Des comportements qui jurent avec la décence et la compassion, sont observés lors des enterrements. Causeries animées, éclats de rire, agitations autour des repas, utilisation des réseaux sociaux, tout semble être permis aujourd’hui dans les lieux des funérailles. Les familles endeuillées n’ont que faire
«Je me souviens de cette jeune fille, débordée, cherchant des chaises et une assiette de riz pour les obsèques de sa mère. Sa famille, trop pauvre, n’avait pas les moyens d’assurer une organisation grandiose», confie Aminata. Dépitée, elle poursuit que si elle avait été riche, elle aurait pleuré en paix, confortablement installée, entourée de proches attentifs, tandis que tout aurait été pris en charge, avec une abondance de nourriture à disposition.
Ainsi, Mimi Konaté, une restauratrice bien connue de la capitale malienne, se rappelle, avec un certain regret mélangé à du dégoût, la mort de sa petite sœur. Ce jour, une satanée dame, au lieu de partager la douleur de la famille, a mis à profit le douloureux événement pour proposer à ceux qui sont venus présenter les condoléances, des articles qui n’ont rien à avoir avec le rite funéraire. «Le plus grave, nous dira-t-elle, ma cousine me demande de manger avant que la nourriture ne se refroidisse, car elle ne sera plus bonne». Jamais elle ne l’oubliera, car la nourriture à ce moment était la dernière de ses préoccupations.
Si Mimi Konaté a pu surpasser ses ressentis vis-à-vis de celles et ceux qui ont transformé les funérailles de sa frangine en un bazar arabe, Awa quant à elle, ne parvient pas, jusqu’à ce jour, à effacer de sa mémoire le pugilat vécu lors des obsèques de son grand-père. Tout serait parti d’une banale causerie autour d’un uniforme de mariage.
«La discussion en sourdine qu’on faisait entre nous devient subitement si grande qu’il a fallu l’intervention d’une tante», dit Awa qui avoue avoir eu par la suite honte d’elle-même. Particulièrement quand elle pense aux termes de sa tante qui leur a reproché leur manque de décence et leur a lancé : «Osez-vous remercier Ba (le défunt, ndlr) de la sorte ?»
Fatoumata H, quant à elle, a perdu sa mère, il y a 4 ans. Fille unique de la défunte, elle garde encore les stigmates de cette douloureuse perte à laquelle se sont ajoutés des comportements qui jurent avec les rites funéraires. Toutes les fois que lui viennent en tête les dérives de certains visiteurs, elle se console par le soutien apporté par un groupe de chants religieux (Zikr). Aujourd’hui encore, les Zikr l’accompagnent pour célébrer le triste anniversaire et l’autorisent à penser à sa mère sans se rappeler le cafouillage provoqué et entretenu par certains visiteurs.
EN TEA-PARTY- Les causeries, les taquineries autour des morts ne sont pas le propre des dames comme on a tendance à le croire. Certains hommes ne peuvent nullement être exempts de reproche. Hamidou Keita, journaliste, se rappelle une anecdote. Lors d’un enterrement au cimetière de Sébénicoro, un groupe d’hommes s’est fait remarquer par ses éclats de rire. Ce sont des jeunes parlant une des langues nationales et qui ont refusé de prêter une oreille attentive à toutes les interpellations qui leur ont été adressées. Le journaliste déplore les causeries inutiles autour du mort et dans le cimetière. Son compère, Amadou Sangaré, fait observer que les funérailles se transforment de plus en plus en Tea-party.
«C’est devenu très courant de voir des théières posées sur des braises pour offrir du thé à ceux qui viennent pour l’enterrement. Ce service est généralement assuré par des jeunes garçons», explique Amadou Sangaré qui précise que le thé est servi après le repas de midi pour sûrement faciliter la digestion du traditionnel riz au gras. La plupart des anonymes restés après l’enterrement pour accompagner la famille du défunt dans la douleur, sont plutôt intéressés aux repas.
Toute chose que la religion la plus répandue dans notre pays ne prescrit pas. Certaines personnes transgressent la règle sans se soucier des prescriptions islamiques. Comme le dit si bien Fanta Dionta Diabaté. La dame d’un certain âge se souvient que dans un passé récent, lorsqu’il y a un décès dans une famille, la nourriture est apportée par les voisins et proches pendant au moins les trois jours suivant le décès. Il en est de même pour l’eau potable. Les enfants sont surveillés par le village tout entier en attendant la fin des funérailles et des différents sacrifices.
UNE ALLURE FESTIVE- Pour Fanta Dionta Diabaté qui se fonde sur une prescription religieuse, les femmes ne doivent pas se regrouper avec les hommes. Surtout celles qui sont en période de viduité. À son avis, seules les personnes âgées doivent avoir accès à elles. Le caractère festif que prennent les funérailles, elle l’accepte malgré elle. «En juillet, j’ai perdu un beau-frère très connu. De nombreuses personnes ont quitté Bamako pour Koutiala pour assister à ses funérailles. Celles-ci ont pris une allure festive, avec des repas abondants et des discussions animées, au point que les voisins se sont plaints du bruit et ont demandé plus de retenue», témoigne-t-elle.
La femme et les enfants du disparu ont décidé d’observer la période de quarante jours seuls et ont informé leur famille de ne pas se déplacer.
Alassane Modibo Ba, du Centre islamique de formation et de documentation, anime un module sur les funérailles. Pour lui, les funérailles répondent à une obligation collective en jurisprudence islamique. Si elles ne sont pas accomplies, toute la communauté musulmane en portera la responsabilité devant Allah. Pour lui, durant le recueillement, il est recommandé de formuler des prières et invoquer le Seigneur pour demander sa miséricorde pour le défunt. Pourtant, regrette l’imam, on assiste de plus en plus à des scènes de bavardages.
Pour minimiser le temps de bavardage inutile, certaines familles invitent des prêcheurs pendant la levée du corps. Pour notre interlocuteur, chez les Malikites, consommer ne serait-ce qu’une cuillerée de ces repas reviendrait à consommer du haram. Au lieu de recevoir du soutien, la famille du défunt se retrouve ainsi à nourrir les autres. Certains visiteurs exigent même une prise en charge de leur transport et d’autres cadeaux avant de repartir.
Anta CISSÉ