Commission vérité justice et réconciliation : Les obstacles à la réconciliation !

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Ousmane Oumarou Sidibé, président C VJR
Ousmane Oumarou Sidibé, président C VJR

Enquêter sur les cas de violations graves des droits de l’homme individuelles ou collectives, commises dans le pays, sur la période de 1963 à 2013. Telle est la mission principale assignée à la Commission Vérité Justice et Réconciliation (CVJR). Mais au regard de la situation socio-politique et sécuritaire, l’équipe d’Ousmane Oumarou Sidibé, pourrait-elle accomplir cette tâche ? Le chemin est, de toute évidence, parsemé d’embuches. Et la largesse du fossé qui sépare les communautés du nord, d’une part, et de l’autre, le peuple malien dans sa totalité, ne sont pas de nature à faciliter la mission des commissaires de la réconciliation.

Le président de la CVJR, Ousmane Oumarou Sidibé a, au cours d’une conférence de presse, le 29 octobre 2015, décliné les missions de la Commission Vérité Justice et Réconciliation.

Créée par l’ordonnance N°2014-003 P-RM du 15 janvier 2015, la CVJR est chargée d’enquêter sur les cas de violations graves des droits de l’homme individuelles et/ou collectives, commises dans le pays ; de mener des enquêtes sur les cas d’atteinte à la mémoire individuelle et/ou collective, et au patrimoine culturel ; d’établir la vérité sur les violations graves des droits de l’homme et les atteintes aux biens culturels, en situer les responsabilités et proposer les mesures de réparation ou de restauration.

La CVJR est également chargée de créer les conditions de retour et de la réinsertion sociale des personnes réfugiées et déplacées. Elle doit favoriser le dialogue intra et inter communautaire, la coexistence pacifique entre les populations, et le dialogue entre l’Etat et les populations ; promouvoir auprès des communautés le respect de l’état de droit, des valeurs républicaines, démocratiques, socioculturelles et du droit à la différence ; et faire des recommandations dans le domaine de la prévention des conflits.

En dehors des discours et des déclarations des acteurs de cette réconciliation et des belligérants de la crise, les Maliens ont des attentes fortes sur les plans de la justice, de la vérité ainsi que de la réconciliation. Mais certaines mesures prises par le gouvernement, avant et après la signature de l’accord de paix, n’augurent rien de bon pour les victimes des différentes rébellions qu’a connues le Mali de 1963 à 2013.

S’agissant des questions de justice, que pourrait faire la CVJR des criminels pour lesquels l’Etat et les puissances occidentales ne cessent de dérouler le tapis rouge ? Le Mali est désormais ancré dans une culture d’impunité. Toutes les rebellions ont connu leur lot d’exactions et de violations des droits humains. Qui ont été, malheureusement, soit amnistiées ou soit pardonnées par le truchement des accords successifs de paix. Les auteurs des crimes savent à quoi s’en tenir. Ils sont souvent certains, au moment de leur forfait, qu’ils ne risqueront rien en commettant des crimes contre l’humanité. Même les crimes imprescriptibles ne sont pas épargnés. Les auteurs des exactions d’Aguelhok et du coup d’Etat de mars 2012 sont en train de parcourir l’Europe (chantre de la démocratie et des droits de l’homme) et l’Afrique, sans coup férir.

 

Des promesses d’enquête…

Des textes de lois sont même votés ou proposés au vote pour leur épargner toutes poursuites et mieux les assurer une vie meilleure. Pendant ce temps les victimes ou leurs ayants droits peuvent tout simplement se contenter des promesses d’enquêtes, qui n’aboutissent…jamais. Depuis le stupide coup d’Etat de la bande à Sanogo, toutes les enquêtes ouvertes après des malheureux évènements, sont restées sans suite. Pis, quel que soit votre bonne volonté, il n’y a jamais un officier de justice pour fournir la moindre information sur les cas de violations de droits individuels ou collectifs. L’agression du président de la Transition, Dioncounda Traoré, l’affaire des bérets rouges, l’humiliante défaite de Kidal du 21 mai 2014 et les assassinats sauvages de braves soldats et administrateurs maliens ; etc., sont entre autres des évènements qui méritent d’être élucidés et dont les victimes, notamment le peuple malien, attendent toujours les suites judiciaires. La CVJR doit travailler d’arrache-pied à mettre les victimes dans leurs droits. Même si sa tâche semble difficile par le fait qu’elle n’est pas totalement neutre. Les bourreaux ont non seulement des représentants au sein de la CVJR, et mieux, ils ont accès aux moyens de communication beaucoup plus que les victimes. La structure en charge de la réconciliation aura-t-elle les mains libres pour enquêter et établir la justice entre des bourreaux plus forts et mieux équipés que des victimes souvent affaiblies et piétinées ? Vu la tournure des évènements, il sera illusoire d’espérer un quelconque résultat positif.

Aussi, il est demandé à la Commission Vérité Justice et Réconciliation d’établir la vérité sur les violations graves des droits de l’homme et les atteintes aux biens culturels. De quelle vérité s’agit-il ? Celle des criminels ou des victimes ? Car la vérité suppose que les belligérants acceptent de s’assumer. Et chaque partie prenne ses responsabilités en livrant à la justice les auteurs des exactions.

 

Un Mali (toujours) divisé !

La vérité nécessite la prise de décisions courageuses et la dénonciation de toutes les violations, pas seulement celles voulues par le pouvoir et les partenaires financiers. Chacun doit entendre ses torts et raisons pour ensuite demander le pardon. Mais tout semble compliqué dans un pays ou le pouvoir de la violence a pris le dessus sur celui du dialogue. Pouvait-on dire la vérité à des gens qui pensent toujours que les armes restent le seul moyen d’expression ? Dans un Mali, toujours divisé (Kidal et les autres), la Commission Vérité Justice et Réconciliation aura certainement du mal à rétablir la vérité entre des Maliens de deux bords.

Enfin, les commissaires de la CVJR ont en charge l’exaltante mission de réconcilier le peuple du Mali, blessé et meurtri, par plusieurs années de rebellions au nord du pays. Les exactions commises (au nord et au sud), de 1963 à 2013, sont censées mettre les communautés maliennes dos à dos. Il revient à la CVJR de réanimer le « vivre-ensemble » pour aboutir à une réconciliation des cœurs et des esprits.

Pour atteindre ce but, il faut nécessairement prendre de véritables actes et poser les vrais débats. Le jugement des criminels et le rétablissement de la vérité sont des conditions indispensables à la réconciliation. « Il sera très difficile de guérir une plaie sur du pus », nous dit un adage de chez nous.

Les différentes communautés tentent de trouver des solutions locales, mais la vérité, c’est que la réconciliation ne peut être amorcée à la suite de simples pardons. Quelles solutions adoptées en faveur des populations sédentaires des régions du nord, qui ont subi de multiples attaques, violences ainsi que des enlèvements de biens, pendant les différentes crises, surtout celles de 1990 et de 2012 ? La résolution de cette équation déterminera en partie la réussite ou non de la mission de la Commission Vérité Justice et Réconciliation.

Idrissa Maïga

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