Capital social : L’origine de la stabilité du Mali !

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Depuis des siècles, l’harmonie entre les diverses ethnies au Mali surprend les visiteurs originaires d’autres régions d’Afrique. Entre les groupes de population établis le long du fleuve Niger existent des relations de voisinage basées sur le respect mutuel et l’interdépendance. En essayant de traduire ce concept qui est au cœur du système social malien, un auteur a utilisé l’expression anglaise de « jokingrelationship » ou « parenté à plaisanterie ».

Mais la traduction de certaines expressions en déforme parfois le sens. En effet, s’il est vrai que les liens d’interdépendance socio-économique au Mali donnent toujours lieu à des plaisanteries, ces relations sont aussi étroitement liées au mariage. La parenté à plaisanterie atténue les jalousies entre prétendants rivaux. Elle peut faciliter les mariages entre cousins. Au sein de chaque groupe ethnique, elle accompagne habituellement un tabou sur le mariage. Ainsi, les forgerons, considérés comme un groupe ethnique au Mali, subissent pacifiquement les injures de leurs voisins Peuls, qu’eux-mêmes appellent, dans le même esprit, « suiveurs de bétail », « voleurs » ou « petits peuls ». Les représentants de ces deux ethnies ne peuvent jamais se marier entre eux, mais lorsque deux Peuls s’affrontent et qu’un forgeron s’interpose, le conflit cesse aussitôt. Ce réseau social basé sur l’interdépendance constitue l’atout le plus précieux de la société malienne: le capital social.

En effet, le capital social est presque, à l’opposé du capital financier, imposé par la culture occidentale franc-maçonnique. Prenons le risque d’en donner une définition. Le capital social est la somme des valeurs humaines, culturelles et spirituelles, ainsi que des systèmes d’interactions personnelles dans une société donnée. C’est le maillon manquant de l’Univers. Au Mali, on peut le percevoir à travers ses implications, mais on ne peut le saisir de façon concrète. Le capital social ne peut pas être mesuré par les économistes ni comptabilisé par les banquiers, mais il constitue un enjeu primordial dans la société africaine.

En réalité, même les Occidentaux reconnaissent implicitement sa valeur. Les banquiers européens savent par exemple quelle importance accorder au sourire lorsqu’ils reçoivent un client. La société occidentale mesure aussi l’utilité du réseau relationnel. L’appartenance à une même promotion scolaire ou universitaire, une même ville ou un même quartier… Les banquiers et les économistes auraient tort de négliger le capital social car, il a une valeur considérable. Il est à l’origine de la stabilité au Mali. Le capital social du Mali est ancré dans l’histoire de son peuple, dans la force des liens qui le relient encore aux ancêtres. Ceux-ci lui ont laissé en héritage des tabous sur les conflits interethniques ainsi que des mécanismes de prévention de tels conflits. Il y a un culte du respect mutuel et de la fierté individuelle basé sur la possibilité pour chaque groupe social d’évoquer son heure de gloire dans l’histoire du pays. Chaque clan peut mettre en exergue la contribution de ses ascendants à la grandeur et à l’histoire commune.

Lors des mariages ou d’autres cérémonies, les griots, gardiens de la légende et de l’histoire, entament des chansons de geste et l’évocation du seul nom de clan d’un invité suscite un déferlement de souvenirs glorieux au grand honneur de sa famille. Chaque Malien est ainsi conscient de son histoire personnelle et, par-dessus tout, de son appartenance au clan. L’usage du patronyme est à la fois une forme de salutation et un signe de respect. Sa répétition renforce la valeur historique du salut: « i Keïta, i Keïta, i Keïta ! » Chaque répétition ajoute une dimension supplémentaire, le premier Keïta honore la personne, le second honore son père, le troisième honore son grand-père et toute sa lignée. D’autres répétitions poussent l’hommage au niveau de l’identité spirituelle de la personne, qui n’existe que par son appartenance au clan. Au Mali, tout est religion. Cela signifie que, dans l’identité personnelle, il y a une dimension spirituelle liée à l’origine ancestrale, et qui pénètre plus profondément que les religions importées et parfois imposées par le sabre ou le canon.

Sambou Sissoko

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