Dialogue et de réconciliation nationale : « Le salut passe par l’inclusion des chefs et autorités traditionnels » dixit Dr Abdoulaye Sall

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  1. Abdoulaye Sall, président Cri 2002
    Abdoulaye Sall, président Cri 2002

    1.     réussir l’inclusion des chefs, autorités traditionnels, coutumiers et religieux dans le processus et les procédures de dialogue et de réconciliation nationale

En engageant le présent atelier national, le Gouvernement du Mali confirme sa ferme volonté de réussir l’inclusion des communicateurs traditionnels, griots, et les chefs, autorités traditionnels, coutumiers et religieux dans le processus et les procédures de dialogue et de réconciliation nationale telle qu’affirmée dans la feuille de route de transition politique adoptée par l’assemblée nationale le 29 janvier 2013, et concrétisée par la création et l’installation de la Commission Dialogue-Réconciliation avec pour mission de rechercher, par le dialogue, la réconciliation entre toutes les communautés maliennes.

Il s’agira au cours de ses deux années d’existence de recenser les forces politiques et sociales concernées par le processus de dialogue et de réconciliation, identifier les groupes armés éligibles au dialogue conformément à la feuille de route pour la transition, enregistrer les cas de violation des droits de l’homme commis dans le pays du début des hostilités jusqu’à la reconquête totale du pays, proposer les moyens de toute nature susceptibles de contribuer à surmonter les traumatismes subis par les victimes, identifier et faire des propositions pour la réalisation des actions destinées à renforcer la cohésion sociale et l’unité nationale.

Qui mieux dans la situation actuelle de suspicion généralisée que les communicateurs traditionnels, griots, et les chefs, autorités traditionnels, coutumiers et religieux pour cultiver, entretenir et vivifier cette dynamique, cette mécanique sociale, par le dialogue inclusif, la culture de la paix et  la prévention des conflits pour des élections apaisées ?

Encore faut-t-il qu’ils soient informés, formés sur la portée juridique de la feuille de route, son contenu, les enjeux, les défis, les perspectives, et ce que l’on attend spécifiquement des chefs et autorités traditionnels, coutumiers et religieux ?

Encore faut-t-il que l’on soit renseigné sur qui sont-t-ils, où sont-t-ils, que font-t-ils, que peuvent-t-ils apporter ?

  1. 2.     qui sont-t-ils, où sont-t-ils, que font-t-ils, que peuvent-t-ils apporter ?

Dans cette recherche, les Journées d’Engagements Publics (JEP) organisées en août et septembre 2012 par Cri-2002 dans les cercles de Koutiala, de Sikasso, et en décembre 2012 dans les six (06) communes du District de Bamako ont permis de lever un handicap structurel majeur dans le jeu, la place, le rôle et les responsabilités des acteurs locaux en convenant d’une compréhension commune, partagée et acceptée des concepts de chefs traditionnels (familles fondatrices de la cité), d’autorités traditionnelles (chefs de villages/fractions/quartiers investis de pouvoirs de proximité délégués de l’Etat), d’autorités coutumières (expertise dans un domaine spécifique : la parole, la forge, le cuir, la médiation, la faune et la flore, les eaux…) et religieuses ( foi et liberté religieuse garantissant la laïcité de l’Etat), et de la définition des fonctions attendues de chacune d’elles dans le cadre de la démocratie et de la décentralisation.

 

Ainsi, les familles OUATTARA et  COULIBALY, en leur titre de familles fondatrices de la ville de Koutiala, en constituent les chefs traditionnels et doivent se situer au-dessus de la mêlée en se consacrant exclusivement au règlement des conflits, des crises, à la médiation. Pour autant, tous les douze (12) chefs de quartiers, en leur qualité d’autorités traditionnelles nommées par le représentant de l’Etat comme auxiliaires de l’administration publique dans ses relations avec les collectivités territoriales et les communautés à la base, ne sont pas des OUATTARA et des COULIBALY. Il en est de même pour les familles fondatrices TRAORE, BERTHE et OUATTARA de la commune urbaine de Sikasso où tous les quinze (15) chefs de quartiers ne sont pas des TRAORE, BERTHE et OUATTARA, et pour les  six (06) communes du district de Bamako avec ses trois (03) familles fondatrices (les NIARE, les TOURE et les DRAVE) et ses soixante sept (67) chefs de quartiers qui ne sont pas tous des NIARE, des TOURE et des DRAVE.

 

Qu’en est-t-il des chefs traditionnels, des autorités traditionnelles, coutumières et religieuses des villages, des fractions et des quartiers des trois (03) régions du nord et des autres régions du Mali ? Les songhay, les soninkés, les peulhs, les bambara, les maures, les arabes, les sept (07) groupes principaux de touareg identifiés par le père De Foucauld que sont les Kel Ahaggor, les Kel Ajjer, les Taitok, les Kel Aïr, les Kel Adrar, les Iwellemmenden, les Kel Geres, et bien d’autres… n’ont-ils-pas leurs Niaré, Touré et Dravé comme le district de Bamako appelé la ville des trois (03) caïmans, leurs Traoré, Berthé et Ouattara comme la région de Sikasso appelée la région du Kénédougou ? Il faut bien y travailler, et sans a priori, sur le chemin de la place, du rôle, des responsabilités, de chacun et de tous pour le dialogue, la réconciliation nationale et des élections apaisées.

 

Ces précisions  permettraient de clarifier les titres,  les places, les rôles des différentes grappes traditionnelles, de résoudre de nombreux contentieux, malentendus et quiproquo en suspens depuis de nombreuses années, voire, depuis le temps colonial, et de tracer les contours des attentes, des perspectives en 2013. Il faut bien s’y attaquer en 2013, et après, pour redonner aux chefs et autorités traditionnels, coutumiers et religieux leurs fonctions de régulation et de stabilisation d’antan répondant aux besoins d’ancrage réel de la démocratie participative, de la décentralisation, de la paix et du développement institutionnel au sein des instances et de la société maliennes. Un objectif clé sur lequel Cri-2002 travaille depuis une dizaine d’années, aussi bien au sud qu’au nord du pays.

 

Il s’agit là d’une question existentielle de la Nation et de l’Etat du Mali dans leurs fondations d’autant plus que ces autorités qui détenaient et exerçaient le pouvoir réel avant la pénétration coloniale, ne peuvent plus, et ne doivent plus être, comme l’attestent leurs interventions de part et d’autres dans la crise actuelle,  que les ruines du passé, les figurines de la démocratie et de la décentralisation, appelées à disparaître.

 

Que et comment faire au regard de leur rôle et de leur place face à la résolution de la crise politico-institutionnelle et sécuritaire actuelle, surtout dans le nord après l’occupation,  pour que même en période de paix, ils puissent reprendre leur  place dans le cadre de la démocratie et de la République, et jouer leur rôle dans le sens de l’appropriation, de l’approfondissement de la politique de décentralisation et de développement institutionnel dans la gestion publique des affaires locales, régionales et nationales ? Il faut en faire de véritables acteurs constitutionnels dotés de statuts propres dans le cadre de la République et du développement durable.

 

Dans certains pays sahéliens comme le Niger et le Tchad aussi vastes que le Mali, aussi peuplés que le Mali en populations sédentaires et nomades, aussi pauvres que le Mali en Indices de Développement Humain Durable (IDHD), aussi confrontés que le Mali aux questions nomades, les chefs et autorités coutumiers, traditionnels et religieux constituent de véritables acteurs constitutionnels de la République dotés de statuts propres.

 

Au Mali, leurs droits et devoirs se retrouvent éparpillés dans un maquis de textes de lois et de règlements qui rendent leur lisibilité et leur visibilité quasi impossibles. Il faut en sortir en 2013 en revisitant les textes en vigueur et à travers des cas pratiques, des actions concrètes, identifiables et  mesurables en partant de la situation existante.

 

  1. 3.     contribuer à répondre à la violence des groupes armés par la puissance publique de l’Etat, et la non violence citoyenne, démocratique et républicaine, en faisant sien ce qu’écrivait le penseur Thucydide, il y a plus de 2.300 ans : « de toutes les manifestations de la puissance, c’est la retenue qui impressionne le plus »

J’ajoute, de la retenue de part et d’autre, bien sûr !!!  et,  sans pour autant oublier que l’Etat du Mali et la Communauté Internationale, à travers les Nations-Unies, restent et demeurent les détenteurs uniques et exclusifs de la puissance publique qui leur permet de prendre au nom de la collectivité et de la paix dans le monde des décisions obligatoires, voire coercitives, pour l’ensemble des populations et de l’humanité.

L’inclusion des chefs et autorités traditionnels, coutumiers et religieux dans cet exercice hautement patriotique impose qu’ils aient une connaissance et une compréhension claires, voire  limpides, de l’état des lieux de la situation, de leur place, de leurs rôles et de leurs responsabilités dans le cadre de la démocratie et de la décentralisation pour espérer y contribuer de façon significative et positive.

Un exercice, qui, il faut bien en convenir, doit alimenter  les différentes dynamiques en cours, notamment celles animées à travers la  Commission Dialogue et Réconciliation fraîchement installée par le Président de la République par intérim, vers la renaissance de la patrie, par la patrie et pour la patrie d’autant plus que c’est de la « patrie en danger » dont il s’agit, la patrie, définie comme la terre du père, mais on dit également la patrie mère, donc, la patrie, définie aussi comme la terre de la mère. Oui, notre patrie, la terre de nos pères et de nos mères, que nous devons léguer en état à nos fils et à nos filles, la République du Mali, est bien en danger !!!

  1. 4.     pour contribuer à y sortir avec à la clef des élections régulières, libres, justes, transparentes, crédibles et apaisées, il leur faut surtout  ne   pas prendre « l’ombre pour la proie », « les conséquences pour les causes », et vice versa… 

 

Si l’on se réfère à des pays africains qui ont subi de telles épreuves, comme le Tchad, la Côte d’Ivoire par exemple, il ressort que  les motifs à l’origine des rebellions apparaissent toujours comme des causes qui expriment « le rejet d’un fait accompli de déficit de gouvernance démocratique », la gouvernance se définissant comme « un système d’organisation, de protection, de préservation et de dynamisation des droits et devoirs de la personne humaine et des citoyens en posant des règles et des principes et en garantissant leur bonne application ».

Et, il faut en convenir une fois pour toutes, la gouvernance englobe les traditions, les institutions et les processus qui définissent comment le pouvoir est exercé, comment on donne la voix aux citoyens et comment les décisions sont prises.

Ils doivent être informés, formés et mobilisés autour des concepts, des grands principes et valeurs, des règles du jeu de la démocratie, de la République, de la décentralisation, des élections…

  1. 5.     comprendre et se convaincre que la démocratie avant d’être universelle, elle est d’abord culturelle… 

La démocratie athénienne comptait beaucoup plus d’esclaves que d’hommes libres. Et, qu’aucun pays développé, démocratiquement parlant, n’a laissé sa culture, ses traditions pour réussir sa mue démocratique sur le chemin de la protection des droits et devoirs de la personne humaine, du dialogue, de la réconciliation, de la paix, du développement durable.

Imaginez-vous un peu ce qui serait advenu de la Belgique des Flamands et des Wallons sans gouvernement pendant plus d’une année, s’il n’y avait pas le Roi des Belges ? Des monarchies constitutionnelles en Europe (Grande-Bretagne, Royaume des Pays-Bas, bien d’autres..) et dans le monde (Canada dont le Chef de l’Etat est la Reine d’Angleterre qui désigne un Gouverneur pour gouverner en son nom) sont-elles oui ou non des pays démocratiques ? Et que dire du Japon, avec son Empereur ?

Plus que jamais nous devons faire bon usage de nos systèmes et mécanismes traditionnels et cofessionnels de règlements des conflits, de médiation en matière coutumière, civile et commerciale dans le cadre de la démocratie et de la République. L’identification et la mise en relation de ces systèmes et mécanismes doivent constituer une priorité.

La réalité est que, derrière les mouvements de rébellions ethnico – islamo – jihadistes se tapit l’ambition cachée pour le pouvoir, pour le gain et pour le butin au profit d’un groupe et au détriment des autres. L’accaparement et le partage du pouvoir et du territoire qui constituent les nerfs de l’occupation avec son cortège de violations flagrantes des droits humains doivent être au cœur de la réflexion et de l’action.

Comment puiser dans notre culture et nos traditions pour y faire émerger des antidotes susceptibles d’éradiquer  de telles idéologies d’un autre âge.

  1. 6.     Les équiper d’un (01) point de convergence, et de sept (07) préceptes

Le point de convergence nous a été légué par les pionniers de l’indépendance, à travers notamment, deux (02) professions de foi du 1er Président du Mali, qu’il convient de rappeler :

  • «  le village est chez nous la cellule de départ et c’est la vitalité de cette cellule qui engendrera la vitalité de la nation tout entière. En effet, aucun régime ne peut être viable s’il ne repose sur le village » (allocution radiodiffusée au Peuple du Mali le 1er octobre 1961). Comment alors prendre le départ du dialogue et de la réconciliation pour des élections apaisées à partir des villages, des fractions et des quartiers ? Comment construire autour des chefs de villages, de fractions, de quartiers et leurs conseils, ces cellules vivantes ?  et

 

  • « si, en République du Mali, la religion avait été un instrument d’oppression et de domination, si elle s’était faite l’agent du système colonial, ou bien si dans notre passé lointain, elle avait été l’instrument de la féodalité, si elle avait joué le rôle de poison, comme facteur de résignation, alors la lutte contre la religion pourrait se justifier. Mais ce n’est pas le cas. Il n’y a pas de religion plus socialiste que la religion musulmane, parce qu’elle enseigne dans ses principes : aux riches à donner, à partager, à soulager la souffrance des autres » (discours prononcé à l’occasion de la fin solennelle des cours accélérés de journalisme à Bamako le 17 mars 1962). Que et comment faire pour redonner à la religion, à travers les trois (03) confessions religieuses (Islam, Christianisme et Protestantisme) leurs lustres d’antan dans le cadre de la démocratie et de la décentralisation ? Avons-nous une connaissance et une compréhension communes, partagées et acceptées sur des questions aussi fondamentales que la laïcité ? que la religion sur le chemin du dialogue, de la culture de la paix, de la réconciliation, des élections crédibles et apaisées ?

De même, sept (07) préceptes aujourd’hui universellement admis sont recommandés pour être  observés, respectés et effectivement mis en œuvre ,  suivis, évalués, contrôlés sur le chemin du dialogue et de la réconciliation pour des élections apaisées.

Il s’agit de :

  • « savoir écouter les autres, tous les autres, et aider chacun à exprimer son point de vue, ses aspirations, ses souffrances ;
  • savoir exprimer sereinement mon propre point de vue ou celui de ceux dont je défends la cause, de manière non agressive, sans faire aux autres des reproches non fondés ;
  • reconnaitre que souvent l’autre, comme moi, a des besoins et qu’il a parfois beaucoup souffert ; reconnaitre que l’autre comme moi a le droit de vivre et d’être heureux ;
  • chercher et proposer des solutions qui assurent non seulement mon intérêt propre, mais l’intérêt des deux parties ;
  • développer des alliances avec ceux qui veulent construire la paix ;
  • être tourné vers l’avenir, plus que vers le passé ; savoir que l’essentiel n’est pas ce qui s’est passé hier, mais ce que nous allons faire demain.
  • libérer en moi les forces intérieures de paix et de construction ».

 

  1. 7.     En guise de conclusion

L’inclusion des chefs, autorités traditionnels, coutumiers et religieux dans le processus et les procédures de dialogue et de réconciliation doivent ainsi transiter par :

 

  • le civil (le dialogue civil) en amenant les maliens et les maliennes à se parler, et surtout à connaître, à comprendre et à reconnaître que « la transmission fait l’homme » d’autant plus que l’homme se distingue des autres mammifères supérieurs par le fait qu’il est capable de transmettre ce qu’il a appris pendant sa vie. Il transmet son savoir, sa sagesse, mais aussi, sa violence, grâce au langage.  Il est impossible de vivre dans la société humaine sans rencontrer des situations conflictuelles. Dans un conflit, le violent veut s’imposer par la force. Il tient compte de ses seuls intérêts. Le non-violent, lui recherche une solution durable aux conflits. Il les règle dans le dialogue, dans la vérité et dans la fermeté. Aussi, face à la situation que vit notre pays, les instruments de mise en relation et en œuvre doivent s’articuler autour du dialogue, quelque soient les divergences de l’heure;

le technique (le dialogue technique) en apportant l’expertise, les capacités et les aptitudes du dialogue et de la réconciliation. Peut-on parler d’élections sans savoir ce que c’est une élection, sa portée, ses acteurs, ses défis, ses enjeux, son processus et ses procédures, les contentieux y inhérents ? et

le politique (le dialogue politique) en alimentant des fruits du dialogue civil et technique, le dialogue politique qui devrait être mené par les représentants élus et où les décisions qui s’imposent à tous se prennent.

Des aspects qui sont d’ailleurs pris en compte dans la Feuille de Route pour la Transition Politique. Il reste à les dérouler à travers des sessions d’information et de formation appropriées autour de trois dimensions : la dimension prévention, la dimension gestion et la dimension réhabilitation/renaissance démocratique et républicaine.

Je vous remercie !

 

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1 commentaire

  1. Monsieur Sow, je ne sais pas pour qui tu roules. Mais arrête de faire de “l’idéologie culturelle”, révise tes connaissances par rapport aux exemples que tu as avancé. Qu’est-ce que le Mali a de commun avec le Japon; berceau d’un empire qui a existé et résisté à de multiples forces (internes et externes) pendant des siècles et des siècles.
    Ici, tout ce qui vous intéresse, c’est de voir maintenir une certaine fausse aristocratie locale qui est d’ailleurs la cause de notre échec.
    Vive un nouveau Mali, sans inégalité sociale où l’homme serait jugé par rapport à sa propre valeur et non par son statut social qui le fait d’un éternel cadet social!!!

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