Dialogue inter-maliens: Moussa Mara relève des insuffisances

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L’ancien Premier ministre, Moussa MARA a rédigé une note relative au Dialogue inter maliens pour la paix et la réconciliation nationale. Tout d’abord, souligne-t-il que conformément aux termes de références l’objectif général de ce dialogue est de contribuer à la restauration de la paix, de la cohésion sociale et de la réconciliation nationale.

Selon Moussa MARA, il apparaît donc clairement que le dialogue est organisé autour des conflits, de la paix, de la réconciliation et de l’implication de la société dans la prévention et la gestion de ces aspects. Malheureusement, constate-t-il qu’au regard du processus, il apparaît certaines insuffisances qui risquent de compromettre l’ambition affichée par le chef de l’Etat. Comme insuffisance, M. MARA relève entre autres que le Dialogue omet des acteurs clés ; s’éloigne de son objet ; évoque des sujets déjà discutés.

Note

Le dialogue a été décidé par le Président de la transition, à la suite de son discours du 31 décembre 2023 pour enclencher une dynamique d’appropriation nationale de la gestion de la crise. Selon les propres mots du Président : « J’ai pris l’option de privilégier l’appropriation nationale du processus de paix, en donnant toutes ses chances à un dialogue direct inter-malien pour la paix et la réconciliation, afin d’éliminer les racines des conflits communautaires et intercommunautaires. »

Sur la base de cela, le processus a été enclenché et les termes de références indiquent que l’objectif général du dialogue est de contribuer à la restauration de la paix, de la cohésion sociale et de la réconciliation nationale en précisant les 8 objectifs spécifiques suivants :

– Fixer le cadre du dialogue

– Identifier les sources des crises

– Identifier les conditions des retours des réfugiés

– Prévenir et gérer les conflits en favorisant les mécanismes endogènes de gestion pour la paix

– Identifier les moyens de restauration de l’autorité de l’Etat dans la consolidation de la paix

– Renforcer la confiance entre les populations et les forces armées et de sécurité

– Renforcer la participation des femmes, des jeunes, des personnes vivant avec un handicap dans la prévention et la gestion des conflits

– Avoir une compréhension commune des meilleurs choix relatifs aux voies de dialogue

Les résultats attendus sont tirés des objectifs spécifiques. Il apparaît donc clairement que le dialogue est organisé autour des conflits, de la paix, de la réconciliation et de l’implication de la société dans la prévention et la gestion de ces aspects.

Malheureusement, au regard du processus, il apparaît certaines insuffisances qui risquent de compromettre l’ambition affichée par le chef de l’Etat.

  1. Le Dialogue omet des acteurs clés

Les conflits actuellement en cours sur le territoire malien, de même que les actes de violences perpétrés aux dépens des Maliens, sont le fait d’acteurs encore actifs sur le territoire. Il s’agit de groupes rebelles ayant des objectifs politiques et d’acteurs terroristes mus par des desseins religieux, sociaux, politiques voire géopolitiques. Ces acteurs sont les principales sources de violence et donc les principaux obstacles à la paix et à la coexistence pacifique entre les communautés au Mali.

Ils ont été d’emblée exclus du processus du dialogue inter maliens bien qu’étant maliens pour la plupart. Dans ces conditions, comment les résolutions du dialogue pourraient leur être opposables ? Comment se sentiront-ils concernés par ces décisions ? Comment appliquer les conclusions sur le terrain ? Comment obtenir la paix sans leur implication ?

D’autre part, à quelques jours du démarrage du processus du dialogue, les autorités ont suspendu les activités des partis politiques et les activités politiques des associations. Ces acteurs représentent un pan important de la société malienne. En les empêchant d’agir et de mener leurs activités, les autorités se privent de contributeurs importants au débat public. D’ailleurs, l’essentiel des acteurs politiques du pays ont indiqué, en réaction, qu’ils ne participent pas au dialogue. Le processus se trouve ainsi privé d’autres acteurs majeurs qui auraient accru sa pertinence.

En l’absence d’une part des principaux acteurs de l’insécurité et de l’autre, des principaux contributeurs au débat public, le processus du dialogue perdra une grande partie de sa crédibilité.

  1. Le dialogue s’éloigne de son objet

L’examen des termes de référence du dialogue permet de constater que les thématiques de discussions retenues sont fort éloignées de l’objectif général et des objectifs spécifiques pourtant clairement énoncés par les mêmes termes de références.

En principe, pour permettre d’atteindre les résultats attendus, les thématiques retenues doivent plutôt être directement liées aux objectifs spécifiques identifiés. Il doit être perçu à travers chaque thématique, le ou les objectifs spécifiques visés permettant d’aboutir au ou aux résultats attendus concernés. Or, à l’exception de la thématique 1 (paix, réconciliation nationale et cohésion sociale) et dans une certaine mesure de la thématique 4 (aspects sécuritaires et défense du territoire), il apparaît difficile de trouver un lien quelconque entre les autres thématiques (questions politiques et institutionnelles, économie et développement durable, géopolitique et environnement international) et les objectifs du dialogue ainsi que ses résultats attendus.

Nulle part dans les objectifs spécifiques, il n’a été question d’aspects politiques et institutionnels, d’économie et de développement ou encore de géopolitique. Et même quand il a été question d’armée, ce sujet a été abordé uniquement sous l’angle de la confiance entre les populations et les forces armées.

Au niveau de la thématique 1 qui a un lien direct avec l’objet et les objectifs spécifiques du dialogue, le document introductif de 6 pages aborde les problématiques de conflits dans le pays de manière générale et ne traite de manière approfondie aucun sujet en rapport avec la situation présente. Il ne fait aucune suggestion pour susciter les débats entre les Maliens et conclut en disant « le dialogue est une chance inouïe pour restaurer la paix, la cohésion, la réconciliation et l’unité nationale…le génie malien permettra d’y parvenir ».

Cela ressemble davantage à un vœu qu’à une note scientifique objective abordant les sujets de manière approfondie et ouvrant des perspectives rigoureuses de discussions. Et surtout, ce document n’aborde aucun des points mentionnés dans les objectifs spécifiques (causes profondes des crises, retour des réfugiés, appropriation nationale des solutions…).

Le document annexé au document introductif, lui aborde certaines thématiques en rapport avec les objectifs spécifiques, mais là également il s’égare dans des questionnements éloignés du thème essentiel (réorganisation administrative, coup d’Etat, pléthore des partis politiques…).

En ce qui concerne la seconde thématique en lien avec les objectifs spécifiques, le document introductif aborde effectivement la question de la confiance entre les forces de défense et les populations. Malheureusement comme le document précédent, il survole tous les sujets et met en débat des sujets sur lesquels les populations peuvent difficilement opiner car techniques (recrutement dans l’armée, surveillance du territoire, gestion des victimes de la crise…) ou qui font déjà l’objet de stratégies et politiques publiques dont certaines définies par les autorités de la transition elles-mêmes (place des autorités traditionnelles, communication, politique nationale de sécurité, …).

Les documents supports du processus élargissent ainsi considérablement les domaines de discussions, s’éloignent des objectifs spécifiques et résultats concrets attendus du dialogue et font par conséquent le lit d’un processus de défoulement collectif avec de nombreuses recommandations peu exploitables au regard de l’objectif initial affiché.

  1. Le Dialogue évoque des sujets déjà discutés

Avant ce processus de dialogue inter malien, il faut rappeler que le pays a conduit dans un passé récent le dialogue national inclusif DNI (2019) et surtout les assises nationales de la refondation ANR organisées par les autorités actuelles en 2021.

L’analyse croisée du processus du dialogue inter malien en cours et des discussions des assises de la refondation permet de faire quelques constats utiles à relever.

Par définition les ANR avaient une vocation globalisante et donc touchent tous les pans de l’État, de la vie publique et de la société. Elles ont ainsi contenu neuf (9) objectifs spécifiques et huit (8) résultats attendus. Elles ont surtout été organisées autour de treize (13) thématiques : (1) Questions politiques et institutionnelles – Gouvernance électorale ; (2) Défense et Sécurité – Souveraineté – Lutte contre le terrorisme – Questions géostratégiques et géopolitiques ; (3) Justice et Droits de l’Homme – Gouvernance –Transition numérique – Médias ; (4) Politiques étrangères – Coopération Internationale – Maliens établis à l’Extérieur – Intégration Africaine ; (5) Dialogue social : enjeux, défis et perspectives – Reformes sociales – Fonction publique – Formation –Emploi des jeunes – Entreprenariat ; (6) Planification Développement économique et industriel – Développement rural – questions économiques et financières – Fiscalités dépenses publiques ;

(7) Santé et Affaires sociales – Questions humanitaires, Réfugiés et déplacés internes ; (8) Administration du territoire – Réorganisation territoriale/ Détermination des circonscriptions électorales – Décentralisation – Accès aux services sociaux de base – Questions foncières ; (9) Paix, Réconciliation et Cohésion Sociale – Appropriation Accord pour la paix et la Réconciliation au Mali, issu du Processus d’Alger-Démobilisation – Désarmement – Réinsertion ; (10) Arts – Culture –Tourisme – Sport ; (11) Jeunesse – Sport – Education civique – Construction Citoyenne ; (12) Environnement – Assainissement – Développement Durable ; (13) Education – Questions scolaires – universitaires – Recherche scientifique.

Ce long rappel est fait pour démontrer que les 3 thématiques retenues par le dialogue (politique et institutionnel, économie et développement durable, géopolitique et environnement international) sont déjà largement prises en compte dans les débats des ANR d’il y a deux ans. Même les thématiques de paix et de défense y ont été abordées. Il est de ce fait clairement inopportun de vouloir toucher de nouveau des sujets débattus et conclus par nos compatriotes. Sujets ayant déjà abouti à la production de 517 recommandations issues des ANR et qui font par ailleurs l’objet de suivi-évaluation par un service créé pour l’occasion (CINSERE-ANR). Les recommandations des ANR ont servi de base au Cadre Stratégique de la Refondation de l’État (CSRE) réparti en 55 actions prioritaires, 153 actions prioritaires complémentaires et 309 actions non prioritaires pour la période de la Transition. Est-il possible pour le dialogue de faire mieux que cela ?

Au regard de ce qui précède, il apparaît pour le moins inadéquat de vouloir aborder toutes ces thématiques. Il aurait été mieux indiqué que le dialogue se cantonne uniquement à la paix et la réconciliation nationale comme l’a évoqué clairement le chef de l’Etat dans son discours du 31 décembre 2023. Ce qui lui aurait sans doute permis d’aborder cette question essentielle de manière approfondie, ouvrant ainsi la voie à l’atteinte des objectifs affichés initialement.

Moussa MARA

www.moussamara.com

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