Hier, les coépouses se glorifiaient de vivre en bonne harmonie aujourd’hui, la guerre est devenue la chose la plus naturelle.
Les signes extérieurs de richesse sont peut être la chose la plus variable au monde. Dans certaines de nos sociétés traditionnelles, la puissance d’un homme se mesurait à l’étendue des terres dont il était propriétaire, au nombre de têtes de bétail qu’il possédait, mais aussi à la richesse et à la qualité de son harem. L’orgueil de l’empereur ou du chef de tribu transparaissait toujours dans sa capacité à combler ses innombrables concubines. C’était le terme qui convenait mieux que celui d’épouse, puisque ses femmes étaient choisies, puis intronisées compagnes par la seule volonté du souverain ou du chef. Ce statut très précaire avait un seul avantage : il excluait toute forme de jalousie (comment pouvait-on combattre quelqu’un dont la chute ne nous profite pas ?) et le désir de se faire remarquer se faisait dans le respect de la cohabitation. L’esprit de compétition entre les concubines s’exprimait exclusivement dans une fécondité plus ou moins triomphante. Le nombre d’enfants et surtout de garçons établissait une hiérarchie naturelle aux yeux de tous, même si l’on se gardait d’établir ouvertement ce classement. Les rapports à la cour du seigneur étaient régis selon une règle tacitement acceptée : tout le monde relevait la satisfaction du maître des lieux chaque fois qu’il avait un garçon et lui-même traduisait son inclination du moment, en montrant un peu plus d’affection pour la toute nouvelle et heureuse maman. Les règles du jeu étaient donc clairement définies. La religion venue d’Arabie allait encore conforter à sa manière la toute puissance de l’homme, lui accordant le droit de prendre au maximum quatre épouses, mais selon des règles définies et qui refrénaient ainsi certains abus. Mais même avant que l’islam n’instaure ses limites normatives dans les traditions, l’union comme la séparation se déroulait selon des rites précis et même codifiés à l’extrême. Au sein de la population le ciment de l’union de deux êtres était si puissant et si fortement ancré dans les esprits qu’il ne pouvait venir à l’esprit d’aucun conjoint de le banaliser. Par exemple quand des conjoints se séparaient, on amenait les futurs divorcés sous un arbre en pleine brousse afin de prononcer la sentence à laquelle le dit arbre ne survivait pas. Dans la gestion des ménages polygamiques la tradition, soucieuse de la paix familiale, était parvenue dans beaucoup de cas à une certaine “magnification” des rapports entre deux épouses pour neutraliser autant que possible le sentiment de rivalité, qui pouvait découler de leur cohabitation. La première femme était considérée comme l’aînée à tout point de vue.
Les reproches en public – C’était elle qu’on blâmait au cas où sa coépouse, plus jeune et donc moins instruite des choses de la vie, se comportait mal. Elle payait moralement pour l’autre en cas de dérapage. Par contre, si elle parvenait à exercer une influence bienfaisante sur sa “jeune sœur”, elle retirait généralement beaucoup de gratitude dans la conduite d’une vie de famille harmonieuse. Son prestige auprès de tous se nourrissait avant tout d’une totale absence de jalousie de sa part. La première femme était perçue comme une rassembleuse et en aucun cas, les germes de la division ne pouvaient être semés par elle. La société, elle aussi contribuait à réguler la situation en apportant certains aménagements de nature à contenir les débordements des écervelées. De celles qui sont incapables de considérer les rapports entre coépouses autrement qu’en termes de compétition. Au nombre des procédés on pourrait citer la géniale idée de confier l’enfant de la seconde épouse à la première et vice versa. Ce procédé contribua de façon puissante à atténuer tout sentiment de jalousie dans l’un ou l’autre camp. Les conséquences de cette pratique sont parfois bizarres : il arrive par exemple qu’une mère se trouve prise à partie par les enfants qu’elle avait mis au monde, mais qu’elle n’avait pas élevés. Tout aurait pu longtemps aller pour le mieux dans le meilleur des mondes polygames. Mais pour beaucoup les choses se gâtèrent quand des chefs de famille, par faiblesse sans doute, acceptèrent que l’une de leurs femmes leur adresse en public des reproches. Cette apostrophe de l’homme signifiait qu’il s’était montré inéquitable dans le traitement de ses épouses. Ce qui constitue la pire des maladresses dans un ménage polygamique. Les femmes s’estimaient en effet toutes “mariées” de la même manière. Pour elles la codification du mariage amenait, avant d’abord l’égalité en droits et en devoirs, la protection de l’époux et son sens de éthique. Si ce postulat est respecté, il était relativement à aisé de faire admettre à la femme qu’elle devait avoir nécessairement une coépouse. Celle-ci était sensée l’aider dans les travaux, la soulager quand elle serait dans l’incapacité d’assumer la tenue du foyer (en cas d’accouchement ou de maladie par exemple). Les apôtres de la polygamie se gardaient prudemment (et on les comprend) de dire à la première femme que sa “petite sœur” comblerait le vide de la couche du mari pendant qu’elle garderait la chambre pour “quarante jours” après la naissance d’un bébé. Mais cela bien sûr était sous-entendu. Les plus acharnés arrivaient par cet argument à rendre indispensable la coépouse. Une femme de la vieille époque, Sara témoignait ainsi : « De notre temps, soupirait-elle, nous avions le culte de l’homme et même si nous connaissions ses petites faiblesses, il se montrait digne de notre respect en remplissant sa charge d’époux avec une conscience que n’ont pas les hommes d’aujourd’hui. Comment voulez-vous faire plaisir à une femme en ayant la tête ailleurs ? L’amour au sens physique du terme n’est pas un acte banal, voilà pourquoi actuellement les hommes n’ont que ce qu’ils méritent, voilà pourquoi la division règne dans leurs foyers. On ne comblera jamais une épouse avec quelques coups de reins précipités.
Une vraie complicité – Ceux qui limitent à cet acte mécanique leurs obligations conjugales ne peuvent fonder leur ascendant dans la famille que sur la jalousie que nourriront les femmes les unes envers les autres. Mais pas sur le respect et l’affection que celles-ci doivent leur porter. Nos hommes étaient justes dans leurs rapports avec chacune de nous coépouses. Je me rappelle qu’un jour mon mari m’avait dit qu’il avait contrevenu à la loi de Dieu en me préférant une nuit de plus à ma coépouse qui était la première femme. Son affliction était si réelle que j’en fus moi-même désolée. Et pourtant un tel acte aujourd’hui remplirait d’orgueil toute épouse qui en bénéficierait. Nous avions été élevées de manière à ce qu’un sentiment d’injustice dont nous bénéficions nous donnait mauvaise conscience et nous ne nous sentions pas flattées par une préférence déplacée. Les rapports sur tous les plans étaient sains, insistait Sara. Ma grande sœur me donna toujours l’impression de se préoccuper de moi. Une telle attitude bienveillante ne pouvait donc que me culpabiliser pour les excès d’une nuit que notre mari faisait avec moi à ses dépens. »
Un tel comportement et une conscience aussi aiguisée de la justice dans les rapports entre homme et femme et surtout entre femme peuvent sembler incongrus de nos jours, mais dans les temps anciens, ils entraient dans un code de conduite parfaitement accepté. Sara poursuivit : « Le jour où je fus mariée on m’indiqua sans ambages que je devais me plier à la volonté de ma grande sœur (la première femme) puisque celle-ci était déjà engagée à être une sorte de « tutrice » pour moi. La différence d’âge (8 ans) justifiait ce statut. Dès les premiers jours de notre cohabitation, l’atmosphère fut telle que je me suis sentie soutenue et encouragée. Je vais vous faire une révélation que mon grand âge (65 ans) va faire passer comme déplacée. Ma grande sœur a enrichi ma culture des rapports physiques avec notre mari. Pouvez-vous imaginer une telle complicité entre les coépouses d’aujourd’hui ? Sûrement non, alors voilà pourquoi je n’étais pas fière d’avoir volé une nuit d’amour à une telle personne. “Je ne me sentais aucunement supérieure à elle, même si je savais qu’au fil du temps j’étais pratiquement, la seule de nous deux à voir la couche de notre époux comblée. La retraite de ma grande sœur se fit en douceur et ce fut elle-même qui m’apprit que les rapports physiques entre elle et notre mari s’espaçaient de plus en plus. Je compris ensuite qu’elle était à la base de cette compréhension et même qu’elle donna liberté à notre mari de se consacrer plus souvent à moi qu’à elle. Et pour m’enlever tous mes scrupules de conscience, elle me dit ceci : “Il faudrait que tu aies les reins plus solides désormais pour accomplir ta part et la mienne dans les sollicitations de notre époux”. Je remplissais son invite du mieux que je pouvais. Et j’y mettais d’autant plus de cœur, que ce devoir là n’était pas du tout désagréable. Je comprenais que je bénéficiais de la fraîcheur que me donnaient mes huit années de différence d’avec ma grande sœur. Avant que je n’arrive, elle avait déjà eu trois enfants, mais je ne pus donner que deux de plus à mon époux après sa retraite, si bien qu’il resta toujours cette différence d’un enfant entre nous (huit contre sept)”.
Par “goût personnel” – “A la limite, se souvient Sara, j’étais heureuse de ne l’avoir pas rattrapé dans ce domaine et les cinq enfants (tous des garçons) d’elle, que j’eus à élever furent parmi ceux de nos fils qui ont le mieux réussi dans la vie. Là en toute honnêteté la « Ban’tchini », (petite maman) que je suis pour tous les enfants de notre époux, conçoit beaucoup de fierté dans ce domaine. Je me dis que j’ai été une épouse docile et surtout une coépouse irréprochable à tout point de vue. Ma plus belle récompense est venue quand les enfants, qui me furent confiés, réussirent pleinement dans la vie. Ce sont eux qui nous ont, tout les trois (ma grande sœur, notre mari et moi), envoyé effectuer le pèlerinage à la Mecque. Jamais je n’ai accepté leur proposition de m’envoyer la première au prétexte que ma grande soeur « Makoroba” qui avait des rhumatismes articulaires n’aurait pas pu tenir physiquement ».
Sara n’avait-elle pas craint que leur époux prenne une troisième femme ? « A priori non, mais au fur et à mesure que ma complicité avec ma grande sœur allait en se renforçant, j’avoue avoir eu des appréhensions. Chaque fois qu’il rentrait à la maison la mine soucieuse, je le regardais sournoisement en me disant qu’il allait nous annoncer sa décision de me donner une « petite sœur ». Makoroba, elle, était certaine du contraire. Elle connaissait notre homme mieux que moi. Ce ne fut que le jour où notre mari me confia, qu’il avait contrevenu à la loi morale en me préférant une nuit de plus que ma grande sœur que j’eus la conviction, à partir de ce jour-là, qu’il ne prendrait jamais une troisième femme. Mon troisième enfant venait de marcher, beaucoup de vieilles femmes de l’époque me trouvaient épanouie physiquement. On appelait ça “noroya fari”. Notre époux faisait envie aux autres femmes mais j’étais sûre de mon emprise sur lui au plan physique, voilà pourquoi il ne songea jamais à une troisième femme. Vous les jeunes d’aujourd’hui vous êtes impertinents, ne me poussez pas à vous révéler le secret qui fait qu’on puisse garder un époux », conclut Sara dont le regard brillait à l’évocation de cette période d’apogée. C’est vrai qu’en la regardant bien on ne doutait pas, vu sa prestance et la finesse de ses traits qu’elle ait provoqué des ravages au début des années 50 où elle situait sa troisième maternité. Nous eûmes beau solliciter de continuer la conversation avec elle, elle refusa tout net. C’était comme si elle voulait quitter la scène en pleine gloire après l’évocation de cette “période faste” de sa vie d’épouse et de coépouse comblées. Elle avait auparavant admis qu’elle s’occupa de la grande cuisine exactement huit ans après la retraite de sa “grande sœur” et qu’après cette date, leurs belles-filles prirent la relève. Justement, c’était autour du cas de son second fils I.T. marié à deux femmes, qui ne s’étaient jamais entendues, que se poursuivit notre conversation. Le fils de Sara avait deux femmes qui se vouaient une haine qu’il est difficile d’imaginer. Leur mari avait plutôt réussi sur le plan social en devant un entrepreneur fortuné. Il avait préféré rester dans la famille paternelle, malgré le fait qu’il soit un peu à l’étroit après avoir pris une seconde épouse. Il l’avait fait en disant à ses amis que la première était le choix de ses parents. Ce qui voulait dire que la deuxième était de son “goût personnel”. « Même s’il ne le disait pas ouvertement, nous confia Sara, il était clair qu’il comblait physiquement celle-ci mieux que la première. Pouvais-je lui en parler ? Non bien sûr, car j’étais trop prude pour lui tenir ce genre de discours à mon fils. Ce sont les amis qui devaient régler ce genre de question. Avec mon silence, je me sentais coupable. Mais malgré sa préférence pour sa seconde épouse, I.T. présumait que l’harmonie entre ses deux femmes allait s’établir d’elle-même ». Mais indiscutablement, l’homme fut sans doute fautif dans la dégradation de l’atmosphère. Le commentaire malheureux, fait devant ses amis, était revenu à sa seconde femme qui voulut s’imposer comme la préférée. Il n’en fallait pas plus pour que la zizanie s’installât. Sara, son mari, sa grande sœur et presque toute la famille défendaient discrètement la première épouse. Celle-ci, AD, ne manquait pas d’atouts. C’était une femme communicative, qui savait mettre ses beaux-parents, ses beaux frères et ses belles-sœurs à l’aise sur tous les plans.
Ils en rirent méchamment – Elle s’investissait à écouter ceux-ci, compatissait à leurs problèmes, montrait constamment que l’unité de la grande famille lui était particulièrement chère. Souci qui visiblement n’habitait pas O.K., le chouchou de I.T. Cette dernière, forte de sa position privilégiée auprès de son époux, ne se gênait pas pour dire haut et fort son fait à tout membre de la famille qui l’importunait. Elle oubliait que vivre dans une concession paternelle exige de toute “étrangère” qu’elle sache se plier devant les premiers occupants. O.K. n’était donc que tolérée dans sa belle-famille et un beau jour elle dépassa la ligne rouge de la bienséance. Après une dispute avec sa coépouse, elle clama qu’elle ferait déménager I.T. de cette famille de m…. Propos violents, propos imprudents et surtout propos, qui furent pris pour une déclaration de guerre. Dans ce genre de situation, la réaction des agressés ne se fait pas attendre. Ouvertement, beaux-frères et belles-sœurs se rangèrent sans état d’âme du côté de la première épouse. O.K. comprit d’ailleurs très vite qu’elle était allée loin et même trop loin. Dans une tentative de réconciliation, elle vint s’agenouiller publiquement devant le père de son époux et présenter ses excuses, les mains derrière le dos. Cette attitude lui avait été conseillée par la seule belle-sœur qui la tenait en estime et qui était une sorte de complice compréhensive de ses états d’âme. Mais le mal était irréparable et O.K. ne regagna pas le terrain perdu, malgré son geste de soumission. Ses adversaires jugeaient qu’elle avait brisé les liens de considération mutuelle en prononçant des propos blessants pour une famille respectable.
Quant à Sara elle n’a pas montré de l’hostilité pour sa belle fille pendant longtemps. Sans doute son amour maternel pour IT a reprit très vite le dessus. Elle aussi contribua à l’acte de contrition de O.K. Elle l’aida à faire preuve d’une certaine humilité pendant un bon moment au point d’endormir la vigilance de son époux, avant que IT ne lui présente sa requête comme nous allons le voir plus loin. Cela dit il faut, pour respecter la réalité des faits, dire que O.K. n’était fondamentalement une mauvaise femme, bien au contraire. Mais elle avait un caractère impétueux, qui la poussait à parler et à agir sur des coups de tête et en se laissant entièrement dominer par son émotivité. En outre, elle ne donnait pas dans la discrétion, ni dans la demi-mesure. Ses colères se transformaient souvent en véritable prise à partie pour ceux qu’elle soupçonnait de vouloir nuire à ses relations avec son mari. Dans la famille, on commença à recenser patiemment ses faiblesses pour les exploiter. O.K. avait l’habitude de laver de façon démonstrative ses sous-pagnes et de les étaler fièrement à sécher quand son mari était chez elle. Elle le faisait plus comme une subtilité bien apprise que par malice. Un jour qu’elle s’adonnait à son exercice favori, une de ses belles-sœurs lui fit perfidement la remarque, qu’il était étonnant que son mari puisse la combler alors qu’il sortait d’une opération d’appendicite, subie seulement une semaine auparavant. O.K. haussa les épaules et montra qu’elle n’avait cure d’un tel jugement. Mais la remarque avait fait mouche et son venin se répandit dans la concession. Dans la famille, tous les membres en rirent méchamment et ne pouvant plus supporter les quolibets lâchés à tout bout de champ, O.K. finit par se faire loger dans une villa de son mari avec la bénédiction du chef de famille. L’épisode des sous-pagnes qui ailleurs fait des ravages comme nous allons le voir dans nos prochaines publications, devint véritablement proverbiale. Pour ironiser méchamment sur un cas incroyable, les belles-sœurs ne se privaient pas de lancer : “c’est devenu l’affaire des sous-pagnes de Oumou”, avant d’en rire longuement.
Tout était déjà préparé – Comme nous le disions, la cohabitation était donc devenue si intenable entre les deux coépouses. I.T, qui n’en pouvait plus devant cette guérilla contre sa “chérie” obtint de son père la permission de transférer O.K. dans une maison située hors de la concession familiale. A.D., qui restait dans la grande famille, ne vit aucun inconvénient dans ce transfert pour lequel on sollicita au préalable son approbation. Cependant la rivalité entre les femmes de I.T. apparaissait comme un coup de gueule sans intérêt dans un univers calme quand on la compare à celle qui opposait les coépouses de Karim, un des contremaîtres de I.T. marié, à trois ans d’intervalle, à deux femmes qui auraient pu s’entendre. Mais ce fut lorsque la seconde s’installa que la première révéla au monde des facettes de sa personnalité qu’on ne lui connaissait pas : celles d’une femme coléreuse, aigre, envieuse et surtout animée d’une jalousie morbide. Auparavant personne n’avait vu Ata élever la voix en trois années de mariage. Tous les membres de la famille l’estimaient d’ailleurs parce qu’au terme de cette période elle donna un beau garçon à son mari. Un bébé que toutes les filles et même jeunes femmes du quartier se disputaient. Sa mère pouvait passer presque une journée entière sans voir son enfant. On lui préparait même le biberon ailleurs pour pouvoir le garder plus longtemps. Ata semblait nager dans le bonheur lorsqu’on l’appela chez l’oncle de son mari pour lui dire qu’elle allait avoir une “petite sœur”. Tout avait été déjà préparé et c’était le lendemain que la nouvelle épouse de Karim, N.K, allait arriver. Muette après son retour à la maison, Ata s’efforça de faire bonne figure quand sa coépouse fit son entrée. Elle se retint exactement pendant quarante jours, puis commença ce qu’il faut bien appeler sa guerre. Faut-il jeter la pierre à la première épouse ?
Non compte tenu de la très bonne atmosphère qui régnait entre Ata et son mari. Non quand on sait que la venue au monde, de leur très beau garçonnet constituait pour le couple un réel motif de fierté. Alors pourquoi une telle duplicité de la part de son mari ? Ata n’avait, sans doute, pas de réponse aux questions qu’elle se posait et même qu’une bonne partie de leur entourage aussi se posait. Pendant quarante jours Ata avait ruminé sa douleur, se demandant ce qu’elle avait elle fait au ciel pour mériter un tel châtiment. Elle avait eu confiance en son mari et voilà comment ce dernier la payait en retour. Mais avant de passer à l’offensive, elle prit le temps de mieux connaître sa coépouse. Ce fut ce qui expliqua l’accalmie de longue durée, qui précéda l’ouverture des hostilités. Ata commença par une campagne sournoise de dénigrement. Elle répandait des commentaires fielleux sur sa “petite sœur”. Certes, disait-elle, la nouvelle venue avait l’avantage d’avoir une croupe avantageuse. Mais elle ne se privait pas de la remuer à tout va. Ce genre de pratique ne se retrouvait que chez les dames de petite vertu et de bas étage, confiait elle à ses proches. Certes, disait-elle encore, N.K était de teint clair tandis qu’elle était d’un noir de jais, mais “le teint ne se mangeait”. Ata se répétait cela pour ne pas se sentir inférieure physiquement par rapport à sa coépouse, qui il faut le reconnaître, était plus séduisante qu’elle. Mais la réalité était que la jalousie la rongeait au point qu’elle perdit l’éclat qu’on lui connaissait après sa maternité. Ceux qui la connaissaient sentaient que le mal la rongeait au point qu’elle se fanait à vue d’œil. Guettant sa coépouse et son mari, elle avait fini par tomber dans le voyeurisme.
Une de ses copines dira pour lui trouver des excuses, qu’elle voulait seulement se rendre compte si son homme sursurrait à N.K les mêmes amabilités qu’il lui chantait lors des deux premières années de leur mariage. Mais en fait Ata qui venait la nuit poser son oreille sur la porte de la chambre de sa coépouse, se retrouvait encore plus malheureuse en attendant Karim et N.K roucouler dans leur chambre. Et le lendemain, elle sautait sur la moindre peccadille pour déclencher un scandale terrible. Comme N.K en outre avait l’avantage d’avoir un emploi, les choses ne s’arrangeraient pas. La “petite sœur” mettait la main au portefeuille pour financer des petits plats à son mari. Les sorties verbales de Ata enflaient comme des orages et quand elles atteignaient leur paroxysme, tout n’y était qu’insulte. N.K répliquait peu, mais quand elle le faisait, elle savait trouver les formules qui faisaient mal. Elle affirmait par exemple que la différence entre elle et sa grande sœur se faisait dans l’intimité de la chambre à coucher. Et que dans ce territoire, elle apportait à son époux des choses qu’un “bambou” comme Ata ne pourrait jamais lui donner. La “première” faillit étouffer de rage la première fois qu’elle entendit ce commentaire venimeux et qui n’était pas entièrement faux. Ata dépérissait à vue d’œil et l’élégance, qui était la sienne quand elle se mariait avec Karim, avait disparu de même que l’enveloppe charnelle, qui la rendait désirable après sa maternité, avait fondu comme beurre au soleil.
(à suivre) TIÉMOGOBA