Consommateurs et marchands en conviennent : jamais le prix de l’animal tant recherché pour la Tabaski n’avait atteint un tel niveau dans cette zone d’élevage par excellence. A l’approche de la fête de la Tabaski, le prix du mouton a grimpé en flèche sur les marchés de Diéma. Tous en conviennent : jamais le mouton n’avait coûté si cher dans la zone. Il y a encore deux mois, l’on pouvait se procurer un bon bélier à 25.000 Fcfa. Aujourd’hui pour avoir un animal du même gabarit, il faut débourser jusqu’à 75.000 Fcfa. Les Bamakois, familiers des folles enchères dans ce domaine, souriront mais il faut rappeler que Diéma fait partie de la zone géographique du Kaarta dans la bande sahélienne. Le cheptel est donc très abondant dans cette zone d’élevage par excellence. Il y a encore quelques années, la viande ne se vendait pas au kilogramme, mais par tas. Cette époque semble bien révolue aujourd’hui. De plus en plus rare, la viande coûte toujours plus cher.
Pourtant la zone n’a pas changé sa vocation agro-pastorale. L’élevage y est toujours développé. D’autres facteurs sont avancés par les consommateurs et les acteurs de la filière pour expliquer le renchérissement sans précédent des animaux. La première cause serait l’exportation effrénée des bêtes vers des pays voisins. A longueur de journée, des camions passent, remplis de bœufs ou de béliers en partance pour le Sénégal ou la Guinée.
D’autres animaux sont directement conduits sur pied par des marchands de bétail dans ces deux pays. Abdoulaye Diallo est un de ces négociants. Il confirme la réalité de la tendance : “Depuis bientôt cinq ans, j’emmène mes animaux au Sénégal. Si je le fais, c’est que j’en tire le plus grand bénéfice. Après tout, on fait le commerce pour faire du profit. Nous allons donc vendre nous animaux là où on nous offre les meilleurs prix”.
Mahamadou Sacko, un habitant du village de Lambidou croisé à Diéma où il était venu chercher le certificat de nationalité de son fils, assure que même dans les villages, il n’y a pas suffisamment d’ovins. “Je n’ai jamais vu ça. Dans beaucoup de familles, c’est l’inquiétude par rapport au mouton de la fête de Tabaski. Dans des familles où on a l’habitude d’abattre deux ou trois béliers, l’on risque de se contenter cette année d’un seul mouton. Tous nos troupeaux ont pris la direction du Sénégal”, assure l’homme qui croit savoir que les Sénégalais réexportent à leur tour le surplus de moutons maliens vers … la France.
Mais si le mouvement des animaux vers des pays voisins est une réalité, les moutons peuvent aussi emprunter le chemin inverse : de la Mauritanie voisine au Mali. A ce propos, Makan Biba, un notable à Souranguédou explique : “Des moutons nous viennent de la Mauritanie. Les éleveurs maures viennent passer la saison sèche chez nous. Quand les pluies tombent, ils retournent chez eux. Mais à l’approche des fêtes de Tabaski, ils reviennent avec quelques têtes. J’ai appris qu’ils font actuellement mouvement vers chez nous. Ils seraient à Garambougou. C’est sûr qu’ils seront à Diéma à la prochaine foire hebdomadaire”. Et les moutons mauritaniens seraient moins chers. “Les moutons de race que nous élevons à la maison coûtent une fortune. Mais il faut comprendre. Quand tu nourris un mouton durant plusieurs mois, tu ne peux pas le vendre comme celui qu’on a fait paître dans la brousse”, estime Mahamadou Sissoko.
“Les béliers bien embouchés coûtent entre 100 à 150.000 Fcfa”, confie Cheickné Diawara, maire de la Commune de Grouméra, qui reconnaît qu’il y a actuellement d’énormes difficultés d’approvisionnement. “Les moutons deviennent de plus en plus rares dans notre commune. Beaucoup de villages se ravitaillement à partir d’ici. Certains habitants du village acheminent des troupeaux vers Bamako pour les vendre. Les marchands sénégalais affluent chaque jour et repartent avec de gros porteurs remplis. Résultat : l’offre est de loin inférieure à la demande. Un bélier moyen coûte de 60 à 75.000 Fcfa tandis que le prix des gros béliers peut atteindre jusqu’ à 150.000 Fcfa. Malheureusement, la mairie ne dispose pratiquement pas de levier pour influer sur les prix”, indique l’édile.
Il y aussi une filière guinéenne d’existence récente, selon Kola Bocoum, un éleveur. “Les animaux sortent pour le Sénégal et la Guinée. C’est ce qui fait que leur prix a augmenté. Nos enfants ont changé d’itinéraire. Quand on leur confie les troupeaux de bœufs ou de moutons, ils prennent la direction de la Guinée. Des commerçants guinéens viennent à leur rencontre à la frontière, plus précisément à Kourémalé. Certains conduisent leurs bêtes jusqu’à Siguiri”, explique l’éleveur.
Pour Barou Diallo, notable à Makana, si les animaux coûtent cher, c’est aussi parce que la période y est favorable. “C’est l’hivernage. Il y a de l’herbe partout dans la brousse. C’est généralement quand il y a manque de nourriture que certains éleveurs cherchent à se débarrasser de leurs troupeaux en les bradant”, assure-t-il.
Abdoulaye Djigué, responsable du nouveau marché à bétail de Diéma et trésorier de l’Association des éleveurs tout en reconnaissant que les prix vont de 75.000 à 150.000 Fcfa, observe que c’est la loi de l’offre et de la demande. “La plupart des marchands de moutons préfèrent traiter avec les commerçants sénégalais. Ceux-ci mettent le prix. Ils ne discutent souvent même pas”, confie Djigué qui souhaite, paradoxalement, que le gouvernement accorde des subventions aux éleveurs pour développer la filière.
Ousmane Magassa est enseignant. D’habitude, ses amis et parents de Bamako lui envoient de l’argent à Diéma pour qu’il leur achète des moutons. Mais les prix sont tels cette année qu’il n’a pas voulu prendre de risque. “Cette année, je n’ai voulu prendre l’argent de personne de Bamako. Si tu achètes un mouton pour quelqu’un dans les conditions actuelles, il y a mille chances qu’il ne soit pas satisfait. Il pourrait même penser que vous avez détourné une partie de son argent”, argumente l’enseignant.
La situation du marché du mouton à Diéma n’est malheureusement pas un cas isolé. Les échos qui proviennent d’autres régions du pays ne sont guère rassurants pour les consommateurs, surtout les Bamakois. En effet, les prix proposés sur les moutons qui ont commencé à débarquer dans la capitale depuis quelques semaines donnent parfois le tournis. Nous y reviendrons.
Source: Amap