J’aimerais utiliser la contraception, mais mon mari s’y oppose”. Qui n’a pas entendu un jour cette phrase venant de la bouche d’une femme ? En tout cas, FK, un nom d’emprunt, âgée de 31 ans, en sait quelque chose. En 10 ans de mariage, FK a eu 6 enfants sans compter ses nombreuses fausses couches, nous raconte-t-elle. “Mon mari est farouchement contre la planification familiale. Il estime que c’est contre la religion. Par conséquent, je n’ose pas adopter une méthode contraceptive parce que je crains qu’il ne s’en rende compte”, explique FK très attristée.
De l’avis du mari de FK ” C’est Dieu qui donne l’enfant. Quel qu’en soit le nombre, ils ne mangeront pas du sable”, nous raconte-t-il le ton grave. Il poursuit en soutenant que la planification familiale est dangereuse pour la santé. ” J’ai appris que cela est la cause pour laquelle les femmes donnent naissance à des enfants mal formés. Aussi, quand les pilules s’accumulent dans l’estomac de la femme, elles peuvent boucher les trompes ” nous affirme-t-il sans gêne.
Tout comme le mari de FK, Oumar âgé de 37 ans, dit refuser catégoriquement que sa femme utilise ” la pilule ou d’autres méthodes à des fins de contraception parce que c’est Dieu qui donne l’enfant “, confie-t-il. Avant d’ajouter ” ces méthodes ne sont pas en harmonie avec mes convictions religieuses “. “ L’enfant est une richesse dans notre société. Il n’y a pas lieu d’empêcher sa venue “, soutient-il.
Quand le mari adhère, les choses deviennent plus faciles
Cependant lorsque dans un foyer, l’époux adhère à la planification familiale, les choses deviennent plus faciles pour les femmes. Celles-ci sont parfois obligées de se cacher pour bénéficier des services de planification familiale. C’est ce qu’a compris Issac qui apporte son soutien démesuré à sa femme.
“Depuis que ma femme a adopté le dispositif intra-utérin (DIU), je la vois plus épanouie. Elle accomplit normalement ses devoirs conjugaux et nos rapports sont plus apaisés. En plus, elle mène son commerce de bazin et contribue aux charges de la famille. Ce qui me soulage énormément “ fait remarquer Issac le visage décontracté. Pour lui, la planification constitue ainsi un véritable levier pour l’épanouissement des familles.
Les religieux, un maillon non moins négligeable dans la chaîne de sensibilisation
Au moment où certaines personnes se réfugient derrière la religion pour condamner la planification familiale, Mamadou Diallo, Imam à la mosquée de Torokorobougou, explique que l’espacement des naissances est un moyen qui aide à préserver la santé de la mère en permettant d’avoir des enfants à des intervalles plus ou moins souhaités. Il ne saurait donc y avoir d’incompatibilité entre l’Islam et la planification familiale. Il affirme que : “ L’espacement des naissances améliore le bien-être de la mère et maintient l’équilibre de la famille, notamment dans la mesure où cette pratique n’enfreint aucun interdit du Coran ou de la tradition du Prophète (PSL) “. Cet homme de Dieu exhorte ses coreligionnaires à plus d’ouverture et de clairvoyance pour faire la part des choses. ” Il n’y a aucune contradiction entre l’islam et la planification familiale dès l’instant que le médecin estime qu’il y a des risques et des dangers sur la santé de la femme et des enfants “ précise-t-il.
La femme est ainsi autorisée par l’Islam en cas de nécessité, si les naissances rapprochées peuvent mettre en danger sa vie. Le hic est que la planification familiale est assimilée à la limitation des naissances. Telle n’est malheureusement pas le cas. Les acteurs de la promotion de la planification familiale soutiennent qu’un accent particulier doit être mis sur la sensibilisation surtout en milieu rural. Les populations doivent comprendre que la PF est tout simplement un moyen d’espacement des naissances et non sa limitation.
Si cette nuance est bien comprise, la réticence contre la PF serait considérablement réduite. A cet effet, chacun de nous a un rôle à jouer, car la planification familiale permet de planifier une grossesse et sert à mieux gérer la santé sexuelle et reproductive.
Ramata TEMBELY
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Mme Kéïta Oumou Kéïta, point focal national de la division santé de la reproduction :
“La contraception ne concerne pas que les femmes, les hommes doivent se sentir responsables également “
Pour avoir plus d’explications à propos de la promotion du planning familial, nous vous proposons à travers cette interview, le point de vue de Mme Kéïta Oumou Kéïta, point focal national de la planification familiale à la direction nationale de la santé (division santé de la reproduction). Selon cette professionnelle de la santé de la reproduction, les hommes sont autant que les femmes, bénéficiaires des avantages de l’espacement des naissances. Pour cela, elle a mis l’accent sur la nécessité d’impliquer des acteurs sociaux en vue d’encourager une synergie d’actions dans la sensibilisation.
L’Indépendant : Quelle est la prévalence contraceptive au Mali ?
Kéïta Oumou Kéïta : La prévalence contraceptive au Mali selon la dernière enquête démographique et de santé V, est de 9,9% pour les méthodes modernes et 10,3% pour toutes les méthodes confondues. Il faut reconnaitre que ce taux a légèrement augmenté contrairement à l’EDS IV ou il était de 8 %. Actuellement, nous sommes en train d’affiner un plan d’action à l’image des autres pays de la sous-région pour essayer d’augmenter cette prévalence contraceptive. Ainsi, nous comptons en 2018 passer de 9 à 20% de prévalence contraceptive.
Que faut-il faire pour amener les hommes à soutenir la planification familiale ?
La planification familiale n’est pas l’affaire de la femme, c’est aussi celle de l’homme. Nous constatons que malgré les efforts consentis par le gouvernement et ses partenaires techniques et financiers, la prévalence reste toujours faible. Plusieurs facteurs expliquent ce fait à savoir le manque d’information, le refus des maris.
Sans oublier les rumeurs qui entourent les produits contraceptifs et les difficultés d’accès aux services de planification familiale. Ainsi, pour amener les hommes à adhérer, il a été élaboré des modèles de plaidoyer à l’intention de ceux-ci pour qu’ils puissent percevoir la planification familiale comme un moyen d’épanouissement de la femme et du couple et non à la limitation des naissances.
Y a-t-il un lien entre la planification familiale et le bien-être familial ?
La planification familiale est l’un des éléments essentiels pour la réduction de la mortalité maternelle, néo-natale et infantile. Utiliser un bon espacement des naissances, c’est sauvegarder la santé de l’enfant, de la mère, de toute famille et de toute la nation. Les avantages de la PF sont énormes. C’est pourquoi nous incitons les hommes à soutenir la planification familiale. Il faut comprendre que la planification ne veut pas dire la limitation des naissances. Le Mali a opté pour l’espacement des naissances pour sauvegarder la santé de la mère et de l’enfant. Par manque d’information, certains hommes ne veulent pas que leurs femmes utilisent les services de planification. Alors que la souscription aux méthodes contraceptives est recommandée pour l’atteinte des OMD à l’horizon 2015. Des progrès sont certes notés, mais les défis restent plus que jamais actuels dans cette zone où les traditions bousculent les innovations.
Réalisé par Ramata Tembely