Chronique d’une révision avortée

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De son adoption en conseil des ministres le 10 mars 2017, à la décision du président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta de « surseoir » à son exécution, le projet de révision de la constitution a provoqué un tollé aussi bien à Bamako, dans les régions et à l’extérieur. Retour sur les faits marquants de cette crise qui a ébranlé la République et a fortement secoué le Sommet de l’Etat.

Vendredi 10 mars 2017 : Le Conseil des Ministres réuni en session extraordinaire au Palais de Koulouba adopte le  projet de loi portant révision de la Constitution du 25 février 1992.

Dans la nuit du samedi 3 juin 2017 : L’Assemblée nationale vote le projet de loi portant révision de la constitution du 25 février 1992. Résultat du vote : 111 voix pour, 35 contre et 0 abstention. Si la majorité composée des députés du RPM et de ses partis alliés ont dit OUI à l’unanimité à la reforme, l’opposition composée de l’URD, de l’ADP Mali SADI ont par contre dit NIET en dénonçant la violation de l’article 118 de 1992, qui s’oppose à toute révision quand il est porté atteinte à l’intégrité du territoire national, comme « c’est le cas aujourd’hui » selon eux. Pour la majorité, la révision était nécessaire car « la constitution en vigueur a fait son temps ». Ainsi, le projet sera soumis à un vote référendaire le 9 juillet 2017.

Mardi 6 juin 2017 : La Cour constitutionnelle a publié son Avis N°2017-01/CCM/REF sur la Loi n°2017-031/AN-RM du 2 juin 2017 portant révision de la Constitution du 25 février 1992. La Cour juge que la procédure de la révision de la Constitution est régulière en la forme car, elle a respecté les dispositions des alinéas 1 et 2 de l’article 118 de la Constitution qui stipule : « L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République et aux députés. Aussi, selon la Cour constitutionnelle, la loi n°2017-031/AN-RM du 2 juin 2017 portant révision de la Constitution du 25 février 1992 ne remet en cause ni la forme républicaine ni la laïcité de l’Etat ni le multipartisme. L’intégrité territoriale, au sens du droit international, s’entend du droit et du devoir inaliénable d’un Etat souverain à préserver ses frontières de toute influence extérieure. « En l’état, celle du Mali n’est pas compromise par l’occupation d’une quelconque puissance étrangère ».

Samedi 10 juin 2017 : La vague de contestation s’enfle, depuis l’adoption par l’Assemblée nationale du projet de révision de la constitution de 1992. A la suite des dénonciations des  spécialistes du droit, de leaders politiques,  des opposants  décident d’unir leurs forces pour barrer  la route à ce projet constitutionnel. « An Tè, A Bana-Touches pas à ma constitution ! », c’est le nom de la toute nouvelle plateforme qui a vu le jour à la Pyramide de Souvenir à la suite d’une assemblée générale qui a regroupé près de 200 personnes, majoritairement composés de jeunes qui dénoncent tous la révision de la constitution. Composée de partis politiques de l’opposition, de la société civile (d’environ 300 associations), des simples citoyens ou encore des mécontents et déçus du régime en place…

Samedi 17 juin 2017 : À Bamako, des centaines de milliers de  Maliens  descendent dans la rue pour dénoncer le projet de révision constitutionnelle octroyant des « pouvoirs monarchiques » au président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta. Une manifestation organisée à l’initiative du Mouvement « An tè, A Bana ! Touche pas à ma Constitution» présidée par Madame Sy Kadiatou Sow, une des figures emblématiques du mouvement démocratique de 91. !

Le mouvement «An tè, A Bana » avait appelé à manifester contre un “coup d’Etat constitutionnel” du président IBK.

Samedi 15 juillet 2017 : La contestation du projet de révision constitutionnelle ne faiblit pas, de la place de la liberté à la Bourse du  travail, des centaines de milliers de manifestants battent  une fois de plus le pavé  contre le projet de révision. Ils réclament son retrait pur et simple. Au même moment, à Ségou, Koulikoro, Mopti… et à Paris, des centaines de milliers de Maliens ont manifesté pour dire NON à cette révision. Occasion pour les manifestants d’exprimer aussi leur colère contre la mauvaise gouvernance du  régime en place.

A l’appel du Mouvement « An tè, A Bana ! Touche pas à ma Constitution », une véritable marée humaine a déferlé dans les rues de Bamako… Aussi, les manifestants font allusion à « l’insécurité résiduelle », qualificatif donné à la situation sécuritaire au Mali par la Cour constitutionnelle. Des pancartes indiquaient à cet égard le nombre de morts (civils et militaires) depuis le début de l’année. Pour la première fois, les manifestants dénonçaient également l’implication de l’avocat français, Marcel Ceccaldi, dans la rédaction du projet de révision de la constitution de 1992.

Samedi 1er juillet 2017 : De Bamako à Paris en passant par Ségou, Sikasso, Bougouni et Kita, où des centaines de milliers de Maliens se sont (encore) mobilisés pour dire NON à la révision constitutionnelle, initiée par le régime en place. A Bamako, des milliers de citoyens, malgré une interdiction de la gouverneure ont répondu à l’appel du Mouvement « An tè, A Bana ! » qui a organisé un imposant meeting à l’avenue du cinquantenaire, sis à l’ACI 2000. Au-delà, les manifestants ont crié leur ras-le-bol face à la gestion calamiteuse du pouvoir qui enfonce chaque jour le Mali dans le chaos. Le même samedi, les populations de Kayes, Sikasso, Ségou, Kita ont battu le pavé pour dire NON à cette révision  porteuse de dangers pour l’unité et la cohésion du pays. Pendant ce temps, à Paris, les Maliens ont organisé une grande marche patriotique. A travers ces différentes manifestations, c’est le Mali indigné qui a décidé de se faire entendre et dire NON à la révision constitutionnelle.

Jeudi 03 août 2017: C’est du jamais vu au Mali ! Plus d’un million de personnes ont envahi les altères de la capitale pour accueillir le célèbre chroniqueur, Youssouf Mohamed Bathily alias Ras Bath, un des porte-paroles de la plateforme, de retour d’une tournée en Europe. Après cet accueil mémorable, la déferlante humaine s’est retrouvée devant la Bourse du travail ou se déroulait un meeting de  la plateforme « An tè, A Bana ». Là, Youssouf Mohamed Bathily a salué les responsables de la Plateforme, avant de fustiger dans le style qu’on lui connait la mauvaise gouvernance érigée en système par l’actuel régime. « Le peuple n’est plus prêt à hypothéquer son avenir et suit son destin de plus près. La mobilisation de ce soir a tout le signe de la vitalité de la démocratie. Nous ne sommes pas des ennemis d’IBK. Nous voulons juste lui faire rentrer dans l’histoire en renonçant à son projet qui divise les Maliens. Par ce message, il doit comprendre que le peuple est engagé (…) La diaspora malienne est aujourd’hui une sentinelle contre ce projet de révision constitutionnelle du 25 février 1992… », a-t-il déclaré.

Lundi 7 août 2017 : La plateforme « An Tè, A Bana-Touche pas à ma constitution ! » après ces marches et meetings a décidé au cours d’une assemblée générale de lancer un ultimatum au Président de la République. Objectif affiché : exiger le retrait pur et simple du projet de révision constitutionnelle. Ainsi, dans sa correspondance adressée au chef de l’Etat, le mouvement écrit entre autres ceci : « Nous, PLATEFORME AN TÈ  A BANA-TOUCHE PAS MA CONSTITUTION ;

Opposés au projet de révision constitutionnelle initié par le Président de la République, Son Excellence Ibrahim Boubacar KEITA en violation de l’article 118 de la Constitution du 25 février 1992;

Mobilisés depuis le 11 juin 2017 pour exiger du Président de la République le retrait de son projet de révision constitutionnelle, notamment à travers l’organisation de deux marches pacifiques à Bamako les 17 juin et 15 juillet 2017 et deux meetings les 1er juillet et 3 août 2017 et de manifestations populaires à l’intérieur du pays ainsi que dans la diaspora… Très fortement attachés à la Constitution du 25 février 1992 et plus que jamais engagés dans un esprit républicain à défendre nos droits constitutionnels ;

Avons décidé à l’unanimité lors de notre Assemblée générale du 07 Août 2017 d’exiger du Président de la République, SE Ibrahim Boubacar KEITA, le retrait pur et simple de son projet de révision constitutionnelle au plus tard le mardi 15 août 2017 à minuit… »

Samedi 12 Août 2017/ : Suite à la médiation des autorités religieuses et  coutumières, la plateforme « An tè, A Bana, Touche pas à ma constitution »  décide de reporter au samedi  19 aout sa marche  initialement  prévue  mercredi 16 aout. Cependant, la plateforme  maintien sa revendication  de retrait pur et simple  du projet de révision constitutionnelle. A défaut, elle projette une marche sur l’Assemblée nationale pour exiger  la mise en accusation du  président Ibrahim Boubacar Keita pour « haute trahison ».

Retrait  dans  la nuit du vendredi 18 aout 2018 : Entre le samedi 12 août  et le vendredi 18 août derniers, d’intenses tractations ont eu lieu de Koulouba à la Pyramide du souvenir (siège de la plateforme « An Tè, A Bana ») par les notabilités de Bamako (familles fondatrices, religieux). Objectif ? Désamorcer la bombe de la révision constitutionnelle. C’est  ainsi, après une ultime rencontre  entre le chef de l’Etat et les  membres de la plateforme. Le président IBK, dans une adresse à la nation, a annoncé sa décision de « surseoir » à l’organisation d’un référendum…

Mohamed Sylla

(L’Aube 916 du lundi 21 août 2017)

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