IBK fait face à plusieurs fronts, notamment sécuritaire, politique, économique et social. A la crise politique née de la contestation des résultats de l’élection présidentielle, est venue se greffer une contestation sociale d’ampleur avec la multiplicité des grèves dans tous les secteurs d’activités. Et pendant ce temps le pays connait une grave crise économique sans précèdent.
Le président Ibrahim Boubacar Keïta fait face à une grande défiance. Une défiance politique et sociale. Une défiance politique née de la forte contestation des résultats de la présidentielle. A l’issue du scrutin du 29 juillet, plusieurs candidats ont dénoncé les conditions d’organisation et de déroulement du scrutin. Un scrutin entaché, selon eux, de graves irrégularités. Conséquence : Quatre mois après les élections, la tension reste très vive dans le pays, l’opposition ne décolère toujours pas.
Signe de la crispation du climat politique ? La multiplication des marches et autres rassemblements de l’opposition et de la société civile (16 novembre et 8 décembre 2018). Cela pour dénoncer, entre autres, le projet de découpage administratif, la dégradation de la situation sécuritaire, les dérives « autocratiques » et « liberticides » du régime d’Ibrahim Boubacar Keïta, la vie chère, la paupérisation constante de la population… Mais, ces rassemblements ont été systématiquement réprimés par les forces de l’ordre. En effet, le 16 novembre et le 8 décembre 2018, les forces de l’ordre sont intervenues à coup de matraques et de gaz lacrymogènes pour disperser les militants et leaders du FSD (Front pour la sauvegarde de la démocratie), Cofop (Collectif des forces patriotiques) et de l’Adema-Association, qui tentaient de manifester, entrainant à chaque fois des blessés et des interpellations. Face à l’ampleur des défis, le pouvoir semble en manque de solution politique, l’heure n’est plus à la main tendue. Alors, la répression semble être envisagée comme la solution à tout.
Défiance de la société civile
Autre souci pour le chef de l’Etat, la mobilisation de plusieurs organisations et associations de la société civile contre des projets de loi ou autre initiatives du Gouvernement. Ainsi, plus de 51 associations et organisations des droits de l’homme sont vents débout contre le projet de loi « entente nationale ». Aussi, Après le dépôt par le gouvernement d’un projet de loi dite « Entente nationale » à l’Assemblée nationale, 51 organisations de défense des droits humains montent au créneau. Ces organisations s’inquiètent du risque d’amnistie des auteurs présumés de graves violations des droits de l’homme. Et les défenseurs des droits sont formels : « les crimes de guerre, les viols collectifs, ne peuvent pas être gérés par une quelconque loi dite d’entente nationale ». Après l’interdiction de leur marche, le mardi 11 décembre dernier, ces organisations ont décidé d’organiser une conférence de presse. Au cours de laquelle, ils sont réaffirmé leur engagements. « Nos organisations restent déterminées à jamais jusqu’au retrait de leur projet de loi dite d’entente nationale pour donner la chance au dialogue », ont-ils conclu. Conséquence : le jeudi 13 décembre dernier, l’Assemblée nationale à voter le renvoi de ce texte qui dans ses grandes lignes exonère, d’une part, de poursuites tous ceux qui sont impliqués dans une rébellion armée et n’ont « pas de sang sur les mains » et instaure, d’autre part, l’indemnisation et l’assistance aux victimes des actes terroristes.
Aussi, le Collectif pour la Défense de la République (CDR) empêché de marcher le 10 décembre 2018 (journée internationale des droits de l’homme), pour protester contre la logique d’usurpation du pouvoir, à organiser une conférence de presse. Occasion pour son porte-parole, Mohamed Youssouf Bathily (Ras Bath) de dénoncer les violations de la Constitution du Mali et des droits humains. En outre, il a annoncé la création d’une nouvelle Plateforme de la société civile. Cette dernière appelle d’ores et déjà à la désobéissance civile à partir du 1er janvier 2019.
Une autre épine dans le pied du gouvernement, le Collectif des associations musulmanes du Mali du Dr Mohamed Kimbiri projette à son tour de battre le pavé pour dire non à la « trahison de la classe politique », qui s’est arrogée d’un pouvoir, qui normalement appartient au peuple, en faisant voter par les députés un projet de loi de prorogation du mandat des députés.
Autre motif d’inquiétude pour le régime, la fronde de plusieurs populations et associations contre le projet de découpage territorial. Ainsi, le projet de loi sur le découpage territorial et le nouveau pacte pour la paix censés donner un coup d’accélérateur à l’accord de paix, sont dénoncés par l’opinion. D’où de nombreuses manifestations de rue qui ont eu lieu partout sur l’ensemble du territoire national.
Colère des travailleurs
Signe perceptible du malaise social, la décision de la principale centrale syndicale du pays, l’union nationale des travailleurs du Mali (UNTM) de ne pas participer à la Conférence Nationale sur le dialogue social. Initiée par le gouvernement, cette conférence se tiendra les 15 et 16 janvier prochains. Cette décision de l’UNTM fait suite à la non-satisfaction des doléances du syndicat auprès du gouvernement. Dans son communiqué, l’’UNTM demande, entre autres, l’augmentation des salaires et le rallongement de l’âge à la retraite. Le cahier de doléances de la centrale syndicale UNTM se présente en 12 points. Déposées sur la table du gouvernement au mois de mai dernier, ces doléances sont principalement relatives au rallongement de l’âge à la retraite des fonctionnaires et l’augmentation de la grille salariale.
«Vu le conteste difficile du pays, l’UNTM a jugé utile de ne pas faire accompagner le cahier de doléances d’un préavis de grève », nous explique un responsable de l’UNTM.
Selon un autre responsable de la centrale syndicale, une commission de conciliation a été mise en place après les élections présidentielles. L’objectif: trouver un compromis favorable aux deux parties. Toutefois deux mois après, cette commission et le syndicat n’ont pas pu harmoniser leurs positions. Le vendredi dernier, dans un communiqué l’Union Nationale des Travailleurs du Mali annonce l’échec des négociations et affirme vouloir observer une cessation de travail. «Nous projetons également de boycotter la conférence nationale initiée par le gouvernement pour le mois prochain », renchérissent les responsables de l’UNTM.
A cela s’ajoute la succession des grèves dans plusieurs secteurs. La coordination des comités syndicaux de la Direction de l’administration et des finances (DAF), des directions de ressources humaines (DRH), des cellules de planification et de la statistique (CPS) et les directions des finances et du matériel (DFM) de la Primature et des départements ministériels a entamé une grève de 15 jours.
La santé et l’éducation nationale ne sont pas en reste de ces mouvements de revendications qui touchent de nombreux secteurs. Le lundi 03 décembre 2018, le syndicat national de la santé, de l’action sociale et de la promotion de la famille de l’hôpital Gabriel Touré a organisé un sit-in au sein de cet établissement hospitalier de la capitale. Autre foyer de contestation ? L’éducation où le collectif des syndicats de l’éducation projette un arrêt de travail suite à la non-satisfaction de ses doléances, adressées au gouvernement. Les syndicats de l’éducation signataires du 15 octobre 2016, projettent cette grève sur 72 heures, allant du mercredi 19 au vendredi 21 décembre 2018.
La situation économique et sociopolitique actuelle du Mali traduit donc un grand malaise, un état de crise profond qui nécessite un dialogue politique, social, inclusif entre tous les acteurs concernés.
Mémé Sanogo