On se rappelle cette phrase du Kotéba national : « Il y a l’argent à Bamako, mais les non travailleurs n’en sont pas concernés ».
Si cette phrase du théâtre national est une parole ancienne, elle est loin d’être aujourd’hui une vérité établie.
En effet, de nos jours, on peut travailler au Mali et manquer d’argent, être salarié et pauvre, voire démuni.
Abdoulaye est un cadre supérieur. Son salaire, il le partage avec ses parents, proches, collègues et autres connaissances.
Chaque matin, les demandes sociales l’inondent.
Des demandes les plus farfelues du genre : « Il y a le mariage de la belle-sœur de la cousine de mon amie. Il faut que j’apporte ma participation en nature et en espèce… » aux demandes les plus fondées comme : « L’enfant a piqué une crise de paludisme. Son père, ouvrier, n’a plus de job depuis belle lurette déjà. D’ailleurs, ça fait plusieurs jours que la famille n’a pas posé la marmite sur le feu.’’
Abdoulaye qui rechigne à détourner les deniers publics ne sait plus où donner de la tête. Pire, il est en passe d’hypothéquer ainsi l’avenir de ses enfants.
Cependant, Abdoulaye et ses enfants peuvent s’estimer heureux.
Hatouma, jeune femme d’une trentaine d’années a du mal à joindre les deux bouts.
Son salaire de 35 000 Fcfa qu’elle gagne dans le privé ne lui suffisent pas pour supporter les charges de ses deux enfants qu’elle élève seule en l’absence de son mari parti en aventure.
Ventre creux, l’aînée âgée d’à peine douze ans fait le trajet de l’école (2 km environ) à pieds.
Lamine, 30 ans, travaille dans une ONG qui lui paie quelques 40 000 Fcfa qui ne lui permettent pas d’entretenir sa femme et ses deux enfants dont l’aînée va à l’école privée pendant que lui-même travaille dans le Mali profond. Conséquence : Son mariage est au bord de l’implosion.
Modibo, 38 ans tient en main sa fiche de paie, moins de 50 000f CFA. Enseignant vacataire, il a signé un contrat pour une année.
Il traque les heures supplémentaires pour gérer le quotidien : deux enfants à nourrir et à entretenir, les frais de location, à 25 000 Fcfa.
De même, Seyba, Karim, Cheick, Hawa, Yombé, Fatim et bien d’autres sont sous contrat à durée déterminée. Mais, les salaires dérisoires qu’ils gagnent leur permettent juste de figurer au rang des 21% des Maliens qui vivent en dessous du seuil de pauvreté. Ils constituent ainsi, les salariés pauvres majoritairement composés de femmes, de jeunes et d’hommes sans diplôme.
Ne ménageant pas leurs camarades vivant au crochet de leurs parents, frères ou autres proches, ils préfèrent se prendre en charge : « Il faut s’assumer. On ne peut pas se décharger au détriment de ses parents » confie l’un d’entre eux. Impossible de trouver un logement décent au centre de Bamako à moins de 50 000 Fcfa. Yombé, 36 ans, multiplie les contrats à durée déterminée sans succès. Elle paie 60 000 Fcfa de loyer pour un appartement de trois pièces qui ne la met ni à l’abri du bruit, ni de la saleté qu’elle déteste tant.
“Avec si peu d’argent, on ne vit pas. On végète”.
Là où la protection familiale n’existe pas, on compte sur la solidarité du bailleur qui attendra un mois, deux mois, trois mois avant d’être payé.
Dans ce cas, comment faire des courses ? Une seule alternative : les bas prix. Bonjour la fripe et les chinoiseries, mais aussi les produits périmés.
Les restaurants ? Rayés du vocabulaire !
Et les fruits et légumes relèvent du domaine du luxe.
Peut-il en être autrement ?
Yombé touche sa paie avec deux mois de retard contre quatre à cinq mois pour certains de ses camarades qui travaillent dans l’enseignement ou dans la presse. Or, il faut de l’argent pour assurer les dépenses courantes.
Faute d’argent pour payer le ticket de bus ou de Sotrama, nombreux sont aujourd’hui les Maliens qui préfèrent s’embarquer dans les “taxi des maures”, c’est-à-dire marcher.
« Ce que j’ai marché aujourd’hui est l’équivalent de la distance Bamako-Kita », lâche Ousmane, un demandeur d’emploi qui court sans cesse à travers Bamako pour déposer ou suivre le dossier de ses multiples demandes d’emploi.
Dès lors, la santé devient secondaire. Mamadou rechigne à emmener son bébé d’un mois à l’hôpital au profit d’un soi-disant spécialiste qui lui prescrit plutôt des médicaments pour adulte, évidemment à moindre frais.
Les seuls loisirs que les uns et les autres peuvent s’offrir se résument à boire du thé ou à regarder la télé chez des voisins. Pas de vacances.
Que dire des relations sociales ? Sinon qu’elles n’existent pratiquement plus pour la plupart de ces gens.
Yombé n’a pas renouvelé sa garde robe depuis au moins trois ans. Si elle peut prendre le risque de se rendre au chevet d’un malade ou de rendre un dernier hommage à un être cher qu’elle perd, impossible pour elle d’aller s’exposer aux moqueries incessantes des autres femmes de sa tribu nombreuse ou de son voisinage. Les rares fois où elle prend son courage à deux mains pour s’y rendre, elle est traitée de tous les noms.
Ces cas ne sont malheureusement que la partie visible de l’iceberg.
59, 3% des Maliens sont pauvres et 21% des Maliens vivent en dessous du seuil de pauvreté selon le PNUD.
Pourtant, ces chiffres sont loin de refléter la réalité pour qui sait la réticence des Maliens à livrer aux enquêteurs leur état d’indigence et la rougeur des autres indicateurs de la précarité que sont le chômage interminable, le surendettement, la mendicité systématique. Les migrations n’arrangent rien. En dépit des prestations sociales, la pauvreté gagne du terrain.
La vie chère anéantit l’effet bénéfique des quelques augmentations de salaire auxquelles les travailleurs maliens ont droit, depuis quelque temps.
Les Maliens ne sont plus protégés contre l’exclusion.
Quels minimums sociaux existent aujourd’hui pour assurer la subsistance des pauvres et des sous pauvres Maliens ? Et, lorsqu’ils existent, ces minimums sociaux, tiennent-ils compte du seuil de pauvreté ?
De quelle assurance bénéficient les chômeurs Maliens ? Les sans-emploi Maliens sont-ils indemnisés ? Quelle allocation existe aujourd’hui pour les chômeurs ?
L’aide financière due aux chômeurs demeure encore hors de question au Mali.
Il faut alors comprendre pourquoi, des centaines de compatriotes se bousculent au portion de l’Europe même s’ils courent le risque de perdre leur vie dans le désert ou dans le Détroit de Gibraltar.
Hawa Diallo