L’Association Nationale des Chasseurs du Mali (ANACMA) qui existe depuis plus de 20 ans s’est fixé comme objectif l’organisation de la profession de chasseur qui est aussi vieille que le monde. Depuis la nuit des temps, les chasseurs jouent un rôle très important dans la société. L’ANACMA à travers ses nombreuses initiatives essaie de participer à la construction d’un Etat démocratique où il fait bon vivre. Le dynamisme de l’ANACMA est à mettre à l’actif d’un homme : Diawoye Traoré, un grand maître chasseur. Le 20 février, entouré de plusieurs maîtres chasseurs, il a accordé une interview exclusive au journal Le Challenger.
Monsieur le secrétaire général, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Je m’appelle Diawoye Traoré, né en 1938 à Dogodouman, cercle de Kati, Région de Koulikoro. Je suis le secrétaire Général de l’ANACMA depuis 1991. J’ai succédé à Mamadou Diatigui Diarra. Je suis à mon quatrième mandat de cinq ans (renouvelable). L’association est à son quatrième congrès.
Depuis quand existe l’ANACMA et quels sont ses objectifs ?
L’ANACMA a été créée le 5 juillet 1991. Elle est à son quatrième congrès comme je le disais précédemment depuis le 19 mars 2011. Nous œuvrons pour la préservation de la faune et de la flore contrairement au préjugé sur la chasse. Nous voulons que tous les chasseurs parlent le même langage dans la paix et dans l’entraide.
Qui peut être membre de l’ANACMA?
Tout le monde ! Homme et femme, pourvu qu’on respecte nos statuts et règlement. Le statut de membre est lié à la possession d’une carte de membre. Mais il faut préciser que l’adhésion des étrangers est plus onéreuse que les nationaux. Les membres ne sont pas forcément des chasseurs. Ils peuvent être de simples sympathisants.
Selon vous qui est donc chasseur ?
N’est pas chasseur qui le veut. Car le chasseur est celui qui va dans la brousse pour tuer ou attraper les animaux. Il est le plus souvent une personne très avertie qui détient certains secrets sur la faune et la fore. Il a l’amour de la chasse. L’habillement ne fait pas le chasseur. Ce sont les chasseurs qui ont toujours découvert et fondé à 90% les sites des résidences humaines (villages et villes) en tenant compte de plusieurs critères.
Avant l’ANACMA existait-il une autre organisation de chasseurs ? Si oui faites-nous la genèse de celle-ci ?
Oui ! Il existait bel et bien une association de chasseurs qui date de l’époque coloniale. J’ai même le procès-verbal de la réunion du 2 février 1954 avec moi. A l’indépendance, le pouvoir de Modibo Kéita avait demandé aux chasseurs de se regrouper pour créer une association unitaire. Jean-Marie Koné avait été mandaté pour aider les chasseurs dans ce sens. Mais nos anciens ne se sont pas entendus dans l’esprit et la lettre des autorités, alors aucune association n’avait donc vu le jour. Le pouvoir s’est limité à inviter les chasseurs pour défiler à l’occasion des festivités du 22 septembre et l’accueil des délégations étrangères, bref des grandes festivités du pays au cours desquelles nous portions nos accoutrements en haillons. Pour ce faire, les pouvoirs successifs se bornaient à nous distribuer de l’argent et nous allions à N’Tomikorobougou pour faire des festins. Et, ce n’est qu’en 1991 que nous avons pu créer notre association à la suite de nombreux combats administratifs et judiciaires.
Quelle est la particularité de votre association ?
L’ANACMA se distingue par le fait qu’elle œuvre pour l’entente et la solidarité entre ses membres en particulier, mais entre les chasseurs de tous les horizons. Nous sommes ouverts au dialogue.
Êtes-vous représentés sur l’ensemble du territoire malien ?
Nous sommes présents dans toutes les régions du Mali à l’exception de Kidal et Gao. Dans tous les hameaux, tous les villages et toutes les grandes villes. L’installation ou le renouvellement de nos bureaux dans ces contrées se font toujours en présence des préfets, sous-préfet et représentants de cantonnement forestier.
Avez-vous une idée sur l’effectif de vos adhérents ?
Si tous nos adhérents devraient venir à Bamako, nous ne pourrions pas les accueillir tant ils seraient nombreux. Prochainement, je vous livrerais des preuves tangibles par des documents à l’appui. Notre association représente vraiment le terroir.
Quelles sont vos activités sur le terrain ?
Nous constituons de fait des supplétifs ou auxiliaires des forces de sécurité. Dans ce cadre, les arrondissements et les cercles ne disposant que de très peu d’effectifs (4 à 5 gendarmes ou gardes par endroit) qui ne suffisent même pas pour sécuriser les préfets ou les sous-préfets.
Donc le plus souvent, c’est au chasseur que le chef de village fait appel en cas de banditisme. Par exemple, tout récemment pendant l’hivernage, des bandits ont volé 100 têtes de bœufs à Kayes. Informés, nos hommes se sont mis à leurs trousses. Ils ont été arrêtés à Lakamané. Ils ont pu récupérer 60 têtes, 40 ayant été déjà vendues.
A Finkolo dans le cercle de Konlondièba pendant le mois de carême, c’étaient également plus de 100 têtes qui étaient volées. Nos braves chasseurs ont pu récupérer le butin. A Farabana dans la 2ème région, le 8 janvier, plus de 56 têtes avaient été volées également et c’est le chef Koniba Traoré (il est parmi nous) qui a donné l’alerte. On a pris le téléphone pour informer partout. Heureusement, ce sont les chasseurs de Ballé à la frontière mauritanienne qui ont pu arrêter les malfaiteurs et ramener les animaux à leurs propriétaires. Je peux citer de nombreux cas similaires.
Nous avons de contacts permanents et poussés avec certains cercles du pouvoir qui nous appellent sans cesse pour nous informer sur certaines situations. Mais pourquoi ne pas officialiser cela ?
Quelles sont vos difficultés ?
Comme vous voyez, nous agissons en lieu et place des gendarmes à pied et à vélo sans aucun moyen logistique. Les gendarmes et les chasseurs font ce qu’ils peuvent mais nous revoyons constamment des bandits que nous avions arrêtés fraîchement à l’air libre. Aussi, très souvent, y a-t-il des cas où nous faisons face à la justice pour des cas de violence supposée de nos chasseurs, accusés par ces mêmes bandits à tort. Il y a eu même des cas d’emprisonnement. Comme vous pouvez constater, les chasseurs étant des braves ruraux plus nombreux que les forces régulières de sécurité, nous jouons un très grand rôle que ne peuvent ces dernières même avec leurs véhicules tout-terrain et leurs motos.
Mais hélas jusque-là, les autorités ne perçoivent pas l’utilité publique des chasseurs. Moi Diawoye, je peux même dire que le Gouvernement n’a pas assez de considération pour les chasseurs. Par exemple, tous les vendredis il y a une émission de l’ORTM qui traite les questions rurales. On parle des cultivateurs, des éleveurs et des pêcheurs, mais jamais des chasseurs. Or paradoxalement, ce sont les chants à l’honneur des chasseurs (le n’donzo n’goni) qui accompagnent cette émission.
Est-ce que les autorités vous accompagnent vraiment dans vos activités ?
Comme je l’ai souligné plus haut, presque pas. Nous voulons simplement qu’elles reconnaissent notre association comme d’utilité publique. Qu’elles nous encadrent en nous donnant quelques moyens logistiques pour que nous puissions réellement aider les forces de sécurité sur le terrain. Les chasseurs ne connaissent pas les lourdeurs administratives pour agir, contrairement aux gendarmes et aux gardes forestiers. Nos chasseurs agissent spontanément dès qu’ils sont saisis pour traquer les bandits et les voleurs. Il faut qu’elles fassent vite puisqu’il y a trop d’insécurité dans le pays à l’heure actuelle. Nous pouvons vraiment faire beaucoup de choses si on nous en donne les moyens. Surtout dans les zones rurales.
Votre réaction par rapport aux problèmes d’insécurité aux Nord-Mali ?
Nous pensons qu’il faut rester derrière notre vaillante armée. Ce sont des hommes et des femmes auxquelsla Nationa confié la défense de son territoire et de ses biens. A notre avis, la population ne doit pas se mêler des affaires militaires. Il faut laisser à l’armée la tâche de résoudre le problème. C’est l’affaire de l’Etat. Ceux qui attaquent ne sont que des bandits. Ils ne viennent pas frontalement. Nous devons tous aider notre armée et prier pour qu’elle réussisse sa mission. Je pense que les chasseurs ne doivent pas se mêler de cela.
Y a-t-il d’autres associations que la vôtre au nom des chasseurs ? Si oui dites-nous vos rapports avec celles-ci ?
Il y en a deux autres : N’Kontron Ni Sanè etla Fédérationdes chasseurs du Mali. Par pudeur, il n’est pas bon de critiquer une association sœur. Mais sans être très lettré, je pense qu’une Fédération regroupe plusieurs associations. Ce qui n’est pas le cas dela Fédérationdont je viens de parler.
Nous n’avons pas de bons rapports. C’est seulement la moitié de N’Kontron Ni Sanè qui a pris langue avec nous. Pour le moment, il n’y a rien de concret. Nous avons voulu à notre niveau que les trois fassent un, mais en vain. D’ailleurs, les autorités nous avaient demandé, il y a plus de deux ans, de créer une Union de chasseurs du Mali. Mais les choses ne bougent point.
Avez-vous des contacts avec des Associations sœurs africaine ?
Oui ! En Guinée, il n’y a pas d’association structurée comme la nôtre. Mais les chasseurs de ce pays ont des relations soutenues avec nous et ont adhéré à l’ANACMA. Nous sommes en contact avec les chasseurs burkinabés, les chasseurs ivoiriens et autres. Des Maliens de France font partie de notre association. Nous y possédons même un bureau.
Propos recueillis par Gaoussou Madani Traoré