce que les citoyens sont endurants à l’endroit la Constitution. Tant qu’il n’y a pas de consensus politique fort, il sera difficile de changer cette constitution. Tant que les hommes politiques ne sont pas d’accord, ce sera très difficile d’avoir des réformes majeures. Si on se réfère à la Constitution de 1992 en vigueur, pour réviser la constitution, il faut que le Mali puisse jouir des 100 % de son territoire national. Le Mali ne jouit pas des 100 % de son territoire. Il n’y a pas d’Assemblée nationale et il n’y a pas de président légitimement élu. Si ces constitutions ne sont pas réunies, on ne peut pas réviser la Constitution.
Même pour l’élaboration d’une nouvelle constitution, il va falloir que pendant le référendum, les 100 % du territoire puissent voter pour le référendum. Cela est un autre blocage.
Alors, que doivent faire les autorités de la Transition ?
Le plus simple pour les autorités de la transition, c’est d’organiser les élections présidentielle et législatives et de remettre à nouveau le pouvoir. Le président, légitimement élu, va poursuivre les réformes majeures. On a vu ici que pendant 18 mois, rien n’a été fait en matière de réformes politiques. Les autorités de la transition sont en cause. Ils n’ont pas pu asseoir le consensus nécessaire pour les réformes. Aujourd’hui, ils ont réclamé 24 mois mais personne ne connaît le contenu. Si on prend les 24 mois et les 18 mois écoulés, ça donne 42 mois.
Est-ce que toutes ces réformes politiques sont possibles ?
Tout est possible s’il y a le consensus. S’il n’y pas de consensus, on demandera à la transition d’organiser la présidentielle et les législatives et de remettre le pouvoir aux civils afin de continuer les réformes. Si aujourd’hui, il y a un consensus possible, si l’adhésion de la classe politique est là, tout est possible.
Il faut rappeler que la conquête et l’exercice du pouvoir n’est de l’ordre des forces armées et de sécurité encore moins de la société civile. La conquête et l’exercice du pouvoir, ce sont les partis politiques. Cela est bien dit par la constitution. Ce sont les civils qui ont des programmes. C’est à eux que revient la conquête et l’exercice du pouvoir. On ne peut pas le faire sans les partis politiques. Sans les partis politiques, ça ne peut aller de l’avant. L’Armée n’a pas vocation à conquérir et à exercer le pouvoir. Les partis politiques sont importants dans le processus et il faut qu’ils soient là et soient d’accord.
Est-il possible d’organiser les élections dans l’insécurité ?
La question de sécurité n’est pas seulement militaire. Dans la sécurité, il y a beaucoup de formes. Là, quand il n’y a pas l’adhésion de la population, la sécurité pose problème. Dire qu’on va attendre de pacifier le pays avant les élections, n’est pas un bon indicateur. Les 18 mois qu’ils ont passés, qu’est-ce qu’on a vu pas par rapport à la sécurisation d’un pays ? Cela pose problème. Les 18 mois, est-ce qu’il y a eu des avancées majeures ? Il y a eu des actions d’éclat mais le problème de sécurité débat toujours. Toutes les zones sont confrontées à l’insécurité. Selon les dernières statistiques, aujourd’hui le Mali n’a plus que 15 % de son territoire.
Mais quand on a pu organiser les Assises nationales de la Refondation dans 97 % des communes. Suivant les statistiques du gouvernement. Si on a pu tenir les Assises nationales de la refondation dans 97 % des communes, on pourra tenir les élections dans 97 % au moins. C’est-à-dire à hauteur de 90 % du territoire national. Et là, pour les élections législatives et présidentielles, à 75 % déjà, cela est satisfaisant. Pour nous la sécurité est un faux-fuyant dans ce cas.
Ensuite le problème sécuritaire s’est posé au Mali depuis 2012. De 2012 à maintenant, aucune élection n’a pu se tenir dans les conditions sécuritaires parfaites. Donc c’est un combat de longue haleine. Personne ne sait quand est ce que l’insécurité va finir en République du Mali. On ne peut pas lier l’aspect sécuritaire aux élections ».
Propos recueillis par
Koureichy Cissé