La dépigmentation est devenue un phénomène de mode au Mali. Elles veulent toutes s’éclaircir, des « analphabètes » aux femmes les plus instruites de la société.
Le Mali des années 70 n’est plus celui que nous connaissons aujourd’hui. Avant, comme se plaisent à le dire les aînés, la femme malienne était une référence de beauté dans toute la sous région. Les hommes venaient de partout pour choisir leurs futures épouses au Mali. Son beau teint noir d’Ebène en faisait rêver plus d’uns. Mais, depuis les années 80, tout a basculé avec la venue sur le marché de nouveaux produits miracles. Les produits à base d’hydroquinone permettant l’éclaircissement de la peau. Au départ, la femme qui se dépigmentait était vue d’un mauvais œil. On l’assimilait le plus souvent à une prostituée. Il existait même une chanson à l’encontre des dépigmentées. Des spots publicitaires passaient sans cesse à la télé et à la radio. Hélas tous ces efforts se sont avérés vains.
Ce problème de dépigmentation touche toutes les couches sociales : Les fonctionnaires, les commerçantes, les aides ménagères et même certains hauts cadres du pays. Celles là mêmes qui sont censées connaître les risques liés à l’utilisation des ces produits.
Le Dr Sory Diallo explique « la dépigmentation peut conduire à des maladies telles que le cancer de la peau, la destruction définitive de la mélamine. Elle entraîne un retard du fœtus, lorsqu’une femme enceinte se dépigmente, elle peut à terme, rendre le bébé malade mentalement. Il deviendra un attardé mental en gros. La cicatrisation devient alors difficile. Elle prendra plus de temps que chez un patient normal. » Le Dr Diallo signale avoir été confronté à un cas similaire. « Nous avons reçu une patiente qui venait de subir un accident grave de la circulation. Elle devait être opérée sur à la minute. Ce qui a été fait, mais malheureusement les points de suture n’ont pas tenu assez longtemps. La peau était devenue trop fragile et s’est relâchée petit à petit. Il n’y avait aucun moyen d’arrêter l’hémorragie. Elle est décédée quelques heures plus tard. » Le cas de cette patiente est un exemple parmi des milliers.
Des réactions
Fanta est étudiante à la fac : « je m’éclaircis parce que je trouve que la peau claire est très belle. Avant, j’avais une peau trop noire à mon goût et pour mon petit ami qui préfère les filles claires. C’est ainsi que j’ai commencé à me dépigmenter en espérant lui faire plaisir. Je me sens bien dans ma peau. Même s’il est vrai que l’entretien coûte un peu cher. Mais de toutes les façons puisque l’argent ne sort pas de ma poche, je suis tranquille.»
Mme Tino est fonctionnaire dans un ministère de la place : « j’ai commencé les produits depuis plus d’une vingtaine d’années. Au départ, c’était pour moi un phénomène de mode. Je croyais que c’était ça être à la page. Mais j’avoue qu’aujourd’hui, je le regrette amèrement. J’ai essayé d’arrêter, mais je me suis rendue compte que je ne retrouverai plus ma peau originelle. C’est comme une drogue, une fois que vous y plongez, il devient très difficile de s’en sortir. Je peux dépenser à peu près 30.000 FCFA par mois pour avoir des produits de qualité. Je prévois un budget pour ça. A 45 ans, j’ai encore besoin de plaire. Mon mari n’y voit aucun inconvénient, même si au départ, il était assez réticent. »
Django est aide ménagère : « Je suis à Bamako depuis deux ans. Je gagne 7500 FCFA par mois. Et le prix de ma pommade (éclaircissante), sort de mon salaire. Je dépense en moyenne 3000 FCFA tous les mois pour maintenir mon teint clair et éclatant. Je dépense tout ça parce que je suis obligée de faire le mélange de plusieurs produits afin que le résultat soit plus rapide. La peau blanche est la meilleure à mon avis.»
Chacune de ces femmes a ses raisons. Elles rassemblent les points de vue de beaucoup de nos jeunes sœurs et mères. Beaucoup le font aussi par complexe. Le complexe d’infériorité. Estimant qu’il n’y a pas de meilleure peau que la peau claire. Or, la peau noire ou brune est tellement belle. Elle reflète l’identité et l’essence même de la femme africaine.
La dépigmentation ne rendra jamais la peau belle. Elle la détruit plus qu’elle ne l’arrange. Et plus l’application est forte, plus l’odeur est insupportable. C’est à se demander comment elles arrivent à la supporter elles mêmes. Certaines préférant même se priver de nourriture pour acheter les produits, tant elles sont devenues accros au culte de la clairure.
Quand les hommes s’y mettent
Beaucoup affirment que le phénomène a connu une ampleur avec le retour des expatriés maliens en provenance des pays d’Afrique centrale. Ces pays sont réputés pour avoir un fort taux d’hommes qui se dépigmentent. Pourtant, des maliens le font de plus en plus. Surtout dans le milieu artistique.
Un danseur malien se confie : « J’ai commencé à me dépigmenter depuis environs 5 ans. Je suis naturellement noir de teint. J’ai voulu donner un peu plus d’éclat à mon teint lorsque j’ai commencé à utiliser des produits éclaircissants. Je le fais par pur plaisir. Une amie m’a conseillé les meilleurs produits du marché. C’est rapide et efficace. Je suis devenu clair en moins d’un mois d’application. Au départ, j’étais un peu gêné parce que les gens me regardaient bizarrement. Mais au fur et à mesure, on a commencé à apprécier mon nouveau teint. Cela m’a mis en confiance et j’ai continué. J’ai aussi commencé des injections qui coûtent cher, mais elles sont efficaces. Et l’effet dure 3 à 6 mois. Les filles aiment bien ça. Ma petite amie même m’encourage. Elle aussi le fait. On se sent bien dans notre peau. Je sais que cela peut donner des maladies mais je n’en ai jamais eu donc ça va ! »
Un phénomène venu d’Afrique Centrale ?
Toujours dans le milieu artistique, un musicien s’explique : « Vous savez, je suis né et j’ai grandi au Congo avant de venir m’installer dans mon pays natal il y a deux ans. J’habitais dans un quartier populaire de Brazzaville. Là-bas, toutes les jeunes filles et les garçons s’éclaircissent. C’était tout à fait naturel et normal. C’est comme la cigarette que tous les jeunes fument ici au Mali. Et dans le milieu artistique malien, la concurrence est rude. On fait ce que peut pour se maintenir coûte que coûte dans la course vers le succès. Je sais qu’il y a des conséquences sur la santé mais j’ai ça dans la peau. Il est difficile d’arrêter. Les nombreuses publicités sur les produits éclaircissants qui passent tous les jours à la télé ne sont pas faites pour nous décourager, au contraire ! »
Une pratique déplorable
Fatou, 17 ans, est élève en terminale dans un lycée de la capitale. Elle trouve désolant, la dépigmentation. Encore plus celle des hommes qui sont censés donner le bon exemple. « En essayant de parvenir à un certain idéal, ils oublient les méfaits que cet acte peut entraîner, même si l’effet recherché n’est pas toujours à la hauteur des attentes. Il faut qu’ils comprennent qu’on peut être bien sans pour autant recourir aux artifices. « Je trouve dommage de se gâcher la peau juste parce qu’on veut ressembler à quelqu’un. Rien ne vaut le naturel! », Déclare-t-elle.
La dépigmentation, un phénomène qui gagne du terrain au Mali
Le gérant du cyber Pathfinder Alphonse Erado Thera, préfère le naturel. Il estime que personne n’a le droit de se renier en essayant de s’éclaircir la peau. « C’est un phénomène qui ronge notre société. Aussi bien physiquement que financièrement. En plus, ce sont des produits importés. » « La dépigmentation serait-elle synonyme de beauté ? »
Elle gagne du terrain au Mali. Beaucoup affirment le faire sous l’impulsion d’amis. Ceux qui la pratiquent n’aiment pas trop en parler. Et les publicités quotidiennes qui passent à la télé démontrent que le phénomène n’est pas prêt de s’estomper.
Hawa Séméga