Baisse du pouvoir d’achat, insécurité, détournement de fonds publics, ou simplement absence de l’Etat ? Après plus de vingt ans d’existence, la majorité de la population de notre pays a du mal à percevoir l’impact de tout le bien que la démocratie était censée apporter à son quotidien. Un constat qui fera certainement grincer les dents, et perçu comme méchant dans la moindre mesure. Cependant, l’on se permet de constater que les promesses qui ont précédées la battue de la rivière n’ont pas été respectées au moment du partage du poisson. Les démocrates « sincères » pour lesquels la démocratie est synonyme de transparence et de respect de la légalité partagent cet avis. La crise multiforme dans laquelle est plongé le pays depuis 2012, est une opportunité à saisir pour faire l’état de notre parcours dans la démocratie. Il serait regrettable qu’au mépris de la lucidité que nous continuons à magnifier une démocratie dont l’exercice a conduit à l’embourbement actuel. Aujourd’hui, le Mali est dotée de tous les ingrédients pour l’exercice d’une démocratie synonyme d’Etat de droit. Espace d’interpellation démocratique, parlement des enfants, médiateur de la république, vérificateur général… sont quelques une de ces structures dont l’existence devait inverser la tendance du « laisser –aller », la corruption et l’injustice sociale. Fort étrangement, les anciennes pratiques ont toutes survécues à toutes ces structures et semblent même se renforcées.
Les acteurs du mouvement démocratique (pionniers en la matière) se sont emmurés dans le déni de la réalité et la démagogie. Conséquence, après plus de vingt ans, le peuple est encore loin de s’approprier cette nouvelle forme de gouvernance fondée sur le respect du droit dans son sens le plus large possible. Par défaut, le mouvement démocratique a créé une parodie qui lui permet de vivre une démocratie virtuelle pour se mettre à l’abri des critiques pouvant mettre en lumière ses tares et défauts.
Le travail d’éducation, de formation et d’information de la population a été ignoré par les pionniers. Malgré les sommes astronomiques allouées par l’Etat sur fonds publics aux différentes formations politiques, l’enracinement de la démocratie par la formation et l’éducation ne figure dans aucun agenda politique. L’aide aux partis politiques est détourné de son but et sert aujourd’hui à l’achat de conscience, de vote et autres tripatouillages pour accéder au pouvoir.
La crise multiforme qui a éclaté en 2012 n’est pas fortuite, elle est le résultat des mauvaises pratiques politiques en matière de gouvernance et le recul de la justice sociale principale cause de la révolution de Mars 91.
L’instauration d’une justice sociale, la fin du népotisme, du clientélisme, la bonne gouvernance… De tous ses vœux pieux, seule la liberté d’expression semble marquer le pas avec comme seul consigne : suivre la direction du vent et éviter les sujets qui fâchent. Oui !, au Mali on peut tout se permettre au nom de la liberté (occupation anarchique de la voie publique, corruption, violences verbales, spéculations…) sans aucune crainte, car chacun est couvert par l’immunité de l’impunité, du moins les chanceux ! Pour le reste, le peuple n’a que la portion incongrue de la démocratie. (Réservoir d’électorat, de manifestants, boucliers…) A ce rythme, point n’est besoin de faire un dessin de l’avenir du pays !
Certes, la démocratie nous a soustraits à la couronne d’enfer promis par un général au sommet de sa gloire, mais en lieu et place, elle nous a enfilé une camisole de précarité qui nous coupe le sommeil.
Après plus de vingt ans, les gouvernants du pays ne montrent aucun signe d’une prise de conscience sur la nécessité de faire la politique autrement afin de conformer leurs agendas aux priorités du peuple. Un peuple attend la fin de l’impunité et le début de la lutte contre la corruption. Deux préalables qu’il considère comme préalable pour l’amélioration de son cadre de vie. Cette attente se prolonge indéfiniment au gré des nouveaux défis qui se posent au pays.
L’heure n’est pas au regret. Le peuple en son temps, a fait le choix de remplir son devoir pendant la lutte contre la dictature et il l’assume. Au Mali, nul ne crachera sur notre démocratie chèrement acquise. Cependant, bon nombre d’entre nous, pensent qu’elle prend des allures d’une aventure qui n’augure pas l’avenir radieux escompté.
Le chômage, le détournement de fonds publics et la corruption, ont survécu aux régimes successifs de l’ère démocratique, pourtant légitimé par la population dans sa majorité. Aucun d’entre eux n’a pu mettre à profit cette légitimité populaire, pour prendre à bras le corps ces maux qui minent notre développement et annihilent tous nos efforts. Bien au contraire, ils ont pris l’ascenseur, en intégrant d’autres greffons tels que la surfacturation, l’attribution de marchés de gré à gré, et les produits frelatés qui leur sont devenus totalement compatibles.
Sur le plan politique, les objectifs de la révolution ont fait place aux règlements de comptes personnels et aux alliances de contre nature dont chacun semble s’accommoder. Tous les moyens sont bons pour rester dans les rouages du pouvoir. Ainsi, les loups ont investi la bergerie sous les aspects de brebis avec un sans- gêne qui n’offusque personne. Dictateur hier, chantre de la démocratie aujourd’hui !
Les convictions d’hier, appartiennent désormais à hier ! La passivité de la population dans sa grande majorité découle de nombreuses frustrations nées de certaines pratiques politiques qui ont cours et que l’on croyait révolu après la révolution.
Du fait de la surenchère politique, présentée comme baromètre de la vitalité démocratique par ses partisans, notre pays est devenu une proie à la portée de tous les prédateurs, et exposé aux risques de tous genres. Notre classe politique récuse sa responsabilité dans la descente aux enfers. Elle présente des boucs émissaires et brouille les pistes.
Aucun danger, aucun risque, ni même l’implacable réalité du mal vivre dans ce pays, ne parviennent à entamer l’ardeur des hommes politiques dans leur quête de l’essor personnel. Tels des noctuelles, ils vivent des larmes du peuple, à travers surfacturations, détournement de fonds publics, corruption et injustices sociales. Cela va de soi quand on regarde dans le rétroviseur le cheminement de notre pays sur la voie de la démocratie.
La victoire du peuple lui a été volée, avec la complicité du mouvement démocratique. La fusion du camp des vainqueurs et celui des vaincus a fait l’effet d’une douche froide sur le peuple. Sa foi inébranlable à l’avènement d’un monde meilleur et son enthousiasme à soutenir les valeurs démocratiques se sont heurtées à la résistance des hommes politiques au changement souhaité. Echaudé par l’administration, bercé par les politiques et trahis par les organisations de la société civile, la lutte pour la survie s’est imposée à la grande majorité de nos concitoyens. Dans ce cas, les armes utilisées ne peuvent être que de nature prohibée. Sans recours fiables, le peuple est devenu corrupteur et complice des fossoyeurs de la république. Un drame en soi, dont l’unique victime est notre pays que chacun dit aimé ! Comment doit-on percevoir la démocratie dans ce pays ? Outil de gestion appropriée porteuse d’espoir ou instrument de domination aux mains de quelques privilégiés ?
La seule certitude du moment, est que le pays se développe pour certains, et pour la grande majorité : le chômage, la baisse du pouvoir d’achat …la précarité sont devenues le lot quotidien. Aucun discours ni aucune embellie, ne pourront dissimuler cette fracture sociale. La démocratie, c’est quoi même ? Une Parodie ? Certainement parce qu’elle est embourbée dans une crise de croissance interminable.
Bouba Sankaré