Les dirigeants africains reprochent à la Cpi de pratiquer une justice sélective voire raciste car jusque-là, sur le nombre de personnes jugées à la Haye, trente au moins sont d’origine africaine. Un mauvais procès dont ils auraient pu faire l’économie car la Cour pénale internationale est justement là pour lutter contre l’impunité en pourchassant ceux qui, ayant fui leur pays, espèrent échapper à la justice dans l’exil.
La Cour pénale internationale a été créée en juillet 1998 par le « Traité de Rome » signé par plusieurs Etats dont au moins quarante-trois pays africains. Avec comme vocation essentielle de poursuivre les auteurs présumés de crime de guerre, crime contre l’humanité, génocide, crime d’agression, d’instruire leurs affaires et de les juger. En clair, il s’agit pour ses initiateurs de lutter contre l’impunité. La Cpi est saisie, aux fins de poursuites, soit par les Etats qui l’estiment nécessaire soit par le conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (Onu). Les mêmes peuvent demander la suspension des poursuites.
Depuis son institution, la Cpi a jugé ou poursuivi pas moins de trente personnalités africaines. C’est pourquoi elle est devenue depuis quelques temps, singulièrement lors du dernier sommet des chefs d’Etat et de gouvernement africains tenu au siège de l’Union africaine à Addis-Abeba, la cible de certains dirigeants du continent. En cause, les poursuites engagées contre Omar el-Béchir, président du Soudan, Uhuru Kenyatta et William Ruto, respectivement chef d’Etat et vice-président du Kenya, nouvellement élus. A Addis-Abeba, les chefs d’Etat et de gouvernement africains ont demandé au secrétaire général de l’Onu, Ban ki-Moon, de demander la suspension des poursuites contre ces trois dirigeants.
Le fait d’être les cibles privilégiées de la Cpi a fait oublier à ces chefs d’Etat et de gouvernement que ce sont leurs pays qui constituent en grande majorité les signataires du Traité de Rome instituant cette cour qui a été créée justement pour que justice soit rendue contre des fautifs partout où ils se trouvent. Une justice objective, impartiale et crédible.
Récemment, la Cpi a demandé aux autorités libyennes de lui livrer Saïf el Islam, le fils du défunt dictateur Mouammar Kadhafi parce qu’elle estime que les tribunaux libyens n’ont ni la compétence ni les moyens nécessaires de mener les investigations devant aboutir à un procès équitable du fils du dictateur. D’autre part, depuis des années, le dossier de Hissène Habré, ex-dictateur tchadien, traine, ni le Sénégal où il vit en exil depuis trop longtemps ni l’Union africaine ne parviennent à réunir les compétences et les moyens nécessaires pour un procès équitable.
Cette demande de la Cpi aux autorités libyennes et cette incapacité des tribunaux sénégalais à juger Habré traduisent ce que les chefs d’Etat et de gouvernement africains refusent d’admettre. A savoir que dans la plupart des Etats africains, il n’existe pas de justice équitable, objective, transparente, crédible et impartiale. Presque partout, la justice est instrumentalisée par le pouvoir politique.
Par ailleurs, si ce sont des Africains qui sont majoritairement poursuivis et jugés par la Cpi, c’est parce que c’est sur le continent que se passent les pires des abominations et exactions, c’est parce que c’est en Afrique qu’on recense le plus grand nombre de dictateurs, d’autocrates. Encore aujourd’hui, les cas du Zimbabwe et de l’Erythrée, entre autres, sont là pour illustrer cet état de fait. De même, c’est ici en Afrique, par exemple en Côte d’Ivoire et au Kenya, que les élections sont suivies, souvent précédées, de violences pouvant aboutir à des guerres civiles avec des dizaines voire des centaines de milliers de morts. Dans ces pays, les violences postélectorales sont commises parce que les élections sont truquées et bâclées, organisées de manière à ce que ses organisateurs ne les perdent pas. Et contre les auteurs de ces violences postélectorales, il n’y a que la justice du vainqueur pour assurer aux uns une totale impunité aux autres, l’arbitraire, la mort ou les cachots.
Dans les pays où existe la vraie justice, celle objective et impartiale, de hautes personnalités sont poursuivies et souvent jugées sur place. Pour preuve, en France, deux anciens chefs d’Etat, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, ont été entendus par la justice de leur pays, l’un a été mis en examen. De même que la chef du Fonds monétaire international, Christine Lagarde. Aux Etats-Unis, son prédécesseur, Dominique Strauss-Kahn, avait auparavant été arrêté et jugé. Il est vrai que c’est pour des faits qui ne relèvent pas de la Cpi mais le seul fait d’auditionner, d’interpeller, de mettre en garde à vue ou en examen ces hautes personnalités prouve que dans ces pays, comme dans beaucoup d’autres, personne n’est assuré de l’impunité, que nul n’est au dessus de la loi.
Alors, si les chefs d’Etat ou de gouvernement, qui se rencontrent régulièrement en villégiature lors de sommets inutiles ou inefficaces, estiment pouvoir se passer de la Cpi, ils n’ont qu’à améliorer la justice et la gouvernance dans leurs pays respectifs. Leur combat ne doit pas être d’accuser la Cpi de harcèlement et de justice sélective ou raciste mais plutôt d’encourager cette cour, dont la procureure est d’ailleurs une Africaine, à débarrasser le continent de ses dictateurs et autocrates, ces criminels qui ont érigé la barbarie, le crime et l’impunité en mode de bonne gouvernance.
En ce qui concerne les autres continents et les pays ou grandes puissances comme les Etats-Unis qui ont refusé de signer ou de ratifier le Traité de Rome, ils aviseront.
Cheick TANDINA
Cour pénale internationale :
Le Guantánamo des africains récalcitrants
La Cour Pénale Internationale (CPI) est une suite logique de l’impérialisme en Afrique. Une manière de dire tout simplement que c’est une autre forme de colonisation qui continue allègrement au vu et au su de tous les Africains. La prison de Scheveningen (Pays-Bas) est devenue le Guantánamo des Africains récalcitrants.
L’ex-dictateur du Liberia, Charles Taylor, est passé par là suite à un accord passé entre la Cour et le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL), bien que son cas ne relève pas de la juridiction de la CPI.
L’opposant farouche au régime du défunt président Félix Houphouët Boigny, l’ex-président ivoirien, Laurent Gbagbo, y séjourne dans le cadre d’une enquête concernant les crimes commis durant la crise postélectorale ivoirienn, entre le 16 décembre 2010 et le 12 avril 2011, ayant fait 3000 morts. Il répondra de présumés actes de meurtre, viol et d’autres violences sexuelles, d’actes de persécution qui auraient été perpétrés dans le contexte des violences postélectorales survenues sur le territoire de la Côte d’Ivoire.
D’autres personnes y séjournent. Il s’agit de Thomas Lubanga Dyilo (RDC), Germain Katanga (RDC), Jean-Pierre Bemba (RDC, jugés pour des faits commis en République centrafricaine) et Bosco Ntaganda. Ce dernier a comparu pour la première fois le mardi 26 mars devant la Cour pénale internationale (CPI). L’ex-général congolais est soupçonné de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre, d’exactions commises par la rébellion qu’il dirigeait il y a une dizaine d’années dans l’est de la République démocratique du Congo. On parle à l’époque de 800 morts et de 14 000 déplacés.
L’Afrique, notre continent, ressemble à un panier de crabes. Tout semble être en place pour qu’il en soit ainsi. On se demande si l’Afrique est véritablement indépendante.
Le développement est vécu comme un mirage qui n’embraye sur rien et lance les hommes et les femmes dans une course éperdue vers le néant. Un continent déchiré par la guerre.
C’est curieux tout de même qu’un continent qui est magnifiquement doté par la nature, avec ses fleuves et ses forêts, ses bords de mer et ses montagnes, ses ressources du sol et du sous-sol, ses hommes, ses femmes et leur immense patrimoine culturel, c’est curieux qu’un tel continent n’ait rien de mieux à gérer que des conflits et des guerres. Et nos frères de là-bas en profitent. On est où là ?
Destin GNIMADI