Dans une lettre adressée à la communauté catholique et à tous les Maliens de bonne volonté, à l’occasion des élections générales de 2018, les évêques du Mali, invitent les uns et les autres (appelés dans la lettre par le nom de Théodule, à une remise en cause. Car, le changement ne peut venir que par chacun de nous avec la Bénédiction de Dieu. Lisez !
«Mon cher Théodule,
A chaque élection générale, il est d’usage que moi, Conférence Episcopale du Mali regroupant les évêques de notre pays, je m’adresse à vous que j’appelle Communauté catholique et à tous les Maliens de bonne volonté.
Dans ma lettre pastorale de 2002, je t’appelais affectueusement Théophile c’est à dire Amoureux de Dieu. Cette année, j’ai décidé de te nommer Théodule, qui veut dire Serviteur de Dieu, Esclave de Dieu. Donc, Cher Théodule, ou le Coran, ou la Bible ou les lois des ancêtres en main et dans le cœur, écoute-moi.
Hier, dans mes quatre premières lettres du genre, celles de 1997, 2002, 2007 et 2013, j’avais mis essentiellement l’accent sur l’importance du vote, la représentation utile, le comment faire la politique autrement, la réconciliation, et la consolidation de l’unité nationale. Ainsi, en 2013, pour la réussite des élections, je t’invitais à plus de solidarité agissante pour que le Mali soit vraiment « un seul Peuple » qui a « un seul But » et
« Une seule Foi ». Aujourd’hui, je t’invite à laisser Dieu façonner en toi une mentalité nouvelle pour un Mali nouveau. Cet appel est pressant pour deux raisons : La première est que 2018 marque le cent-trentième anniversaire de l’Eglise au Mali. Rappelle-toi que dès l’indépendance du Mali, l’Eglise a épousé les causes du pays. Elle a cheminé avec lui et apporté sa contribution à la construction de l’édifice national à travers son engagement, ses actions et ses messages de paix, de conversion et de justice sociale. La seconde est que 2018 est une année d’élections générales au Mali. La coïncidence entre ces deux évènements me commande de prendre la parole pour me prononcer sur lesdites élections à venir. Ce, d’autant plus que, depuis 2012, tu marches sur des braises. C’est pourquoi moi, les évêques du Mali comme un seul homme, je prends le risque de te parler en toute franchise au lieu de me taire. Je veux ainsi contribuer à l’apaisement du climat social et politique. Ecoute mes trois paroles : tes avancées, tes défis actuels, débout sur les remparts.
Ma première parole : tes avancées
Malgré la situation difficile que tu vis, je constate des avancées depuis ma dernière lettre, qui sont entre autres : la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger, la tenue de la rencontre d’entente nationale, l’élaboration de la charte pour la paix, l’unité et la réconciliation nationale, la mise en place des autorités intérimaires dans certaines régions du Nord, la collaboration entre les parties signataires de l’Accord malgré les difficultés, l’organisation et la tenue d’élections régulières malgré quelques reports, le positionnement de certaines organisations de la société civile dans l’observation du processus électoral au Mali et la collaboration positive avec les organisations internationales et les pays amis pour ta sortie de crise. Malgré ces efforts notables, tu as encore beaucoup de défis à relever.
Ma deuxième parole : tes défis actuels
Les avancées que tu as réalisées ne doivent pas te voiler la face sur tes difficultés actuelles. Es-tu « débout sur les remparts » ? Es-tu « résolu » de mourir pour le Mali ? Es-tu prêt à te sacrifier pour la liberté, l’unité nationale, l’intégrité territoriale, la souveraineté de l’Etat, sa forme républicaine et son caractère laïc ? Ainsi, je vois chez toi, des insuffisances qui sont autant de défis à relever.
Des mesures cardinales consignées dans l’accord pour la paix et la réconciliation nationale issu du processus d’Alger, rencontrent des obstacles majeurs qui s’opposent à sa mise en œuvre ; la détérioration de la sécurité sur tout ton territoire ; la conscience citoyenne en régression chez toi, qui se traduit par la persistance d’un faible taux de participation aux élections et une perception réduite des enjeux, défis et réalités qui y sont liés ; les reports successifs des élections communales, régionales et celles du district. Il y a aussi la menace de plus en plus grande qui plane sur ta laïcité, la corruption grandissante qui contraste avec les enseignements religieux qui sont prêchés par tes leaders religieux, l’esprit mercantile et la violence sous toutes ses formes qui portent atteinte à ta dignité lors des élections, la violence grandissante qui terrorise tes filles et fils, dans tes rues, sur tes routes, dans tes écoles, dans tes champs, sur tes places et même dans tes médias, surtout sur tes réseaux sociaux. A ces obstacles, il faut ajouter la perte progressive de tes valeurs traditionnelles et spirituelles pétries de crainte de Dieu, de tolérance et d’empathie, du sens du Bien Commun qui met même à mal l’unité nationale, l’incivisme qui compromet dangereusement le vivre ensemble. Comme un bon lutteur, tu dois affronter ces défis du bon côté et avec les bons gestes que ma troisième parole te propose.
Ma troisième parole : debout sur les remparts
Je te félicite pour tes avancées. Remercie tes vrais amis qui t’aident à retrouver la stabilité. Convertis-toi et écoute bien ce qui te reste à faire.
Aux partis politiques, je demande le respect de la loi électorale. La politique en tant qu’engagement d’une personne à soigner les maux et promouvoir le bonheur de ses concitoyens est un métier noble. Pour y arriver, un ensemble de personnes forment un groupe appelé parti politique qui a pour vocation de concourir et d’exercer le pouvoir. Or, lors des élections, je constate des dérives qui ont trait à l’élaboration de programmes irréalistes et irréalisables, à des tripatouillages dans les urnes et dans les constitutions. Autant de choses qui ont contribué à blesser la noblesse de ce métier. Aussi, je vous demande de dire la vérité sur ce que vous voulez et pouvez faire, faute de quoi vous serez vite rattrapés par vos mensonges. Les Bambara ne disent-ils pas : « So te N’galon fe », « un mensonge n’a pas d’abris ». En promettant ce que vous ne pouvez réaliser, ou en recourant à la fraude dans les urnes pour avoir la majorité, vous serez vite rattrapés par la réalité. « Dès lors ; plus de mensonge : que chacun dise la vérité à son prochain ; ne sommes-nous pas les membres les uns des autres? (…) De votre bouche ne doit sortir aucun mauvais propos, mais plutôt toute bonne parole capable d’édifier, quand il le faut, et de faire du bien à ceux qui l’entendent » (Epitre de Saint Paul aux Ephésiens 4,25.29). Cela implique le respect de l’autre et la reconnaissance de ses mérites. Il y a alors à faire preuve de fair-play politique.
Aux organes électoraux, je demande de veiller à une bonne organisation des élections.
Il est nécessaire de bien les préparer pour minimiser les insuffisances dans l’exécution. Des agents bien formés et bien équipés constituent un investissement pour la paix. Je vous demande de respecter les principes sacrés inviolables suivants : impartialité, probité, transparence dans tout le processus, éviter de sacrifier votre dignité sur l’autel de la corruption et du tripatouillage des résultats.
Aux parties prenantes de l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger, que votre oui soit oui. La parole sans les actes est une parole morte, comme la foi sans les actes est une foi morte (cf. Epître de saint Jacques 2,17). Ainsi, je vous invite à donner vie à l’Accord par des actes concrets. Votre bonne foi doit se démontrer par la défense de notre Bien Commun : le Mali. Celui-ci doit passer avant les intérêts particuliers qui poussent à exiger du pays ce qu’il ne peut pas faire. « Les élections constituent un lieu d’expression du choix politique d’un peuple et sont un signe de la légitimité pour l’exercice du pouvoir » (Pape Benoit XVI, Exhortation apostolique « Africœ Munus », 81).
Aux femmes, vous sans qui le Mali ne serait pas. Vous avez perdu des filles et fils, des époux, des sœurs et frères, des pères et des mères payant ainsi un lourd tribut dans la crise actuelle. Vous êtes la frange du peuple qui se mobilise le plus pour les élections. Engagez-vous pour la défense d’un scrutin crédible pour une paix durable et un développement équitable. Soyez des sentinelles pour des élections justes, transparentes et sans violence au Mali. Rendez le vote utile pour le pays et pour l’avenir de vos familles. « Une société sans mères serait une société inhumaine, parce que les mères savent témoigner toujours, même dans les pires moments, de la tendresse, du dévouement, de la force morale » (Pape François, Exhortation apostolique post-synodale, « Amoris Lœtitia », 174).
Vous les jeunes, Présent et Avenir du Mali, frappés des maux tels que le chômage, le manque de débouchés, l’insuffisance d’encadrement et de formation, la migration irrégulière, la débrouillardise, la perte de perspectives d’avenir. Les calculs politiques qu’on pourrait appeler le « PMU politique » ont commencé. Ne vous laissez pas manipuler par les politiciens qui profitent de vous pour satisfaire leurs intérêts personnels. Examinez soigneusement les projets de société des candidats aux élections, et votez selon votre conscience. Mettez votre force et vos talents au service de la Nation, d’abord. « Vous les jeunes, vous avez de la force, vous traversez une phase de la vie où ne manque certainement pas l’enthousiasme. Utilisez cette force et ces énergies pour améliorer le monde, en commençant par les réalités qui vous sont plus proches » (Pape François, Message à l’occasion des XXIIIème journées mondiales de la jeunesse 2018, 4).
Aux leaders religieux dont nous faisons partie, nous rappelons que la religion est au service de l’homme. Le Dieu de la paix que nous servons tous nous engage à nous mettre au service de la paix sociale. Celle-ci passe par le respect de la conviction de foi de chaque Malienne et Malien en promouvant une saine laïcité du pays. Entendu que la laïcité signifie accueil de la diversité religieuse au Mali, et respect des convictions religieuses de l’autre. Serviteurs de Dieu que nous sommes en premier lieu, notre mission n’est pas de diviser le pays mais de révéler à nos concitoyens le visage du Dieu d’amour que nous portons en nous. C’est ainsi que toutes les personnes qui ont la charge de conduire les destinées du pays sont, pour la plupart sinon toutes, fidèles d’une confession religieuse. S’il y a mal gouvernance, c’est que nous leaders religieux, qui avons eu en charge leur encadrement religieux dès leur enfance, nous devons nous interroger sur la qualité de notre enseignement. Celui-ci devait les amener à la vraie foi qui exige d’un fidèle toutes les qualités d’un craignant Dieu. Aujourd’hui plus que jamais, notre rôle est surtout de nous attacher à la conscientisation de l’homme malien. Le prophète Ezéchiel ne dit-il pas ceci : « je fais de toi un guetteur pour la maison d’Israël. Lorsque tu entendras une parole de ma bouche, tu les avertiras de ma part. Si je dis au méchant : “Tu vas mourir”, et que tu ne l’avertis pas, si tu ne lui dis pas d’abandonner sa conduite mauvaise, lui. Le méchant, mourra de son péché, mais à toi, je demanderai compte de son sang. Au contraire, si tu avertis le méchant d’abandonner sa conduite, et qu’il ne s’en détourne pas, lui mourra de son péché, mais toi, tu auras sauvé ta vie. » (Ezéchiel 33,7-9). Attachons-nous à amener les fidèles à la vraie foi et laissons-les faire le reste.
Aux sociétés civiles qui sont par définition apolitiques il urge de revenir à votre rôle premier qui est d’œuvrer pour le bénéfice de la population dans un secteur ou dans un autre de la vie sociale. C’est avec amertume que je constate que toi société civile, tu es devenue plus politique que le politique lui-même, car à l’heure des élections, tu sembles te muer en soutien politique pour tel ou tel autre ; autant que les religieux tu dois revenir à ton rôle premier et éviter de servir de réservoir de voix pour un candidat. Je te demande de ne pas te dévoyer.
Mon cher Théodule. Peuple du Mali, Serviteur de Dieu, je te demande d’exercer ton pouvoir de vote de façon éclairée. Pour ce faire, il est important, même indispensable pour ton avenir et celui du pays que tu votes et que tu votes selon ta conviction comme le disent les Bambara : « ne mako t’a la, ne mako t’a la, o de bc maakolon ka jama sema ye c’est l’indifférence qui porte au pouvoir un dirigeant indigne. Evite de voter suivant la consigne de quelqu’un d’autre, car la consigne de vote t’infantilise. Si tu dois te tromper que ce soit sur la base de ta propre conviction. « Fili ka da i ka tins kan
Vous, partis politiques, la conquête du pouvoir requiert l’obtention des voix de vos concitoyens. Cependant, cette quête ne doit jamais vous amener à courir derrière les consignes de votes de nous religieux, car tôt ou tard, vous devrez en payer le prix, tant il est dans la nature du faiseur de roi, de toujours obliger celui qu’il a aidé à venir au pouvoir.
Mon cher Théodule, remets-toi en cause. Le changement ne peut venir que par toi avec la Bénédiction de Dieu que tu peux invoquer».
Conférence Episcopale du Mali