La journée du 05 septembre 2020 n’a pas donné à croire que l’on prépare avec sérieux la période transitoire que tout le monde appelle de ses vœux. À Bamako comme dans les régions, la pagaille qui a prévalu lors des travaux préparatoires est très mauvais signe.
Si les 10, 11 et 12 septembre accouchent d’une souris, en tout cas de conclusions sinon suspectes, du moins décriées, ce ne serait pas une trop grande surprise. La faute sera d’abord imputée au Cnsp qui a d’évidence conçu les assises en solitaire pour les lancer dans une impréparation indéniable. Ensuite, on en voudra, dans une certaine mesure, au peuple malien, notamment le M5-RFP, de n’avoir pas su convaincre le Cnsp de surseoir au lancement des concertations jusqu’à ce que les meilleures conditions optimales soient réunies. Il est vrai qu’il urge de mettre en place les organes de la Transition pour permettre au pays de fonctionner normalement, mais agir pour ce faire dans une rapidité aux relents de légèreté n’est pas la voie royale pour sortir le Mali de la nasse dans laquelle il se trouve pris depuis sept ans.
Or, de toute évidence, les colonels sont en train d’agir en vainqueurs peu soucieux des poids des différentes forces qui se disputent l’échiquier sociopolitique. Cette erreur, grave en soi, se trouve malheureusement accentuée par les forts soupçons sur les hommes en treillis que l’on croit désireux de garder le pouvoir pour une durée considérable, de deux à trois ans, inacceptable pour la Cedeao et nombre de Maliens. Les deux dernières semaines ont en tout cas donné à constater que les militaires accélèrent la consolidation de leur pouvoir par le renforcement de leurs assises. Tout part vite, en effet, chez eux; ils n’ont pas de temps à perdre. Or, leur coup d’État est un modèle nouveau qui intrigue toujours par bien de non-dits.
Tout compte fait, les concertations populaires, citoyennes si l’on veut, en vue de concevoir l’architecture de l’indispensable Transition ont vécu dans un désordre démocratique. Peu importe de savoir qui ont élaboré les termes de référence et dans quel délai, l’essentiel est que tout le monde est conscient que la période transitoire, qu’elle dure douze, dix-huit ou trente-six mois, ne doit pas être un moment de bâclage et qu’il faut donc qu’elle soit assise sur de bases solides. Alors, ce qui s’est passé au Cicb, baromètre fiable qui a aussi mesuré à Kayes comme à Gao et Tombouctou, ne rassure point. Le Cicb a été le théâtre d’un cirque démocratique, une sorte de bazar pour bavards professionnels venus vendre des illusions de dernière génération. Les salles ont été prises d’assaut, dès les primères heures de la matinée du samedi, par les roquets qui aboyaient jusqu’au 17 août qu’ils étaient les défenseurs d’Ibrahim Boubacar Keïta et de son régime, qu’ils étaient foncièrement pour le statu quo, donc qu’ils sont contre le changement qui n’était rien d’autre que l’exigence d’épuration des mœurs politico-financières abâtardies durant sept ans calmée par les contestataires. Au même moment, il a fallu que les molosses de la jeunesse du M5-RFP viennent arracher leurs places dans les différentes commissions de travail où le mouvement de la contestation qui a ébranlé de lutte farouche les fondements de la dictature prédatrice d’IBK était exclu, en tout cas ignoré. On se demande bien avec qui le Cnsp veut traiter. Avec ceux qui ont lutté pour la rupture ou avec les complices de la démolition nationale, restaurateurs comme ils ne veulent pas l’entendre? Pire, alors que le Cnsp a fait l’impasse sur le M5-RFP, la CMA, mouvement armé ouvertement indépendantiste qui s’est réjoui d’avoir renvoyé l’armée malienne à 1.500 kilomètres de Kidal, était valablement représentée dans toutes les commissions quand bien même elle était absente de toutes.
Bref, quelles recommandations seront-elles soumises aux concertations nationales des 10, 11 et 12 septembre ? Quel président de la Transition, un civil ou un militaire ? Quel Premier ministre, un civil ou un militaire ? Les résolutions ne sont-elles pas biaisées à l’avance? Les dés ne sont-ils pas pipés depuis le jour du 18 août, sinon avant l’action décisive de cette journée ? Six jours après le 18 août, le 24, les militaires avaient fini d’élaborer leur Acte fondamental qui range la constitution de 1992 dans les tiroirs.
La Cedeao exige un président civil au-dessus duquel il ne doit pas avoir une structure militaire. Les opinions nationales, à admettre qu’elles ne sont pas biaisées, sont tout de même partagées sur la question cruciale du président de la Transition. Avec de telles pesanteurs, il semble bien que la mise en place de la Transition va aller en duel avec le maintien du Cnsp. Kati demeure pour le moment le centre de gravité du pouvoir. Il y a bien de zones d’ombre à éclairer.
Amadou N’Fa DIALLO