Le Mali est l’homme tourmenté du Sahel. Plusieurs parutions nationales et internationales ont été publiées, et s’accordent à dire que, face à l’après IBK et à la Covid-19, le pays s’est montré impréparé pour soulager et apaiser les Maliens. Au point que se diffuse dans le pays un sentiment de « divisions » mordillant le fil de la cohésion nationale. Pourtant, au Burkina-Faso ou en Côte d’Ivoire, malgré les adversités politiques, on observe des gestes d’unité autour de l’exécutif pour affronter les crises.
Il est certain que le trio, Bah N’Daw, Assimi Goïta et Moctar Ouane, tâtonne, et parfois trébuche. A leur décharge, ils dirigent le pays dans un contexte sécuritaire et sanitaire sans précédent. Ils héritent de situations violentes sans y être bien préparés. Par le passé, d’autres exécutifs ont été impuissants et ont été finalement emportés par la colère des Maliens. L’exécutif actuel est ainsi dans un équilibre fragile que seule une communication franche et structurée peut aider à stabiliser.
L’exécutif doit donc affronter la guerre de la communication, en évitant de se laisser dépasser par la révolution numérique et les réseaux sociaux (Facebook, Telegram, Twitter, WhatsApp, etc.) sur lesquels se propagent les fuites politiques : discours, décisions, nominations… Par exemple, fin novembre, un discours de Bah N’Daw sur la crise sanitaire a fuité sur les réseaux sociaux bien qu’il ne l’ait finalement jamais prononcé. La semaine dernière à Abidjan, lors d’une rencontre avec la Diaspora malienne, les propos de Bah N’Daw à l’endroit des syndicats grévistes au Mali ont circulé sur les réseaux sociaux. La suite on la connait. L’Union nationale des travailleurs du Mali, (UNTM), se retire des négociations avec l’exécutif concernant la revalorisation des salaires.
Toujours en décembre, une lettre de démission du Directeur général de l’Agence pour la Promotion de l’Emploi des Jeunes (Apej), classée confidentielle, a été diffusée sur les réseaux sociaux : « … je constate depuis un certain temps qu’un climat délétère s’est installé au sein de ma structure avec des suspicions de tout genre, motivées par une volonté manifeste de me nuire. Partant de ce constat, il m’est impossible désormais de continuer à servir avec efficacité la cause de la jeunesse malienne. C’est pourquoi, je vous présente ma démission avec effet immédiat… ». La liste pourrait être longue.
Un des effets immédiats de ces fuites sur la toile, c’est qu’elles participent d’un mécanisme de production du trouble, qu’on peut appeler le trouble malien. La notion de trouble peut être comprise comme une agitation, une confusion, un déséquilibre, un désordre, une faute. On pourrait multiplier les qualificatifs. En tout cas, ces fuites participent de ces troubles qui installent un climat de suspicion et de défiance entre les autorités intérimaires et une partie des Maliens qui dénonce la méthode actuelle de gouvernance.
Un autre trouble, c’est le rebond actuel des contaminations du Coronavirus qui illustre la fragile situation politique et sociale du trio. Les corona-sceptiques, ceux qui croient peu ou pas au virus, ont contribué au relâchement des gestes barrières. Hélas ! Le travail de sensibilisation et d’accompagnement des services du ministère de la Santé et du Développement social a été ramolli probablement à cause du putsch du 18 août dernier, créant un tant soit peu, un moment de flottement dans la gouvernance. Il reste à trouver des ressources internes pour mieux s’organiser et porter la réplique contre la Covid-19 en attendant d’être vacciné, une toute autre affaire…
Pour conclure, les tensions sociales restent vives comme elles le sont depuis le contentieux électoral des élections législatives, lors des mobilisations syndicales pour l’application de l’article 39 ou la manifestation des soignants en avril à Kayes pour réclamer plus de matériels de protection contre le Coronavirus. Le Mali est constamment déchiré. Et cela depuis 2012. Malheureusement. Les exemples d’unité et de solidarité nationales sont peu nombreux. De plus en plus, des nouvelles ruptures se dessinent entre ceux qui siègent au Conseil national de Transition (CNT) et ceux qui n’y siègent pas ; avec une hostilité entre les mastodontes politiques et les jeunes loups, entre ceux qui veulent agir pour le devenir du Mali et ceux qui s’insurgent.
En attendant, aujourd’hui, l’urgence est de reprendre la main pour laisser un temps de répit aux Maliens. On disait qu’il était impossible de faire partir le régime d’IBK. Mais, c’est chose faite. Par contre, on continue à se crêper le chignon alors que les quidams de Gounambougou, Farabougou, Kroumalé ou Bentia cherchent juste à vivre. Dignement. Le Mali nous berce, et la passion ne devra pas prendre le dessus sur la raison. Les autorités de la transition doivent mieux organiser l’avenir du pays et apaiser les foules pour que l’année 2021 soit meilleure que 2020, l’année de tous les troubles. Le Mali doit avoir un sens, et la flèche du temps doit bien aller quelque part.
A la place de la peur du lendemain et des exclusions sociales, ne devrions-nous pas espérer que 2021 nous apporte la joie de vivre et la fierté d’être Malien ?
Mohamed AMARA
Sociologue
La comédie ne prend pas longtemps pour être comprise comme telle.
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