Le Coordinateur national du Mouvement pour la Sauvegarde des Droits de l’Homme (M S D H), Boubacar Djim continue de retrousser la manche contre l’esclavage par ascendance au Mali dans la région de Kayes. Dans cet entretien, M. Djim parle du fléau, des instruments juridiques qui le régissent et des difficultés de remporter une victoire judiciaire contre le mal pour défaut de loi.
L’Esclavages et les lois qui le combattent au Mali
Pour M. Boubacar N’Djim, la première loi qui interdit cette pratique au Mali est la loi fondamentale. La Constitution du Mali de 1992. A l’en croire, cet instrument fondamental, en son article 1er déclare : « Tous les Maliens naissent libres et égaux en droit et en devoir ». Après, la Constitution, le Code pénal et la procédure pénale, fait savoir M. N’Djim. A ses dires, les articles 29 et 32 du code pénal incriminent et répriment la réduction généralisée de populations civiles en esclavage et les articles 132 et 133 du code pénal prévoient et punissent l’atteinte à la liberté de travail et le travail forcé. Pour terminer, il cite une instruction du ministre de la Justice, des Droits de l’Homme, Garde des Sceaux, Malick Coulibaly du 17 décembre 2019. Cette instruction était relative à la répression des violences découlant des protestations contre le prétendu statut d’esclaves, à l’endroit de tous les Procureurs généraux et Procureurs de la République « d’engager des procédures pénales appropriées avec diligence et fermeté contre toutes personnes impliquées dans ces actes de barbarie». Cette décision conforta les autorités judiciaires dans la résolution de ces conflits. Pour finir, il a mentionné la Convention internationale contre la torture du 26 février 1999 et celle sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale du 16 juillet 1974, ratifiées par la Mali.
Les Procès menés par le MSHD contre l’esclavagisme
Dans le combat contre l’esclavagisme, les victimes peuvent se constituer en partie civile dans les procédures et obtenir des dommages-intérêts. Pour se faire, les citoyens peuvent accéder au conseil et à la représentation nécessaire au règlement de leurs problèmes judiciaires. En dépit de la rareté des avocats, la loi confère aux parties indigentes le droit de se faire assister par un avocat.
Selon M. N’Djim, dans la région de Kayes, des communautés entières sont victimes de violations de leurs droits, violations liées à la pratique de l’esclavage par ascendance. Suite à des agressions physiques, des pratiques de torture, des manœuvres d’intimidation, de confiscations de biens etc. « Les présumés esclaves ont décidé de s’élever contre l’ordre établi. La tendance des prétendus Maîtres pense que ces formes sont une coutume, une tradition qu’il faut perpétuer, et la tendance des prétendus esclaves estime qu’ils en ont assez et refusent de s’adonner à ces formes », a-t-expliqué. Ils se sont ainsi organisés en association pour défendre collectivement leurs droits. C’est le cas de l’association dénommée ‘’Rassemblement malien pour la Fraternité et le Progrès’’ (RMFP) qui a enregistré plus d’une centaine de membres victimes des cas de torture, peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant et pratiques nuisibles. Dans chaque cercle de la région de Kayes il y a au moins trois sections qui sont aussi composées de nombreuses sous-sections, par exemple, trois ou quatre villages ou plus constituent une sous-section. II y a 6 cercles dans la région de Kayes (Kayes, Diéma, Yélimané, Bafoulabé, Kita et Kéniéba).
En application à ces textes statutaires, c’est le RMFP qui fait engager les poursuites via les parquets du ministère public contre les présumés auteurs des actes de barbaries, telles que des agressions physiques, des pratiques de torture, des manœuvres d’intimidation, de confiscations de biens de ses membres. Le RMFP signe ainsi des contrats d’assistance et de représentation avec des cabinets d’avocats.
Selon les activistes, le RMFP compte au moins 400 plaintes déposées depuis le commencement des violences le 17 avril 2017 à nos jours. Il a ajouté que le rapport du monitoring et de documentation des violations et abus des droits humains d’Amnesty International Mali de 2019 a enregistré 40 affaires relatives aux formes traditionnelles d’esclavage traitées au Tribunal de grande Instance de Kayes de 2017 à 2019 (2017 : 1 procès, 2018 : 9 procès, 2019 : 30 procès). « Plusieurs de ces jugements n’étaient pas favorables aux victimes et aussi parmi ceux qui étaient favorables, certaines de leurs décisions de justice ne sont toujours pas exécutées. La diligence des procès était surtout liée à une instruction du ministre de la Justice, des Droits de l’Homme Garde des Sceaux et relative à la répression des violences découlant des protestations contre le prétendu statut d’esclave. Cette instruction était adressée à tous les procureurs généraux et procureurs de la République ». Ces insuffisances sont dues, selon M. N’Djim, à la lenteur de l’administration dans les procédures pénales et aussi la négligence. Il a aussi mentionné des difficultés dans la mobilisation des ressources pour payer les honoraires, les frais de suivi des dossiers des membres de RMFP, les frais de voyage et de séjour des avocats, la facilitation de l’accès des victimes. Sans oublier le social. La cohabitation avec les présumés maitres. Dans notre tradition, une fois que vous convoquez un voisin, un membre de la même communauté, vous et tous vos proches deviennent des ennemis jurés de ce voisin ou membre de la communauté certainement jusqu’à la mort. La solidarité qui est une grande valeur de toute communauté, une valeur ancestrale disparaitrait de plus en plus. Le coordinateur du MSDH regrette le délaissement des méthodes traditionnelles de règlement de conflits alors que pour lui, elles ont montré leur efficacité dans le temps. Il souligne que les méthodes classiques traditionnelles de règlement de conflits et les mises en garde des autorités administratives ont montré leurs limites.
« Les instruments juridiques au Mali ne sont pas très spécifiques pour mettre fin à l’esclavage au Mali. Le fait de qualifier les violations des droits humains en infractions peut être à l’absence d’une législation spécifique. Comparativement en Mauritanie et au Niger, il existe une législation spécifique qui réprime la pratique », a insisté le coordinateur.
Proposition de Solutions du MSDH à la lutte contre l’esclavagisme au Mali
Pour éradique cette pratique néfaste définitivement, il faut une loi spécifique, estime Boubacar N’Djim. Pour lui, une loi spécifique peut mettre fin au prétendu statut de Maitre et prétendu esclave au Mali. Au préalable, il faut une vaste campagne de sensibilisation pour expliquer, convaincre et conseiller la primauté des Droits humains sur les valeurs traditionnelles et les coutumes et aussi la revalorisation des valeurs culturelles de bon vivre ensemble et ensuite interdire.
Pour le démontrer, il cite les actions d’éducation aux droits humains pour instaurer la culture des Droits humains, la lutte contre la corruption dans les services de justice, la lenteur et le coût des procédures judiciaires. « L’application d’une loi spécifique sera ainsi un garde-fou pour renforcer le respect de ces valeurs », a-t-il préconisé. L’urgence aujourd’hui est de continuer à organiser des fora mobilisant les prétendus maitres et esclaves à discuter le bien fondé de vire ensemble, à revenir aux valeurs culturelles et coutumes qui font le bon vire, la paix, la solidarité, l’entraide, le respect de la dignité et la cohésion sociale. II faut nécessairement aussi mettre en œuvre un programme d’éducation aux Droits humains à l’intention des leaders et les jeunes dans la région de Kayes. II faut aussi renforcer les capacités des officiers de police judiciaire, les poursuivants aux droits humains pour une meilleure prise en charge des pratiques assimilables à l’esclavage sur toute l’étendue du territoire. « Une union sacrée est aussi nécessaire entre les organisations qui travaillent en ce sens », conseille le coordinateur du MSDH.
Une loi sur le genre pour sauver les femmes esclaves
« Nous proposerions qu’il ait un article exclusivement sur le genre et la diversité dans cet avant projet de loi de lutte contre l’esclavage au Mali. Les femmes souffrent plus dans cette pratique que les hommes et les personnes à revenus faibles », insinue le coordinateur du MSDH. Protéger les droits des groupes qui subissent des discriminations pour de multiples motifs et de ceux qui sont privés de leurs droits économiques, sociaux et culturels. Les femmes et les personnes de faibles ressources sont les plus qui souffrent dans cette pratique. « Les filles subissent souvent les cas de mariage forcé, les questions de contraction de nouveaux mariages pour les femmes veuves des présumés esclaves. Généralement ce sont les présumés maitres qui décident », rappelle M. N’Djim.
Le Mouvement pour la Sauvegarde des Droits de l’Homme (MSDH)
Aux dires de M. Boubacar N’Djim, le Mouvement pour la Sauvegarde des Droits de l’Homme (MSDH) est une jeune organisation qui fait de la lutte contre toutes les formes d’injustice son credo. Son siège social est situé à : Hamdallaye, près de d’Anam-Mali. Elle dispose des coordinations dans les localités suivantes ; Kayes, Diéma, Kita, Kati, Mopti, Ségou, Bougouni, Sikasso, Koutiala, Tombouctou. A l’en croire, le MSDH est une organisation indépendante à but non lucratif créée officiellement en janvier 2019, membre de la Coalition nationale de Lutte contre l’Esclavage au Mali (CNLEM), du Cadre de Concertation des Organisations de Défense des Droits de l’Homme de la CNDH-Mali, aussi de la Coordination des Organisations africaines de Lutte contre l’Esclavage moderne et du Réseau Trust Africa. Selon le coordinateur, le MSDH intervient partout où les droits de l’homme ont été touchés, il assure la veille citoyenne et n’hésite pas à prendre position quand il s’agit de restaurer la dignité humaine. Ses objectifs sont entre autres, la réduction minimale de la violation des Droits de l’Homme sur toute l’étendue du territoire Malien, la promotion et le respect des Droits de l’Homme. Le MSDH examine toutes les situations d’atteintes au droit de l’Homme constatées ou portées à sa connaissance pour entreprendre des actions appropriées en la matière auprès des autorités compétentes. Pour ce faire, il formule des recommandations sur toutes les questions relatives aux droits de l’homme dans le cadre réglementaire, législatif et judiciaire et collaborer avec tous les organismes nationaux et internationaux de défense des droits de l’homme. Il veuille avec attention sur toutes décisions ou actions du gouvernement susceptibles de porter atteinte au respect des droits de l’Homme, informe et dénonce tout acte d’injustice en mobilisant l’opinion publique. Dans cette lutte, l’organisation mène des activités d’information, de communication, d’éducation et surtout de sensibilisation sur la promotion et le respect des droits de l’homme et la lutte contre l’esclavage sous toutes ses formes, l’excision et les violences domestiques contre femmes et enfants.
Koureichy Cissé