Qu’est-ce qui se passe au niveau de l’Agence d’exécution des travaux d’infrastructures et d’équipements ruraux (AGETIER) qui a fait la «UNE» de certains journaux la semaine dernière ? Selon des travailleurs mis en chômage temporaire, ils ont été victimes d’un règlement de comptes de la part du Directeur général. Mais, pour la direction générale, c’est une mesure conservatoire prise pas une assemblée générale de l’Association pour la gestion des travaux d’infrastructures et d’équipements ruraux (AGETIER) afin de faire face aux difficultés financières de l’agence liées à la conjoncture économique à laquelle notre pays est confrontée. Notre enquête !
«Nos portes sont ouvertes parce que nous n’avons rien à cacher. Notre devoir est aussi de donner un information saine à l’opinion nationale et à nos partenaires parce que l’Agetier tient à sa réputation, à son image» ! C’est l’assurance que le Directeur Général de l’Agence d’exécution des travaux d’infrastructures et d’équipements ruraux (AGETIER) du Mali, M. Zana Coulibaly, nous a donné au téléphone quand nous l’avions contacté afin d’avoir sa version par rapport à la mise au chômage technique de 13 travailleurs.
«Habituellement, je ne réponds pas aux articles de presse parce que quand on a la conscience tranquille, il y a des combats qui ne méritent pas d’être menés», nous a-t-il assuré en nous recevant mercredi dernier (30 août 2023) au siège de l’agence, à Ségou. Pour la circonstance, il était entouré notamment du Directeur administratif et financier, du Contrôleur de gestion, du Directeur technique, du délégué du personnel et du secrétaire général du comité syndical affilié au Synapro (syndicat national de la production affilié à l’Union nationale des travailleurs/UNTM).
Contrairement à ce que les travailleurs concernés ont déclaré dans la presse, il s’agit d’un chômage temporaire de trois mois allant du 1er septembre au 30 novembre 2023. Cette décision a été prise et notifiée aux intéressés le 21 août 2023. Après, les travailleurs vont intégrer leurs postes. Selon les travailleurs visés par cette mesure, c’est M. Coulibaly qui a pris «unilatéralement la décision de mettre en chômage technique 13 de ses employés». Et, la semaine dernière, ils ont dénoncé «la mise en œuvre intelligente de leur licenciement programmé» par le Directeur général. A leur avis, cette mesure est «la conséquence de la volonté néfaste nourrie par Zana Coulibaly contre des personnes qui avaient contesté sa gestion calamiteuse». Il s’agirait ainsi d’un «long feuilleton» qui aurait commencé en mai 2021 avec la fin du contrat du DG.
Le président de l’association AGETIER (instance dirigeante de l’AGETIER) aurait par la suite décidé de ne pas renouveler ledit contrat en nommant un intérimaire. «C’est ainsi que Zana a intenté une action en justice en décembre 2021. Il a eu gain de cause et a été établi par la justice dans ses fonctions. Et c’est lorsqu’il est revenu qu’il a commencé à s’acharner contre les employés qui avaient signé une pétition pour dénoncer sa mauvaise gestion», nous ont confié certains des agents visés par cette mesure.
Un chômage technique et non un licenciement
Pour le Directeur général (DG) de l’agence, il s’agit d’une mesure conservatoire prise pour faire face aux difficultés financières. Une mesure prise lors de la 32e session ordinaire de son Assemblée générale tenue le 11 janvier 2023. Elle a été préférée à des licenciements massifs face aux difficultés financières que l’Agetier vit actuellement. «Nous n’avons d’autres ressources que nos honoraires sur les conventions parce que nous assurons la maîtrise d’ouvrage au nom de l’Etat. Malgré que l’agence ait été reconnue d’utilité publique, nous n’avons pas reçu 1 franc de l’Etat. Nos plans de charge sont en chute libre parce qu’il n’y a presque plus de budget d’investissement sur lequel sont réalisées les infrastructures rurales pour améliorer l’accès à l’eau, à la santé, à l’éducation…», a expliqué M. Zana Coulibaly.
L’objectif est de réduire les charges de l’agence pour ne pas mettre en péril le fonctionnement de la structure entière. Et cela d’autant plus que, entre décembre 2021 et avril 2023, elle a été contrainte de contracter une dette de près de 600 millions pour couvrir les charges du personnel. Selon les documents que nous avons vu, tout a été fait conformément à la législation en vigueur. La direction de l’agence a ainsi pris soin d’aviser la Direction régionale du travail qui a pris acte de la décision. Et, en application de l’article L.53 (nouvellement modifié) du Code du travail (précise la correspondance N° 23/050 DRT-S), elle a rappelé à l’Agetier que, pendant cette période de chômage temporaire, il n’y aura ni recrutement de nouveaux travailleurs ni d’imposition d’heures supplémentaires au personnel restant.
Le délégué du personnel et le secrétaire général du comité syndical ont également reconnu avoir été associés à tout le processus. Ils avaient formulé des propositions qui n’ont pas été retenues parce que la Direction régionale du travail a jugé qu’elles n’étaient pas conformes à la législation en vigueur. Selon nos interlocuteurs, l’Agetier a exploré toutes les possibilités pour éviter cette mesure qui, malheureusement, s’est avérée la seule option pour préserver l’entité confrontée à des impayés considérables, notamment de la part de l’État qui lui doit au moins 1,5 milliard F Cfa.
Pour la Direction de l’Agetier, sa situation financière est loin d’être le fruit d’une «quelconque mauvaise gestion», mais plutôt de la conjoncture économique à laquelle tous les pays sont aujourd’hui confrontés. «Notre gestion est régulièrement auditée, nos comptes sont certifiés par un expert comptable et nous avons réussi deux missions de vérification du Bureau du vérificateur général». A écouter le Directeur général, ce n’est pas de gaieté de cœur qu’ils ont opté pour cette décision qui provoque naturellement «l’hystérie» de ceux qui en sont les victimes.
Moussa Bolly
Une mesure imposée par la morosité économique
«Mon souhait n’est pas d’enlever du pain de la bouche de qui que ce soi ou de priver des responsables de familles de leurs moyens de subsistance. Mais, face à la morosité économique que traverse notre pays, nous avons été contraints de mettre certains éléments du personnel en chômage temporaire de 3 mois», s’est défendu Zana Coulibaly lors de notre rencontre le 30 août 2023.
«Cette décision est un acte de gestion prise par l’Assemblée générale. Nous avons tout fait pour ne pas mettre les gens au chômage. Nous avons volontairement retardé l’échéance en espérant que les finances allaient s’améliorer entre-temps. Malheureusement, ce ne fut pas le cas», a indiqué M. Zana Coulibaly, Chevalier de l’Ordre national du Mali et lauréat de plusieurs distinctions dont «L’Oscar de l’Excellence» des managers africains décernés en 2019. Et d’ajouter, «nous sommes contraints de baisser les voiles en attendant que la tempête passe. Cela se traduit par la réduction drastique des dépenses de fonctionnement, la réduction des missions au strict nécessaire…».
Selon la direction de l’Agetier, l’espoir est permis puisque l’agence a entrepris de diversifier ses partenaires. Et elle a l’expertise nécessaire pour sortir de cette zone de turbulence car jouissant de la confiance des acteurs. «Nous n’avons jamais été blâmés pour la qualité de nos prestations», conclut M. Coulibaly avec une bonne et réaliste dose d’optimisme !
M.B
L’UNTM interpellée pour plaider le paiement des arriérés de l’agence pour sauver des emplois
«Nous avons eu une réunion de négociation le 8 mars 2023 avec la Direction générale qui est ouverte au dialogue pour trouver une solution et éviter le chômage ou le licenciement», écrivait le secrétaire général du comité Synapro-Agetier, Almoustapha Touré, dans une correspondance adressée le 31 mai 2023 au camarade secrétaire général de la division Synapro de Ségou pour l’informer de la situation.
«Nous avons été associés à tout le processus et nous sommes conscients que la direction a tout fait pour qu’on n’en arrive pas là. Mais, cette décision s’est imposée comme un passage obligé», nous a confié M. Yéguin Josué Togo, délégué du personnel, que nous avons rencontré à Ségou mercredi dernier. «Aidez-nous à interpeller le gouvernement pour qu’il s’acquitte des arriérés d’honoraires de l’agence afin de sauver nos emplois», a-t-il ajouté.
«Malgré les différentes négociations entre la Direction générale et le comité syndical, qui ont permis des reports successifs, nous n’avons pas pu éviter le départ de 13 de nos militants en chômage temporaire pour motif économique… Nous sollicitons l’aide de l’Untm (Union nationale des travailleurs du Mali) afin de nous aider à résoudre cette crise et sauver le travail de nos militants», a insisté M. Touré dans une nouvelle correspondance datant du 25 août 2023 et adressée à sa hiérarchie syndicale. Le comité syndical souhaite l’implication du Secrétaire général de l’Untm dans le plaidoyer auprès du gouvernement pour le paiement des arriérés qu’il doit à l’agence.
«Nous ne demandons pas au ministère de l’Economie et des Finances d’éponger ces arriérés d’un seul coup. Mais, même en les versant par tranche de 100 millions, cela nous permettra de souffler financièrement et continuer à payer le personnel», nous a aussi expliqué M. Zana Coulibaly, Directeur général de l’Agetier.
A Ségou, nous avons pu aussi échanger avec le responsable syndical par rapport à des accusations de certains travailleurs contre le Directeur général, notamment des arriérés de salaires. «Nous ne souffrons d’aucune aucune arriéré de salaires qui sont payés à temps. Exceptionnellement, c’est en juillet dernier que les salaires sont tombés le 31. Ceux d’août sont payés depuis le 21», nous a assuré Almoustapha Touré. Dans la presse, il a été aussi question de la suspension des salaires de plusieurs employés qui auraient un moment combattu le Directeur général. «Cela n’est pas juste. Un employé, particulièrement Mody Diawara qui a abandonné son poste et son salaire à été suspendu», a expliqué M. Touré.
Et selon nos propres investigations, ce dernier (Mody Diawara) était le chauffeur particulier du DG. Il a disparu avec le véhicule du Secrétaire général pendant un certain temps avant de revenir le garer et disparaître dans la nature. Et avant la suspension de son salaire, une correspondance lui a été adressée l’invitant à rejoindre son poste pour ne pas être considéré comme démissionnaire. «Il n’est jamais revenu», nous a-t-on assuré.
A noter aussi que, après la décision de justice de réintégration du Directeur général, un groupe de travailleurs avait refusé de travailler. «Ils avaient dit qu’ils ne vont jamais travailler sous la direction de Zana», nous a-t-on assuré. Mais, a rappelé un interlocuteur, «après la rencontre avec le ministre de tutelle, ils ont repris le travail. Ils n’ont donc pas été payés pour le temps qu’ils ont passé à boycotter le travail. Toutefois, dès qu’ils ont repris le boulot, le paiement des salaires a suivi». En février 2022, l’ancien ministre du Développement rural, Modibo Kéita, a en effet tenu une rencontre avec les membres de l’Association AGETIER. A cette occasion, il a souhaité que «chacun fasse son travail et qu’aucune autre action ne soit intentée contre qui que ce soit» ! Face aux contraintes financières, la direction appelle les travailleurs à faire bloc derrière elle pour trouver des solutions idoines !
M.B