La dépigmentation ou le blanchiment de la peau est une pratique connue des Africaines, un phénomène sociologique. La peau claire a été associée à la beauté. Un complexe est né face à la supériorité de la peau blanche.
La dépigmentation volontaire est une pratique à laquelle des femmes s’adonnent. Jeunes ou adultes, elle a toujours existé car ce n’est pas un phénomène nouveau, mais avec le temps il y a eu de l’innovation. Avant, les femmes utilisaient les crèmes dépigmentant en mélangeant avec d’autres constituants comme l’eau de javel.
Aujourd’hui, pour accélérer le processus, les BGM (Beauté génétiquement modifiée) ou « tchatchos », une appellation pour désigner les utilisateurs de crèmes éclaircissantes, font recours à des injections et des pilules pour avoir un teint éclatant en seulement quelques jours.
Pourquoi la tendance prend-t-elle de l’ampleur maintenant ? Pour le sociologue Dr. Aly Tounkara c’est un phénomène sociologique. «On peut le qualifier d’effet domino, mais les raisons qui poussent certains hommes et les femmes, vu qu’elles sont majoritaires, à se dépigmenter dans le contexte malien, sont des raisons liées aux différentes perceptions exogènes, les effets induits par la colonisation, la mondialisation et le contact avec l’autre. Cela amène certains à penser que les bons modèles sont ceux venus de l’occident», analyse Dr. Tounkara.
Il ajoute : « elles sont dans un effet d’imitation du moment où le modèle occidental est perçu comme le meilleur. Les femmes ont fini par croire que la beauté, l’excellence et tout ce qui relève d’appréciable serait blanc. Naturellement c’est un complexe qui est innocent. Lorsqu’on croit à la supériorité d’une race, d’une couleur de peau, inconsciemment, elles ont fini par l’accepter voire même légitimer».
Certaines femmes s’adonnent à la dépigmentation suite à l’apparition des tâches et boutons au visage. Tel est le cas de Fatoumata Konaté, 23 ans, qui a commencé à se dépigmenter depuis ses 12 ans pour contrer les démangeaisons.
‘’Pendant ma puberté, des traces étaient mes alliées et cela me faisait sentir moins belle. Ma tante m’a donné une crème contre l’acné, au fur et à mesure que je l’utilisais, mes boutons disparaissaient et ma peau s’éclaircissait. Au final, j’ai fini par avoir un teint clair qui après est devenu trop fragile surtout mon visage suite à ma longue utilisation. Je ne supportais plus le soleil j’ai pris la décision d’abandonner’’, affirme-t-elle.
Certains produits blanchissants contiennent une forte concentrée d’hydroquinone et de mercures ce qui accélère la dépigmentation. Selon le dermatologue Yamoussa Karabenta ‘’ l’utilisation régulière de l’hydroquinone peut être cancérigène et dégrade la peau de manière irréversible.’’
Dans une grande boutique de la capitale où toutes sortes de produits et marques cosmétiques sont présentées, les femmes se ravitaillent pour entretenir leur peau.
‘’Nous vendons tous types de produits cosmétiques, et à tous les prix. Ça dépend juste de la bourse de l’intéressé. Nous faisons également les mélanges pour certaines femmes. Par exemple nous avons un mélange pour une jeune mariée qui veut avoir un teint éclatant et lumineux avant son mariage. Cela coûte un peu cher’’, explique un vendeur de la boutique.
A l’approche des mariages, les mariées rentrent aussi dans la danse en prenant des laits extra éclaircissants en moins de 10 jours. Car pour elles, pour avoir une peau tonifiée et brillante le jour de son mariage, il faut se dépigmenter. Avec cette nouvelle tendance, certaines perdent l’éclat de leur teint naturel avec brûlure généralement.
Dr. Yamoussa Karabinta :
« La dépigmentation volontaire, telle que pratiquée chez nous en Afrique, n’a pas d’avantage »
Dr. Yamoussa Karabinta, enseignant chercheur à la Faculté de médecine et d’Odontostomatologie de Bamako, également praticien hospitalier au CHU de Dermatologie de Bamako, explique les différents inconvénients de la dépigmentation.
Mali Tribune : Qu’est-ce qu’il faut entendre par une dépigmentation volontaire ?
Dr. Karabinta : La dépigmentation volontaire est une pratique néfaste, non médicale qui consiste à rendre claire une peau normalement pigmentée par l’usage des produits dépigmentant qui engendrent de graves problèmes de santé. La dépigmentation volontaire est un phénomène d’actualité. Attention, elle peut également être involontaire au cours de certaines maladies, les médecins utilisent des corticoïdes Topiques et par voix systémiques. Ces traitements à long termes peuvent engendrer une dépigmentation.
Mali Tribune : Qu’est-ce qu’un pigment ainsi que leur rôle ? Quels sont les produits dépigmentant ?
Dr. Y. K. : Un pigment est une substance chimique synthétisée par les différentes cellules de l’organisme. Et leur rôle consiste à donner une coloration naturelle à un organe, telle que la mélanine qui est un colorant naturel de la peau.
Les produits dépigmentant sont nombreux et l’hydroquinone constitue le produit le plus utilisé en Afrique, ensuite les dermocorticoïdes (préopinante de clobetasone), les dérivés de mercure.
On assiste aussi à des cas d’injection de triamcinolone (kenacort) qui est corticoïde d’action rapide.
Mali Tribune : Quels sont les méfaits de la dépigmentation volontaire ?
Dr. Y. K. : La dépigmentation volontaire à court, moyen et long terme peut engendrer de nombreux problèmes de santé telles que l’apparition ou aggravation d’une infection de la peau comme la gale, mycose, infection bactérienne, l’apparition ou l’aggravation d’acné, les vergetures larges, inesthétiques et irréversibles, les troubles de la cicatrisation, Ochronose exogène qui est une hyperpigmentation séquellaire localisée généralement aux zones photo exposées secondaires à une dépigmentation et les cancers cutanés. Les risques accrus d’hypertension artérielle, de diabète et insuffisance rénale…
Mali Tribune : Quels sont les avantages de la dépigmentation volontaire ?
Dr. Y. K. : La dépigmentation volontaire, telle que pratiquée chez nous en Afrique, n’a pas d’avantage. Car les pigments protègent la peau contre les radiations en les détruisant, on ne fait qu’exposer la peau à la survenue des effets néfastes des radiations. La dépigmentation peut être involontaire suite à la prescription de certains médicaments dans le traitement dermatologique comme le kénacord.
Mali Tribune : Quels genres de produits pour maintenir sa peau naturelle ?
Dr. Y. K. : La peau humaine a besoin d’être hydratée, lubrifiée et protégée contre les radiations ionisantes. Pour cela, il faut des crèmes émollients (Ectoderme crème, Dexeryl crème, Icthiane lait, Cande lait hydratant, Topic crème, Aven SPF 20, 30, 50 etc.
Mali Tribune : Quels conseils pourriez-vous donner à ses femmes ?
Dr. Karabinta : je dirai à celles qui s’adonnent à une telle pratique pour des raisons de beauté de cesser immédiatement, car une peau pigmentée est une peau naturellement protégée contre les cancers raison pour laquelle les cancers sont plus fréquents chez les blancs et Albinos que chez les personnes de peaux noires. La dépigmentation volontaire quelle que soit les raisons doit être évitée.
Portraits croisés :
Aïssata Brahima Traoré, Batoma Doumbia
Aïssata Brahima est une jeune entrepreneure évoluant dans la mode, une amazone de la valorisation du Made in Mali (Bogolan). A la vingtaine révolu, Aïssata est surnommé miss ‘’I Parila’’, Diamant Noir ou encore Black Queen par d’autres… Des surnoms qui font référence à sa peau d’ébène. Pour elle, la dépigmentation est un problème psychologique provoqué par un complexe créé par les proches, la famille, les amis. Par contre Batoma Doumbia, estime que la dépigmentation contribue encore plus à la beauté d’une femme.
Aïssata Brahima fait partie de Ces jeunes filles qui n’ont jamais songé à se dépigmenter. Elle aime afficher fièrement sa peau noire d’ébène que d’autre trouvent trop foncée.
Selon Aïssata, la dépigmentation est un problème psychologique, provoqué par le complexe créé par les proches, la famille les amis. Or, estime-t-elle, il faut une acceptation de soi malgré la différence de peau.
Malgré les préjugés, Aïssata n’a jamais touché à un produit éclaircissant. Diamant Noir s’est démarqué de celles-ci en restant le plus naturel possible et a su sublimer tous ses invités de par cette couleur de peau éclatante.
Si Aïssata n’a jamais touché à un seul produit qui éclaircit le teint, tel n’est pas le cas de Batoma Doumbia qui avait au début une peau d’ébène mais avec le temps a troqué celle-ci contre une peau totalement dépigmentée et ce avec les compliments de son entourage.
« J’ai pris goût à la dépigmentation, et le fait que mon entourage me disait tu commences à avoir un teint éclatant cela m’a encore permis de foncer».
Cette jeune femme dépense une somme colossale dans ses produits cosmétiques chaque mois tout pour avoir un teint éclatant et uniforme sans quinto.
« L’argent que je dépense dans la gamme complète (savon du visage et du corps, crème de nuit et du jour, lotion du visage, lait pour le corps) de mon produit dépigmentant est de 75 000 F CFA. Toutes deux semaines, je fais un gommage avec certains produits naturels tels que le henné, curcuma en poudre pour encore plus de brillance. La somme est énorme mais je suis satisfaite du rendu sur mon corps car tout est uniforme chez moi et sans tache », se vante-t-elle.
MICRO-TROTTOIR
Quelle couleur de peau préférez-vous ? Un teint clair ou une peau d’ébène ?
Si autrefois, les hommes aimaient plus les femmes de peau claire, aujourd’hui avec l’évolution et l’utilisation accrue des crèmes éclaircissantes, beaucoup préfèrent les femmes de peau noire, celles qui dépensent moins en produits cosmétiques et qui sont naturelles.
Moussa Diakité (étudiant) :
« J’ai toujours été fasciné par le naturel, teint clair ou noir, tout me va tant que ce n’est pas dépigmenté. Non pas à cause des dépenses liées à celle-ci, mais plutôt parce que j’en ai horreur ».
Mohamed Coulibaly (boucher) :
« J’aime les femmes claires de peau, que ce soit suite à la dépigmentation ou non. C’est son choix de changer de couleur de peau. Qui suis-je pour la jugée ? En plus l’amour ne tient pas compte de ces critères. L’essentiel est que ça vienne du cœur ».
Alioune Badra Coulibaly (entrepreneur) :
« Les femmes de teint noir ne me laissent pas indifférent surtout les foncées. J’ai une faiblesse pour elles, mais aussi un respect fou car dans ce monde de complexés où beaucoup de fille pensent que la beauté est liée au teint clair, elles arrivent à faire la promotion de la race noire. Chapeau à elles d’où ma préférence, une femme qui n’a pas encore trahi l’Afrique, dont la peau reflète son origine ».
Mohamed Haïdara (père de famille) :
« Les tchatchos n’ont pas de valeur pour moi. Elles sont comparables à des salamandres. Comment une peau aussi douce et dont l’éloge a été fait par les poètes comme Senghor est devenue une peau dont certaines ont honte ? Elles pensent qu’en modifiant cette couleur, cela changera quelque chose. Non, elles sont et resteront des africaines. Que ce soit ma femme ou mes filles à chaque fois que je remarque un éclaircissement sur leur visage, j’exige qu’elles changent de crème hydratant ».
Seydou Touléma (boulanger) :
« J’aime les femmes de teint clair. Soyons réaliste, les femmes qui se dépigmentent font de sacrées dépenses. Je condamne la dépigmentation, celles qui sont naturellement claires pour plus de brillance s’adonnent à cette pratique qui condamne la peau noire vers la perdition ».
Dossier réalisé par
Oumou Fofana