Cherif Keita : « Ce que Philip Winston Pillsbury, Jr., ambassadeur des USA a dit du Mali »

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«Une lettre d’adieu qu’il a écrite en quittant le Mali en 1962 cristallise son expérience du service extérieur, et ses paroles s’appliquent aujourd’hui d’une manière encore plus poignante. “Je pars en ami du Mali. De plus, j’aime votre pays et votre peuple. Mon séjour m’a donné l’expérience humaine la plus riche de ma vie. J’ai surtout appris que l’amour et la sincérité entre amis transcendent toutes les frontières de la politique, de la race, la religion et les coutumes – que nous avons tous les mêmes émotions dans notre âme et que nous pouvons nous rencontrer dans un esprit de fraternité. Cependant, tant que cela ne sera pas compris par tous, nous ne pouvons pas avoir de paix durable dans ce monde. “

 

Pillsbury, Philip Winston Jr. à 85 ans, est décédé paisiblement à son domicile de Washington, DC le 3 mars 2021, entouré de ses trois enfants et de sa femme de 51 ans. Né à Chicago le 20 novembre 1935, Phil était le fils aîné de Philip W. Pillsbury et d’Eleanor Bellows Pillsbury. Son père était président de la Pillsbury Company, qui a été fondée par l’arrière-grand-père de M. Pillsbury, Charles Alfred Pillsbury. Du côté de sa mère, il descendait de Myles Standish, un colon anglais venu en Amérique sur le Mayflower. Phil était diplomate, photographe, correspondant.

« Je quitte comme un ami du Mali. Même plus: j’aime votre pays et votre peuple. Mon séjour ici m’a donné la plus riche expérience humaine de ma vie. La leçon la plus importante que j’en ai tirée est que l’amour et la sincérité entre amis transcendent la politique, la race, la religion et les coutumes-et qu’avec les mêmes émotions dans nos âmes, nous pouvons tous nous retrouver dans l’esprit de la fraternité. Cependant, aussi longtemps que cela ne sera pas compris par tous, il n’y aura pas de paix durable dans le monde ». Ces mots sont tirés du faire-part de la mort il y a seulement quelques jours d’un diplomate américain, originaire du Minnesota et héritier d’une des plus grandes familles industrielles américaines, la famille Pillsbury. Il s’appelait Philip Winston Pillsbury. Je suis d’autant plus touché par son message de 1962 au peuple malien que je sais par l’intermédiaire de ses contemporains qu’il a eu une expérience particulièrement difficile avec le gouvernement de Modibo Keïta, pour des raisons absolument ridicules.

  1. Pillsbury était au Mali à une époque où le régime de Modibo soupçonnait tout diplomate occidental (des pays du bloc ouest) d’être un espion. Il paraît qu’en se rapprochant des Maliens, comme on a vu plus tard les Volontaires du Corps de la Paix le faire, M. Pillsbury avait rapidement développé une compétence impressionnante en bambara, ce qui n’était pas perçu d’un bon œil par un régime politique dont feu Fily Dabo Sissoko avait qualifié le leader de “cheval ombrageux”(effrayé par sa propre ombre).

Qui plus est, M. Pillsbury avait comme hobby de prendre des photos (il apparaît d’ailleurs avec une caméra au cou dans le faire-part de sa mort) et aussi d’écouter les chants des oiseaux avec un appareil fait pour cela et un écouteur. De ce fait, quelqu’un l’a signalé aux autorités maliennes, “qui ont obtenu alors la preuve qu’il était un espion” et c’est ainsi qu’il a été déclaré “persona non grata” et expulsé du Mali après un an et demi de séjour. En lisant sa lettre au peuple malien, tant d’années après que son histoire m’a été contée par un diplomate de l’époque, je suis profondément ému par son témoignage sur la grandeur du peuple malien.

Durant son procès devant le Tribunal Populaire, au cours duquel lui et ses compagnons ont été condamnés à mort en 1962, Fily Dabo a dit à un moment donné que Modibo Keïta était comme un cheval ombrageux. Dans l’assistance et parmi les membres de la Cour, des murmures se sont élevés: “il a insulté notre Président! Scandale.” Et Fily Dabo d’expliquer calmement aux gens qui visiblement ne comprenaient pas le sens du mot; il leur a dit qu’il entendait par-là que le Mali avait à sa tête un homme très susceptible. Malheureusement, rien de tout cela n’a allégé le sort qui leur a été réservé.

On a reproché à Sissoko jusqu’à la correspondance savante qu’il entretenait avec des intellectuels et des hommes de science en France, y voyant la preuve irréfutable “d’un complot qu’il fomentait contre l’Etat souverain du Mali”. Un demi-siècle plus tard, je vois beaucoup d’ironie dans les deux cas: Pillsbury et Sissoko.

 

Cherif Keita

 

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