Le Centre international de conférence de Bamako a servi de cadre ce samedi 3 avril 2021 pour la troisième audience publique de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation. Déroulée sous le thème « crimes de disparitions forcées », cette assemblée était l’occasion pour 14 victimes de s’exprimer librement sur les violations graves de droits humains impactant leur vie.
Les audiences publiques de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation visent à établir la vérité afin d’apaiser les cœurs meurtris et d’établir la réconciliation nationale. De 1960 à nos jours, le Mali a connu des crises sociopolitiques qui, d’autres à la suite des rebellions, des coups d’Etat ont engendré de milliers de victimes qui ne sont toujours pas guéris de leurs blessures physiques et mentales.
C’est en prenant en compte ces paramètres que la CVJR a programmé 6 audiences publiques pour donner la parole à ces victimes afin qu’ils relatent leurs souffrances vécues sans être interrompus ni jugés.
« Chacune des audiences publiques propose donc un thème à la réflexion de la société malienne, dans l’espoir de susciter des débats populaires sincères, en vue d’une introspection collective afin que les Maliens et les Maliennes disent collectivement ‘Plus Jamais ça’ ! », explique Ousmane Oumarou Sidibé, président de la CVJR.
Cette 3è audience publique portant sur les crimes de disparitions forcées, a exposé les réalités de graves violations de droits humains qui se sont déroulée en 1962 et 1980. Il s’agit de la disparition forcée des figures emblématiques de la sphère politique, économique et sociale du Mali. Ils sont entre autres Fily Dabo Sissoko, Hamadoun Dicko et Kassoum Touré et le leader estudiantin Abdoul Karim Camara dit Cabral. Leur mort reste dans la mémoire collective sans une compréhension de ce qui s’est réellement passé.
Selon l’article 7 point i du statut de Rome de la Cour pénale internationale, une « disparition forcée » est évoquée quand des personnes sont arrêtées, détenues ou enlevées par un Etat ou une organisation politique avec l’autorisation, l’appui ou l’assentiment de cet Etat ou de cette organisation, qui refuse ensuite d’admettre que ces personnes sont privées de liberté ou de révéler le sort qui leur est réservé ou l’endroit où elles se trouvent, dans l’intention de les soustraire de la protection de la loi pendant une période prolongée.
Le président de la CVJR, Ousmane Oumarou Sidibé explique que les disparitions forcées peuvent engendrer la violation de plusieurs droits fondamentaux tels que le droit à la vie, le droit à ne pas être soumis à la torture, le droit à la liberté et la protection de sa personne, qui peuvent donc être retenues conjointement dans une même affaire.
« Par ailleurs, contrairement au meurtre, qui est commis en un lieu précis et dans un temps précis, la disparition forcée est un crime permanent, qui continue d’être commis tant que le sort de la victime n’est pas élucidé. En cachant le sort définitif des victimes, les auteurs de disparition forcée maintiennent leurs familles dans une incertitude et une angoisse permanentes », disait-il.
La cérémonie d’ouverture de cette audience a été présidée par le ministre de la Promotion de la Femme, de l’Enfant et de la Famille, Mme Bintou Founê Samaké en présence de plusieurs hautes personnalités.
Fatoumata Kané
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FILY DABO SISSOKO, HAMADOUN DICKO, MARABA KASSOUM
Les vraies raisons de leur mort
Décapités en 1964 par le régime de Modibo Keita, la mort de Fily Dabo Sissoko et ses compagnons restera à jamais gravée dans les mémoires. Leurs trois fils ont eu l’occasion à travers l’audience publique, d’éclaircir l’opinion nationale sur leur mort atroce. Témoignage lors de la 3ème audience publique…
Entre 1962 et 1964, leurs parents ont vécu des atrocités à Bamako et Kidal, avec l’autorisation du premier gouvernement malien. Aujourd’hui mariés et pères des enfants, ces 3 chefs de familles ont dû vivre péniblement avec l’angoisse de la perte des parents et l’amour de la société pendant longtemps. 59 ans après la mort de leurs pères, ils ont eu l’occasion à travers l’audience publique de dévoiler les vraies raisons de la disparition forcée de leurs parents et toutes les souffrances qu’ils ont dû vivre avec leurs familles.
Selon leurs récits, tout a commencé lorsqu’en 1962, le premier président du Mali, Modibo Keita a voulu battre le « Franc malien ». Cette réforme monétaire était farouchement contestée par les commerçants et leaders du parti de l’opposition, le parti progressiste soudanais, (PSP) qui a organisé une marche pacifique le 20 juillet 1962. Cela a entrainé l’arrestation de plusieurs personnes, dont leurs parents Fily Dabo Sissoko, Hamadoun Dicko et Kassoum Touré.
« Ils sont tous rentrés de l’occident ensemble, Modibo Kéita, Fily Dabo et Hamadoun Dicko qui, le plus jeune parmi eux venait de terminer ses études en 1956. Maraba Kassoum était un commerçant renommé de l’époque quand il venait de Kita. Il était un homme tolérant, solidaire et qui finançait les partis politiques. Lorsque le président Modibo voulait basculer dans le Franc malien, c’est Fily Dabo qui lui expliqua que les impacts économiques et sociopolitiques étaient énormes ».
Selon Mamadou Touré, le fils de Kassoum Touré, ce témoignage lui permettra de répondre à certaines fausses rumeurs découlant de la mort de son père. « A la suite de cette tension, les officiers de police ont débarqué chez Kassoum Touré pour l’amener au 3ème arrondissement tout en ramassant tous les biens de l’homme. Les populations se soulevant encore contre les arrestations. Il a été détenu presque dans toutes les prisons de Bamako avant d’être envoyé à Kidal avec ses camardes. Comme si c’était un coup spécialement préparé contre lui, il a subi toutes sortes de tortures. Ils ont fait croire à l’opinion que Kassoum était arrêté pour falsification des billets. J’avais 6 ans à l’époque. Je me rappelle quand ma mère était couchée avec mes frères dans la chambre. Les soldats sont rentrés en cassant tout pour amener mon père. Ma mère ne pouvait que pleurer ».
On a arrêté Hamadoun Dicko, Marba Kassoum, Fily Dabo Sissoko pour les amener à la maison centrale d’arrêt où on les battait chaque jour. Houphouët-Boigny et d’autres chefs d’Etat ont supplié Modibo de les relâcher. Il a continuellement promis, mais, les a envoyés à Kidal là où ils ont été battus et forcés à travailler. Bien avant ils ont été jugés par un tribunal populaire qui les a condamnés à mort. Un grand fossé fut creusé pour décapiter les trois prisonniers. Modibo Keita, l’ancien président du Mali a trahi ses camarades en les humiliants, les assassinant.
A ce jour, les familles ne savent pas où sont enterrés les leurs. « Tant qu’on ne demandera pas pardon aux mémoires des personnalités injustement assassinées, ce pays continuera de souffrir », s’inquiète Oumar Hamadoun Dicko.
Fatoumata Kané
ASSASSINAT DE CABRAL
Que devient sa famille après lui
L’audience publique, un espace d’écoute et de reconnaissance, a permis aux deux frères de Abdoul Karim Camara dit Cabral, de s’exprimer sur l’impact de l’arrestation de leur frère sur la famille Camara depuis le 17 mars 1980 à nos jours.
Ils sont deux frères aînés de Cabral. Les deux frères étaient tous en France dans le cadre des études, lorsque les autorités arrêtèrent leur frère Abdoul Karim Camara dit Cabral en mars 1980.
Cabral était un des responsables de l’Union nationale des Elèves et Etudiants du Mali (Uneem). Mamadou Bassirou Camara et Farouk Camara ont appris l’arrestation de leur frère à travers un manuscrit qui détaille tout l’évènement. Les deux ont préféré lire intégralement ce document lors de l’audience.
« Depuis 40 ans, nous ne sommes pas arrivés à faire le deuil », déplore Mamadou Bassirou Camara, frère de Cabral. « Notre frère a été arrêté par le 1er arrondissement, le 2ème arrondissement est rentré en jeu en arrêtant notre maman et Zakaria Camara. L’ainé de la famille et les autres frères étaient tous en garde à vue. Pour vérification d’information, il fallait retenir la maman. Ils ont arrêté la grande sœur qui a été sexuellement torturée avec des chocs électriques sur les parties génitales ».
L’arrestation de Cabral n’a pas été une tâche facile au départ d’où la succession de plusieurs évènements dans sa famille avant sa garde à vue proprement dite. « Le 17 mars 1980, Abdoul Karim Camara a été enfin arrêté à l’heure du petit déjeuner. A midi il n’était plus en prison. Les amis inquiets venaient de partout demander les nouvelles à la famille. Le 18 mars 1980, la famille de Cabral était bondée d’étudiants et élèves qui réclamaient le corps ou la libération de leur secrétaire général. Ce jour-là, aucun élève détenu ne se retrouvait plus au Camp Para. La journée du 19 mars 1980, un message venant de Filifing Sissoko annonce la mort de Cabral. Hélas, jusqu’à preuve du contraire son corps n’a jamais été retrouvé », témoignent ses frères.
Selon eux, ils ont pardonné ces atrocités envers leur frère, mais ils veulent tout de même savoir où a été enterré Abdoul Karim Camara Cabral.
Fatoumata Kané