« Je suis devenu chef d’entreprise », affirme un voisin qui, cependant, se limite à fabriquer à l’arrière de sa maison des tabourets qu’il va vendre, avec un cousin, sur deux marchés de la ville. A sa ceinture, un téléphone portable (vrai ou en plastique ?) est censé attester de son statut d’entrepreneur aux yeux des voisins sceptiques.
Pour eux, une entreprise, c’est par exemple la fabrique nationale de tabac, là-bas, à la sortie de la ville ; pas le petit atelier domestique. Pourtant, il n’a pas tort, notre « chef d’entreprise ». Même si, elle est réduite, son activité est destinée à produire et à vendre afin de subsiste. A à ce titre, elle est une « entreprise », comme l’est une cimenterie, une agence de voyages, un commerce de motos ou une banque.
Les puristes de l’économie affirment qu’une entreprise doit réunir quatre éléments : la production (de meubles, de fruits, de coupes de cheveux….), l’échange (achat et vente), l’autonomie (les chefs d’entreprises en sont les maîtres) et un grand nombre d’individus. Toutefois, en observant la réalité, les économistes ont peu à peu introduit le terme de micro-entreprise pour désigner les entreprises d’une ou de quelques personnes.
Le reste importe peu. Sur le plan économique, l’entreprise existe même sans spécialisation des tâches (un comptable, un secrétaire, des ouvriers…), sans vitrine sur la voie publique, et même sans registre de commerce ni inscription légale. Mais dans ce cas, on entre sur un autre terrain : celui de l’économie dite informelle.
« Informel », dites-vous ?
« Au Mali, les deux tiers des habitants vivent de l’économie informelle ».
Ce genre d’affirmation est de plus en plus fréquente à propos des pays du Sud. Ne discutons pas le chiffre, mais attachons-nous au terme « informel ».
Le constat est simple : un peu partout, des personnes vivent de « petits métiers » : vendeurs de cigarettes, de beignets ou de journaux, cireurs de chaussures, fabriquants d’artisanat dans l’arrière-cour de la maison, vendeuses d’alimentation sur les marchés…. Tous entrent dans la catégorie « économie informelle ».
Les spécialistes ont essayé d’expliquer pourquoi tant de gens sont dans l’informel, et ils ne sont pas d’accord entre eux.
Pour les uns, c’est le manque d’emploi qui oblige les femmes, les jeunes « ajustés » que l’Etat n’engage plus, les chômeurs… à se débrouiller.
L’informel est alors une obligation pour survivre.
D’autres, au contraire, y voient la preuve de l’inadaptation de l’économie occidentale (qui veut tout faire entrer dans certaines formes standards) au dynamisme et à la spontanéité des Africains, Asiatiques et Latino-américains.
L’informel est alors une résistance à l’occidentalisation.
D’autres soulignent la solidarité familiale et clanique qui s’exprime dans l’économie informel, où l’on est soucieux de partager le travail et les bénéfices. Ou encore la volonté d’exploiter les travailleurs sans respecter les lois.
Tous ces spécialistes pensent que leur interprétation est la bonne. Et s’ils avaient tous raison ?
L’économie informelle est très diverse, selon les endroits et selon les moments.
Elle répond à plusieurs motivations. Et le seul point commun entre toutes ces initiatives semble bien être le fait de ne pas être juridiquement déclarées et enregistrées. Donc, de n’avoir aucune obligation (ni impôts, ni salaire minimum, ni mesures de sécurité dans le travail….) envers l’Etat.