Le ministre malien de la Jeunesse et des Sports a joué gros dans la guerre qui fait rage pour prendre la tête du Conseil national de la jeunesse du Mali (CNJ). Exit Diallo, bienvenue Dakouo après plusieurs échauffourées dans la salle.
Depuis qu’il occupe le portefeuille de la Jeunesse et des Sports au sein du gouvernement de transition, Mossa Ag Attaher s’emploie à perdre son image d’ancien porte-parole de groupes ex-rebelles. Celui qui fut la voix du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), avant de devenir le porte-parole de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), organisation qu’il a représentée au Dialogue national inclusif organisé à l’initiative de l’ancien président Ibrahim Boubacar Keïta – avant d’en claquer la porte –, présente désormais le visage d’un « ministre dynamique ».
Diarra contre Diallo
À 41 ans, ce natif de Temera, dans le cercle de Bourem, nommé au sein du gouvernement de la transition au nom de l’ouverture aux groupes armés signataires de l’accord pour la paix d’Alger de 2015, tente d’imprimer sa marque. Parmi les nombreux dossiers qui s’accumulent sur son bureau de jeune ministre, l’un des plus épineux est la crise de leadership qui secoue le Conseil national de la jeunesse (CNJ) depuis 2019. Ce samedi 1er mai, Ag Attaher sait qu’il joue gros : le CNJ a tenu en effet une conférence extraordinaire dans la région de Bougouni, qui s’est annonce très agitée. Et l’implication du ministre dans ces bisbilles internes a suscité une polémique entre partisans et détracteurs de ce dernier, tant dans la presse que sur les réseaux sociaux. Accusé d’« immixtion » par les uns, il mènerait un « combat pour l’unification de la jeunesse » pour les autres.
Le CNJ, qui se veut une plateforme de concertation, d’accompagnement et de coordination des actions de la jeunesse, a du plomb dans l’aile depuis le congrès de novembre 2019. L’élection d’Amadou Diallo à la présidence n’avait alors pas été reconnue par son adversaire, Ousmane Diarra, dit « Gousno ». Ce dernier a contre-attaqué sur le front judiciaire, tout en revendiquant la victoire, se présentant comme le « président élu » du CNJ. Amadou Diallo a, à son tour, saisi la justice. Le bras de fer a même valu à Ousmane Diarra un séjour en détention préventive, suite à une plainte déposée contre lui par Amadou Diallo.
Le CNJ s’enfonce dans une crise
La crise n’a, depuis, cessé de s’étendre au sein du comité exécutif du CNJ. Les adversaires d’Amadou Diallo et de son équipe n’hésitent pas à évoquer des soupçons de « malversation financière dans la gestion des fonds alloués à la jeunesse ». Surtout, la nomination de Diallo au Conseil national de transition – l’organe législatif qui tient lieu d’Assemblée nationale – a provoqué une levée de boucliers. Il y a « incompatibilité de sa nomination au CNT avec le mandat au CNJ qui est apolitique », juge Ousmane Diarra et les contestataires au sein du bureau exécutif qui réclament la « restitution du quota du CNJ au sein du CNT ».
Quota de postes au CNT
Le CNJ n’a obtenu que deux postes au sein du CNT, alors qu’il avait droit à quatre, selon les conclusions du dialogue. Les proches du président de l’instance lui ont conseillé d’expliquer que le quota était prévu pour l’ensemble des regroupements de jeunesse, et pas uniquement pour le CNJ. Ce qu’il n’aurait pas fait. « Les intox ont pris le dessus, et le président a été accusé d’avoir vendu des postes, explique une source au sein de l’organisation. Et il lui a été demandé de choisir entre le CNT et le CNJ. »
Les débats au sein du bureau national ont été tendus. Sur les sept vice-présidents, quatre se sont dit favorables au départ d’Amadou Diallo. Désormais, la crainte est à la propagation. « Si l’on n’y prend pas garde, la crise va atteindre les antennes locales du CNJ », s’inquiète notre source.
La proposition faite à Amadou Diallo de choisir un intérimaire n’a pas non plus prospéré. L’organisation s’enfonce dans une crise « qui affaiblit la jeunesse, lui fait perdre son poids de lobbying et de plaidoyer, et les partenaires suspendent leur participation », confie un autre membre qui brandit l’absence de représentant du CNJ au sein du Comité d’orientation stratégique (COS) sur les réformes politiques et institutionnelles comme une conséquence de la crise.
Le CNJ n’en est pourtant pas à sa première crise. En 2010, le congrès avait déjà accouché de deux bureaux, plongeant l’organisation dans la crise pendant six mois. Et lorsque Mohamed Salia Touré, actuel ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle, a démissionné en 2017, rebelote : il a fallu, là encore, une conférence extraordinaire pour sortir de l’impasse.
Soupçons d’ingérence politique
« Le pouvoir cherche à contrôler ces grands mouvements en essayant de corrompre ses responsables sans chercher à résoudre les questions de fond. Les différents congrès se ressemblent : les bureaux sont élus, puis contestés, jusqu’à la maitrise de la situation par les autorités politiques en place, qui passent par les responsables du CNJ pour phagocyter les autres mouvements de jeunes », assène Mahamane Mariko, ancien leader estudiantin habitué des congrès du CNJ et aujourd’hui président du parti Convergence des reformes pour l’alternance et la justice (CRAJ-Faso Nyèta). « La crise actuelle durera jusqu’à ce que le pouvoir reprenne le contrôle de la machine », prophétise-t-il.
La magnitude de la crise est telle que le comité exécutif a adressé, le 22 avril, une lettre à la direction nationale de la jeunesse dans laquelle est annoncée la décision de préparer une conférence nationale extraordinaire, que les textes de l’organisation prévoient. Sous pression, le directeur national de la jeunesse, Sina Dembélé, qui a géré toutes les crises depuis 2010, a rendu son tablier début avril « pour des raisons personnelles et consécutivement à la gestion actuelle du CNJ en dehors des textes de la structure ».
Dans une lettre adressée à Keba Sangaré, le gouverneur de Bougouni où s’est tenue la conférence extraordinaire le samedi passé, le ministère explique que la conférence a pour objectif de « contribuer à l’unification de la jeunesse malienne par la mise en place d’un Comité exécutif consensuel et unitaire ». Un langage fort diplomatique pour dire qu’il s’agit de mener une révolution au sein de la direction de l’instance. « Le ministre essaie de gérer. Il veut l’inclusivité, que l’on ouvre le bureau aux contestataires et en particulier à Ousmane Diarra », confie une source proche du ministre.
Retour au calme
Mossa Ag Attaher a aussi pris la décision, le temps que le calme revienne, de fermer les locaux du conseil. « Il ne veut pas que les acteurs de la crise s’y affrontent », précise notre source. Préserver la sécurité publique, certes, mais aussi prévenir toute atteinte à l’image du ministre. Car Mossa Ag Attaher le sait, le destin politique des deux concurrents pour la tête du CNJ ne sera pas le seul qui se jouera à l’’issue de la conférence nationale extraordinaire de ce samedi à Bougouni.
Pour tout dire, le ministre Ag Mossa a réussi finalement à obtenir la démission de Diallo du bureau du CNJ et la conférence a mis son dévolu sur Habib Dakouo et cela après plusieurs échauffourées dans la salle.
Tout est bien qui finit bien.
Ibrahim Yattara