-« Shell et Total veulent faire tomber toutes les sociétés nationales avec la complicité de l’Etat »
A l’heure de la mondialisation, notre pays le Mali ne fait pas l’exception au phénomène de l’invasion des investisseurs étrangers à la recherche de profit. Depuis quelques années, le secteur pétrolier malien connait un chamboulement sans précédent. Il s’agit d’une part du monopole de la vente des hydrocarbures par les grandes sociétés occidentales notamment Total, Shell, Oryx Energie et d’autre part de la faillite et de la disparition des stations nationales, soit par bail ou par liquidation. A qui la faute ? Stupéfaits et ignorant les causes profondes de cette tragédie, ils sont nombreux nos compatriotes à endosser la responsabilité à l’Etat, accusé d’indifférence ou parfois de complicité avec les puissances internationales d’orchestrer le déclin des sociétés nationales.
Il y a moins de 10 ans, on les comptait du bout du doigt. Aujourd’hui, ce sont ces stations étrangères de dépôt et de vente d’hydrocarbures qui font la loi dans la ville de Bamako. Pourquoi ? Afin de comprendre les contours de cette situation de plus en plus alarmante et préoccupante, votre hebdomadaire préféré a décidé d’aller à la rencontre des acteurs concernés.
L’Etat complice du « laisser-aller » et du « laisser faire » !
A l’entame de cette enquête, votre fidèle serviteur s’est rendu à la station SCM sise à Faladiè Socoro, près du carrefour IJA en commune VI du District de Bamako. Sur place, nous avons retrouvé le patron de la société, en occurrence Makan Camara. Réticent, au début, de nous donner ses impressions sur les causes de la mort à petit feu des stations nationales de vente d’essence au profit des sociétés étrangères, le propriétaire de SCM, convaincu par les arguments avancés par votre serviteur, a fini par lâcher le mot. Du haut de ses 60 ans, il a soutenu que sa société n’importe pas de carburants. Selon lui, sa station est approvisionnée par les « Djôcôrômins ». Visiblement remonté, il a déclaré que le poisson pourrit par la tête. Aux dires de Makan, « tout a été mis en œuvre par nos autorités pour que les stations privées nationales aillent en faillite ». La preuve, a-t-il expliqué, la question des prix invariables des carburants sur le marché. Il dira que cette situation est due au fait que les points de vente d’essence sont crées n’importe comment. A l’en croire, ces points de vente non déclarés n’ont pas besoin de qualité. Et Camara d’ajouter que ces points de vente d’essence qui s’approvisionnent aussi n’importe comment, fixent, à leur tour, leur propre prix en toute violation des droits de la concurrence. A cet effet, il a déploré que le seul souci de l’Etat, c’est de venir à tout moment imposer des impôts et nouvelles taxes aux stations comme par exemple « la vignette par pompe », sans se soucier de l’assainissement et de la réglementation du secteur. Le patron de la station SCM a ensuite lancé que : « L’Etat est responsable de tous ces problèmes. Regardez, comment l’Etat peut permettre que deux stations différentes soient contiguës ou se font presque face les unes des autres. Où est le sérieux dans cette affaire ? Il y a trop de stations, dans les carrés et presque dans tous les carrefours ». Il poursuivra en disant que : « tous ces facteurs impactent négativement les bénéfices des sociétés qui sont finalement contraints à louer ou simplement à liquider leur entreprises aux étrangers. Beaucoup de sociétés privées nationales sont au bord de la faillite à cause du faible taux des bénéfices lié à ces facteurs. Mais nous avons compris tout le jeu, c’est un complot contre l’économie nationale ». Aux dires de Camara, « Shell et Total veulent faire tomber toutes les sociétés nationales avec la complicité de l’Etat ». C’est pourquoi, il a soutenu que : « Ils ont tout fait pour vendre ITEMA, Ozone est venue s’installer comme si les Maliens ne pouvaient pas s’occuper de leur nettoyage. Tous les jours que Dieu fait, ces sociétés étrangères créent de nouvelles stations d’essence et de gasoil. Il n’est pas facile de construire ce pays. Il faut que les autorités sachent que ces gens de Total, de Shell et autres ne feront rien pour construire notre Mali. Leur seul objectif, c’est de se faire des profits et les reverser dans leur économie ». Pour terminer, il a confessé qu’:« au delà des locations de nos stations nationales, ces sociétés occidentales veulent occuper tout par étape et imposer leur dictat aux Maliens ».
L’argent : le nerf de la guerre !
De l’autre coté de l’autoroute, Sékou N’Daou, gérant de la station Petro Birgo dira que : « nous sommes dans un monde en compétition où chacun doit se donner les moyens de sauvegarder ses intérêts. Chacun est responsable de ses actes. Ces sociétés étrangères sont très puissantes. Elles ont l’argent et viennent chez nous l’investir pour faire des profits ». Toutefois, il a estimé que l’ONAP (Office National des Produits Pétroliers) doit faire respecter les prix. A ses dires, c’est inadmissibles que certaines stations se permettent de vendre le carburant n’importe comment.
A Sogoniko, Lassina Koné est gérant d’un point de vente de carburant contigüe au vieux garage Mercédès. Il a indiqué que : « L’Etat doit faire la promotion des sociétés nationales pour le bien-être de nos populations à travers une bonne subvention des hydrocarbures. A notre niveau, nous n’avons pas de problèmes avec personne. Nous payons à la lettre nos taxes et impôts et nous vendons de produits de bonne qualité. Nous sommes prêts à mettre quiconque au défi ». Selon le jeune Koné, ni l’Etat, ni les Maliens n’ont intérêt à ce que le monopole de la vente des produits pétroliers soit détenu par des étrangers. Pour lui, c’est une question de souveraineté nationale. A l’entendre, c’est le retour de l’impérialisme qui est en cours.
Au centre-ville de la capitale, plus précisément au quartier populaire de Médina-Coura, votre serviteur s’est rendu à l’un point de vente d’essence les plus fréquentés par les usagers. Il s’agit bien sur du point de vente « Kalifa services » à quelques pieds de la Maison de la Presse. A l’absence du patron de la station, un pompiste en service du nom de Souleymane Diakité a souligné que : « Chaque jour, on assiste à des nouvelles mesures et aussi à la création de nouvelles stations étrangères. Les sociétés nationales de vente d’hydrocarbures sont confrontées à de nombreuses difficultés. Le premier, c’est le prix élevé des taxes. Il faut se dire la vérité, les gens ne sont pas équitablement traités en ce qui concerne le respect des prix d’hydrocarbures par les structures de contrôle ». Selon lui, il y a des stations qui se fixent leurs propres prix. Souleymane a maintenu que cette pratique injuste et crée toujours des différends avec les clients. Il a fait comprendre que le cumul de tous ces problèmes, sous les yeux indifférents des autorités, conduit généralement des sociétés en règle à la faillite. Car, le carburant ne s’écoule pas vite comme il le faut ». Il ajoutera qu’ « En plus, il y a le projet de l’Etat de supprimer les points de vente d’essence. Un moment donné la question avait vivement chauffé les esprits ». Diakité a signalé que toutes ces manœuvres sont des prétextes pour l’Etat de favoriser les sociétés étrangères. Il a juré que l’Etat veut fermer les points de vente pour que Total et Shell obtiennent le monopole du secteur dans notre pays. A en croire le jeune Diakité, cela aura des conséquences fâcheuses dans notre pays. A ses analyses, en fermant ces points de vente et stations d’essence, l’Etat met et force des chefs de famille au chômage. « L’Etat doit s’assumer pour défendre son peuple. C’est sa raison d’être. Nous ne sommes contre personne, mais il faut qu’on se dise certaines vérités », a-t-il lancé.
Le mea-culpa de l’ONAP !
Au regard de tout ce qui précède, votre infatigable serviteur n’avait d’autre choix que de se transporter à la direction générale de l’ONAP, rattaché au ministère de l’Economie et des Finances. Il s’agissait non seulement de s’imprégner du mode de contrôle de la qualité et des prix des hydrocarbures, mais et surtout de s’entretenir avec les cadres de cet organisme stratégique sur les raisons principales de la liquidation des sociétés nationales au profit des sociétés étrangères.
Après deux passages le même jour, l’assistante de direction du DG dira que son patron, absent, a promis de nous revenir. Mais devant l’insistance et la persistance, la particulière du DG renvoya votre serviteur voir le directeur adjoint de la structure, du nom de Issa Kondo. A sa rencontre dans son bureau, Kondo a fait savoir qu’en raison de la « sensibilité de ces genres de questions », ils sont généralement tenus d’abord de recevoir l’autorisation du Cabinet du ministère de l’Economie et des Finances avant de dire quoi que ce soit. Ah ! Lourdeur administrative quand tu nous tiens. Cependant, il a salué notre initiative, avant d’affirmer que l’ONAP ne gère pas spécifiquement ces questions. Kondo a soutenu que l’ONAP participe simplement dans la gestion de ces dossiers aux cotés de la direction nationale de la géologie et des mines (DNGM) et de la direction nationale du commerce et de la concurrence (DNCC). « Ce sont ces services qui ont la main mise sur la gestion des stations d’essence ». C’est dire toute la transversalité du secteur. Qu’à cela ne tienne, le DGA de l’ONAP a reconnu et déploré que de nos jours les stations sont éparpillées partout.
Total se démarque de toute accusation !
Dans sa quête de la vérité, votre fidèle serviteur n’a pas hésité d’interroger le gérant de la station Total contigüe à Star Oïl à Badalabougou. Après un long sourire, le gérant a estimé garder l’anonymat a déclaré que tout est lié à la gestion d’entreprise. Selon lui, seule la façon de gérer une station d’essence peut ouvrir les portes du succès ou conduire à la faillite. Il a martelé ensuite que : « Nous sommes dans un monde à compétition où la médiocrité et le tâtonnement n’ont pas leur place. En matière commerciale, c’est le marketing et la qualité des produits et prestations qui créent la différence entre les sociétés ». Aux dires de ce gérant de Total, quand on sait bien investir, on s’impose n’importe où.
Rappelons qu’au moment où nous mettions ces informations sous presse, le DG de l’ONAP n’avait pas encore fait signe à votre serviteur.
Jean Goïta