Décryptage : Une idée d’un Mali pacifique

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Ag Alinsar, Barry, Cissé, Coulibaly, Diarra, Kanté, Keïta, Maïga ou Traoré… On pourrait en citer d’autres encore : tous ces « chefs de guerre » ont transmis, chacun à sa façon, une idée d’un Mali pacifique. 

En général, les détenteurs du pouvoir sont adoubés par le peuple. Cela vaut pour ceux qui ont échoué comme pour ceux qui ont tenu, pour ceux qui ont perdu comme pour ceux qui ont gagné, pour ceux qui se sont comportés de manière héroïque aussi bien que pour ceux qui ont failli. Soundjata Keïta a pacifié le Mali : Charte de Kurukanfuga. Chi Ali (Sonni Ali Ber) de Kanta à Sibiridougou a glorifié le Mali : « Aucune de ses armées, lui présent, ne fut mise en déroute : toujours vainqueur, jamais vaincu », (Kati : 1913). Son successeur, Askia Mohamed, avec l’aide de ses jurisconsultes-Mohammed Toulé, Salif Diawara, Mohammed Tenenkou, Mohammed Haougaro ou Mahmoud Kati-, règlemente la vie quotidienne : mariage, fiscalité, conflit de terre, etc. Biton Coulibaly fait de Ségou la « perle du royaume bambara ». Sékou Amadou Barry organise le Macina et établit des liens forts avec Usman Dan Fodio de Sokoto (Nigéria). Babemba Traoré ou Firhoun Ag Alinsar résiste à la pénétration coloniale, et restent des références importantes pour les générations d’après. Par ailleurs, c’est aussi le cas en des temps différents, des rois Mossi du Burkina Faso.

On se rassure comme on peut

Au Mali, Modibo Keïta, après sa brouille avec la France du Général de Gaulle, parvient à obtenir le soutien de l’Union soviétique et la Chine pour créer un régime socialiste. Il est néanmoins évincé par sa propre armée, à sa tête, le lieutenant Moussa Traoré. Amadou Toumani Touré, ATT, c’est bien connu des Maliens, symbole adulé des années 1990, dote le Mali démocratique de sa première constitution (février 1992). Quant à Alpha Oumar Konaré, incarnant le Mali comme personne, il met le pays en chantier : libéralisation de l’économie, liberté d’expression, suffrage universel, décentralisation… Son successeur, ATT, s’enlise. En mars 2012, ATT est écarté du pouvoir par ses frères d’armes sous la férule du capitaine Amadou Haya Sanogo. Quant à Ibrahim Boubacar Keïta, IBK, il est chassé du pouvoir à environ 3 ans de la fin de son 2e et dernier mandat par le Colonel Assimi Goïta. Le contexte était celui des contestations populaires, menées par le M5-RFP, qui lui reprochait de mal gérer le Mali et de ne pas écouter les Maliens. On se rassure comme on peut !

Les crises usent les hommes

Dans les crises maliennes, être l’homme de la situation, c’est susciter l’ingratitude. Mais aussi accepter la critique, ingrédient indispensable à la vie démocratique. À Bandiagara ou à Djenné, les populations se mobilisent contre l’enfer terroriste. D’ailleurs, pas seulement au Mali. Au Burkina Faso, les populations manifestent contre la dégradation sécuritaire. Au Soudan, la population résiste contre la confiscation du pouvoir par le général Abdel Fattah Al-Burhane. Les crises usent les hommes. Elles font tourner en rond. Ce qui n’est pas de bon augure pour ceux qui détiennent le pouvoir. La crise sécuritaire actuelle au Sahel n’a pas de précédent contemporain. Partout, elle déferle. Les massacres civils et militaires au Niger, au Burkina Faso et au Mali sont légion. Quelle malédiction ! Les valeurs sociétales et les règles du vivre ensemble sont jetées par-dessus bord. Les équilibres sociaux entre les communautés ne sont plus qu’un souvenir évanoui dans cette partie du Sahel. Quel désordre social ! Les stratégies de sortie de crise échouent. Les exécutifs s’embourbent dans des poncifs. Alors que les populations ont besoin d’actes concrets pour maîtriser leur destin. Hélas ! La tempête sécuritaire fait sauter tout calcul. Elle rend l’avenir du Sahel indéchiffrable tant qu’on ne sème pas une attitude citoyenne pour développer les pays.

Crise de citoyenneté  

En attendant, le Sahel est frappé par une espèce de crise de citoyenneté dont une des causes est la rupture socio-économique des liens entre les élites (une partie) qui abusent et profitent des biens publics et les populations qui ne bénéficient de rien, et vivotent comme elles peuvent. Alors qu’elles sont toutes deux citoyennes. Conséquence : on remarque un sentiment dominant chez les populations, qui se traduit par « ça ne sert à rien » de chercher un travail ou de croire à l’accès équitable à l’école, à l’eau ou aux soins. Ce « ça ne sert à rien » s’illustre davantage par le fait que des pans entiers des jeunes (hommes, femmes) sont exclus de la dynamique sociale et économique du Sahel.

Je finis cette chronique par où je l’ai commencée, c’est-à-dire notre héritage historique. De retour d’une campagne militaire, et au détour d’une promenade à Tendirma, Askia Mohamed disait ceci : « Que ce pays est beau et magnifique ! Malheureusement, on n’y trouve jamais deux personnes qui soient d’accord sur un même point. ». Parce que dit Askia, «Le fleuve qui l’arrose a un cours tortueux ; par suite, ceux qui boivent de son eau n’ont pas une parole ferme et ses riverains ne s’accordent pas entre eux » (Kati : 1913).

Mais quelles attitudes citoyennes et politiques pour changer nos sociétés et développer cette culture commune de cohésion ?

 

Mohamed Amara

Sociologue 

 

 

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