Plus les élites dirigeantes sont incapables de satisfaire les besoins essentiels, plus sont importants les risques d’instabilité et de rupture politique.
Ni l’âge, ni la maturité démocratique ne garantissent des élections sans violences.
C’est dans les épreuves qu’on évalue les dirigeants. Alassane Dramane Ouattara (78 ans) a été réélu (3eme mandat) au 1er tour de l’élection présidentielle à 94, 27 % des voix selon la Commission électorale indépendante (CEI). L’opposition conteste les résultats de l’élection pour l’illégalité de la candidature de Ouattara, et crée un Conseil national de Transition, présidé par Henri Konan Bédié (86 ans), ancien président de la République, et chef du PDCI, Parti démocratique de Côte d’Ivoire. C’est le point de départ de la crise post-électorale ivoirienne. Le scénario malien plane sur la Côte-d’Ivoire où la colère des populations a eu raison du régime d’IBK. En Guinée voisine, l’homologue de Ouattara, le président Alpha Condé (82 ans) est loin de sortir de la crise postélectorale. Son opposant, Cellou Dalein Diallo (68 ans) de l’UFDG, Union des Forces démocratiques de Guinée, conteste la réélection de Condé, et dénonce le tripatouillage électoral.
Même la 1ere puissance économique mondiale, les Etats-Unis d’Amérique, inquiète à cause des tensions suscitées par la campagne électorale entre le 45eme président américain, Donald Trump (74 ans), et le candidat démocrate, Joe Biden (77 ans). Ni l’âge, ni la maturité démocratique ne garantissent des élections sans violences : conflit, destruction de biens privés et publics, émeutes, hostilité, terreur… Or, l’élection présidentielle reste la variable par excellence pour mesurer la santé d’une démocratie. Nos sociétés, partout dans le monde, fabriquent de plus en plus de la violence. Triste 21eme siècle. Peut-on espérer être à l’aube d’un renouvellement démocratique pour ne pas sombrer dans le fatalisme ambiant ?
La peur de la violence résonne sur la Terre d’Eburnie. Les citoyens souhaitent y préserver le peu de stabilité politique existante. Ainsi, le citoyen Ivoirien ne veut plus revivre le conflit des années 2010-2011. La priorité reste la satisfaction des besoins essentiels : accès aux soins de santé, à l’eau ou à l’électricité, liberté d’aller et venir.
Autant dire que la responsabilité des organisations africaines et internationales, comme la Cédéao, est titanesque pour redorer le blason de la démocratie, au sens athénien du terme. A ce propos, la surveillance des foyers de tension pour prévenir les crises post-électorales, la persuasion des chefs d’Etat par leurs pairs à céder la place, et la transparence des processus électoraux, restent une hypothèse pour conjurer la violence et la mauvaise gestion. Faute de quoi le sentiment de rejet de la Cédéao par les populations grandira, comme on a pu le constater lors de la crise malienne, à l’origine de la chute du régime d’IBK en août dernier.
Peut-on servir son pays sans être au pouvoir ?
Au Mali, entre le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP) et les autorités de transition, des tensions (source de violences) raidissent leurs rapports. A l’origine de ces tensions, appelées désaccords, ce sont des différences d’appréciations entre eux sur la marche à suivre de la transition. Deux principalement. La 1ere tension tient au mépris dénoncé par le M5-RFP de la part de l’exécutif à son égard. Le M5-RFP reproche au pouvoir de la transition de l’avoir consulté, mais sans jamais l’associer à la gestion du pouvoir.
“Ainsi, dans le seul but de marginaliser le M5-RFP et d’accaparer tout le pouvoir pour ne pas avoir en face une véritable légitimité qui ne serait ni otage ni impuissant : tous les engagements pris, même sous serment d’officier, ont été violés ; les conclusions des concertations sur la Transition ont été falsifiées (…). En quelques semaines l’espoir s’est transformé en défiance, la confiance en déception et la Transition s’achemine vers une inéluctable impasse… “, extrait de la déclaration de l’Assemblée générale du M5-RFP, 24 octobre 2020.
La tension entre le M5-RFP et les autorités de la transition est pathétique. Evidemment, cela dénote des contradictions et des luttes de pouvoir. Chaque camp est pris dans une aventure infinie pour exercer ou conserver le pouvoir. Et une des conséquences immédiates est qu’au lieu de construire, tout est jeté par-dessus bord. La pirogue prend l’eau sur le fleuve Niger. Alors que les populations de Farabougou vivent dans la peur des effets collatéraux d’un éventuel affrontement entre les groupes terroristes et les FAMa. Du coup, peut-on servir son pays sans être au pouvoir ou peut-on être au pouvoir sans servir son pays ?
La 2eme et dernière tension concerne la tentation de ne considérer le pouvoir que pour lui-même, ce qui nous aveugle. Au point que, souvent, “nous mettons l’est en ouest“ disent les Kabyles. On confond tout. C’est aussi une des origines d’un sentiment de trahison des Maliens à l’égard de la classe politique. La suite, on la connait. L’idée de construire l’unité malienne, la sécurité, et modeler un citoyen a été abandonnée par cette élite dirigeante. En plus du manque de fermeté et d’autorité, IBK a ainsi chuté parce qu’il n’a pas pu et su imprimer la bonne gouvernance et ramener la sécurité. La lutte contre le terrorisme n’a jamais abouti : instrumentalisation de conflits entre communautés, développement de la criminalité, corruption, etc. Alors même que les Maliens l’élisaient pour la 1ere fois en 2013 à la magistrature suprême, car ils attendaient de lui la même destinée qu’un Soundjata Keïta ou un Apha Oumar Konaré. Mais, hélas, la classe dirigeante ressemble à un sac vide qui ne tient pas debout à cause de la corruption dont son vaccin reste la transparence. Enfin, ces deux tensions sont à interroger pour sortir des rapports de force qui pourraient se retraduire dans des conflits personnels.
Le bon sens doit primer sur les conflits d’égo
C’est donc le moment pour l’exécutif de presser le pas pour rehausser le niveau du Mali avant qu’il ne soit trop tard. La capacité d’écoute de Bah N’Daw et de son Premier Ministre, Moctar Ouane, leur disponibilité à rendre compte aux Maliens, et leur courage à corriger leurs erreurs face aux crises seront un atout majeur pour conduire la transition à bon port. Il s’agit donc de se montrer infaillible pour sortir le pays de la spirale de la violence. Ce sera un des enjeux à relever pour replacer le Mali dans les flux du temps des trente années à venir. Le même impératif vaille aussi pour les voisins du Mali, tous pris dans la gestion de crise post électorales. Sur ce point, le bon sens, la capacité à discerner et à garder le sang-froid, doivent primer sur les conflits d’égo, foyer des crises et de l’instabilité dont les populations sont les premières victimes. Mais encore faudrait-il en être conscient ?
Mohamed Amara
(Sociologue)