La dépigmentation volontaire est un phénomène bien ancré au Mali, portée par des normes esthétiques valorisant la peau claire. Malgré les risques sanitaires avérés, la pratique reste répandue, alimentée par un marché florissant et une forte pression sociale. Entre les témoignages de spécialistes, les réalités du commerce et les perceptions sociologiques, immersion dans un univers où la beauté s’achète à un prix fort.
L’idée selon laquelle une peau claire serait synonyme de beauté et de succès n’est pas nouvelle. Historiquement, elle a souvent été associée à un statut social élevé, notamment sous l’influence des canons de beauté occidentaux. Aujourd’hui, les réseaux sociaux et la publicité amplifient encore cette perception, rendant la dépigmentation toujours plus attrayante pour de nombreuses femmes – et de plus en plus d’hommes s’y adonnent.
David Sanon, sociologue, retrace l’évolution de ce phénomène auquel s’adonne jeunes filles et femmes âgées et qui a tendance à se développer dans notre. «La dépigmentation n’a pas toujours existé en Afrique. Elle s’est installée après les années 1975 avec l’arrivée massive de produits cosmétiques dépigmentant sur les marchés. Au fil du temps, le complexe face à la peau claire s’est accentué, notamment quand les femmes ont perçu que leurs époux semblaient préférer un teint plus clair». Fais remarque M. Sanon.
Dans les marchés de Bamako, les étals de cosmétiques débordent de crèmes, savons et sérums promettant un teint plus clair en quelques jours. Certains produits, comme «White Express» ou «Caro White», contiennent des substances interdites en Europe, telles que l’hydroquinone et les corticoïdes.
Awa Sylla, vendeuse de cosmétiques, témoigne de la demande croissante de ces produits aux conséquences multiples. «Mes clientes veulent une peau claire à tout prix. Certaines viennent en cachette, d’autres s’assument complètement. Je vends des produits venant du Sénégal, de la Côte d’Ivoire, du Nigeria et même du Ghana … Il y a de cela quelques, jours circulait sur les réseaux sociaux une méthode avec l’eau de javel pour savoir si les produits sont dangereux ou pas. Mais il y a eu des témoignages de spécialistes pour démentir cela. Parfois, je me demande si je fais bien de vendre ces produits. J’ai moi-même hésité à les utiliser. Même si je sais que ces crèmes peuvent être dangereuses, pourtant, si je ne les vends pas, quelqu’un d’autre le fera. Et puis, c’est mon gagne-pain. Ce commerce nourrit bien ma famille », indique-t-elle.
Face à cette dure réalité, les risques sont sans limite Certains produits détruisent la structure de la peau, provoquant un vieillissement ou même des maladies cancérigènes.
Dr. Madou Sissoko, dermatologue au Centre de dermatologie de Bamako à Djicoroni Para, décrit les conséquences visibles et invisibles de ces produits :
«La dépigmentation entraîne des vergetures profondes, des brûlures, et des complications comme l’ochronose (noircissement irréversible de la peau). Certains produits injectables peuvent même provoquer du diabète. Malheureusement, beaucoup commencent sans même s’en rendre compte, pensant simplement utiliser une crème pour embellir leur peau», déclare le toubib.
Malgré la persistance du phénomène, une prise de conscience commence à émerger. Des campagnes de sensibilisation mettent en avant les dangers de la dépigmentation et valorisent la beauté naturelle.
A en croire Dr. Sissoko, il faut aller dans la voie de la sensibilisation à travers l’éducation qui, selon lui, joue un rôle clé. «Il faudrait introduire un chapitre sur la dépigmentation dans les écoles afin que les jeunes comprennent les dangers avant de tomber dans ce piège», suggère-t-il.
Mais tant que les standards de beauté valoriseront la peau claire, et que les produits resteront facilement accessibles, la lutte contre la dépigmentation sera difficile et aura de beaux jours devant elle. Entre commerce, normes sociales et enjeux sanitaires, le Mali doit encore relever un défi de taille : convaincre que la beauté réside avant tout dans l’acceptation de soi.
Regina Dena
(stagiaire)