La mendicité est une pratique qui a cours dans notre pays depuis des lustres. A longueur de journées, des talibés, habillés en haillons, gamelle en main, prennent d’assaut les grandes artères de la capitale à la quête de l’aumône. Si les défenseurs des droits des enfants crient au scandale, les maîtres coraniques ou marabouts, responsables de ces enfants dans les rues, répliquent en brandissant des préceptes de la religion musulmane. Comment les talibé vivent-ils la quête de l’aumône à laquelle ils sont soumis ? Dans quelles conditions vivent-ils et apprennent-ils le Coran chez les maîtres coraniques ? Saintes questions. Mais, les réponses ne coulent pas de source.
Le départ est fixé très tôt ce vendredi pour plonger dans la vie des talibé. Il est 5 h à l’ACI-2000. En cette heure de la journée naissante, les livreurs de pain effectuent leurs navettes entre boulangeries, kiosques et boutiques de quartiers. Les grandes artères sont quasiment vides : les véhicules se servent de leurs phares pour percer l’obscurité qui décline. Ce quartier huppé de Bamako desserre tranquillement l’étreinte de Morphée sous les regards inquiets des talibés organisés en groupuscules. Chaque journée naissante est synonyme de privations, de peurs et apporte son lot de malheurs.
En suivant discrètement ces talibés, déguenillés, on s’approche tout près du drame qui enveloppe le destin de ces jeunes innocents poussés dans cette spirale par des maîtres coraniques ripoux et des parents démissionnaires.
En ce début de matinée où pointent les premières âmes généreuses, ils ne sont pas enclins à accorder une minute de discussion à un interlocuteur qui ralentirait la quête de leur moisson du jour. Entre le monument Cabral et le rond-point de l’Eléphant en passant par les allées des immeubles de la boulangerie Badjélika, la technique d’approche est presque la même : “sadakh” (de l’aumône s’il vous plaît !)
A 6 h 30, les grosses cylindrées commencent à débouler sur les différentes artères qui mènent au centre-ville. Les premières pièces, les morceaux de sucre, de pain, tombent dans les sébiles. Sans se préoccuper du danger, ils se faufilent entre les files de véhicules pour frapper les vitres des “gros messieurs” pour qu’ils laissent quelque chose dans leurs gamelles.
Il est 9 h. Dépenaillé, Seyni, âgé entre 5 et 7 ans, occupe la tête du peloton depuis l’aube. Il est astreint à un emploi du temps que son âge n’aurait dû jamais permettre. Mais, il a une “dépense quotidienne” à assurer pour rester dans les bonnes grâces de son marabout. “Mon marabout s’appelle Mahamadou Dicko. Nous habitons Kalabambougou et c’est de là que je quitte pour arriver ici. Je quitte vers 5 h et je marche. A 7 h, je suis ici. Je demande à toute personne que je vois de l’aumône pour pouvoir rassembler les 700 F CFA demandés par mon maître. Si je ne trouve pas cette somme, je reste dans la rue et je continue à chercher”. Après le business du marabout, l’apprentissage. “Nous apprenons le coran l’après-midi (vers 14 h), mais si on ne trouve pas, on ne rentre pas”.
Il réajuste son repoussant tee-shirt. Malgré leurs conditions de vie exécrables, ils arrivent à (inconsciemment ?) à s’aménager des plages de jeu. Cela leur rappelle leur véritable âge et ce qu’ils étaient censés faire en ce moment de leur vie. Vêtus de tee-shirts et de shorts, sans chaussures, trois talibé s’amusent devant la porte d’une boutique qui n’a pas encore ouvert ses portes. Dès les premiers contacts, ils tendent leurs pots de conserve. S’apercevant qu’il n’est pas question d’aumône, les deux s’affolent et prennent la tangente avant de laisser derrière eux leur frère.
Abdoulaye, dont l’âge oscille entre 10 et 15 ans, détaille les attentes de son marabout nommé Issa Kané. “Chaque jour, nous devons emmener 500 F CFA en dehors du riz et autres victuailles qu’on nous offre en nature. Et si nous n’amenons pas cela, on nous frappe. Souvent notre maître n’utilise pas le caoutchouc, il se sert des sandales pour nous corriger. C’est pour ça que si nous n’avons pas rassemblé l’argent exigé, nous n’osons pas rentrer”, récite-t-il machinalement.
Le business des marabouts
Aujourd’hui, ce business élève les maîtres coraniques sur l’ascenseur social. Mais, les contributeurs survivent dans un environnement crasseux. Crâne recouvert de teigne, Abdoulaye se goinfre, à son retour après une longue journée de pénitence, de restes. Il explique : “Si nous rentrons, nous mangeons les aliments déjà préparés qu’on nous a donnés durant la quête de l’aumône. Après avoir mangé, nous commençons par apprendre et réciter les sourates. Moi, je suis arrivé dans kalanso, il y a deux ans. Nous sommes une quarantaine. Les vêtements que nous portons sont ceux qu’on nous offre durant l’aumône. Parfois, nous ramassons certains vêtements que les riverains jettent aux dépotoirs. Pour l’entretien de ces vêtements, c’est nous-mêmes qui payons du savon pour les laver”.
Ce discours est reproduit comme un verset du Coran par tous les talibés rencontrés à Niamakoro, Medina Coura et même au centre-ville. Dans l’opacité de la nuit, les mots pour décrire leur clavaire connaissent une nouvelle tonalité. Désespérant ! Alors que le manteau noir tombe sur Bamako, les talibé commencent à scruter les coins les plus tranquilles de la capitale pour se taper quelques moments de somme. Il est 21 h. Entre les ruelles de l’Institut français, du boulevard de l’Indépendance, en passant par l’immeuble Tomota, les dibiteries et les restaurants n’ont pas encore baissé leurs rideaux. Même si l’affluence est faible.
A cette heure de la nuit, leurs ombres commencent à se mêler aux silhouettes des belles de nuit. Alors que la fraîcheur commençait par dissiper la légère chaleur de la journée. Minuscules dans l’obscurité, ils apparaissent de l’autre côté des parpaings. Yaya Saye (14 ans), originaire de Bandiagara, accompagné de deux autres talibés, âgés entre 5 et 7 ans, passe son… week-end dans les rues pour profiter de ce quartier libre.
Il révèle : “Nous habitons Sikoroni en Commune I. Nous sommes en week-end aujourd’hui et demain. Donc, nous profitons de ce temps pour rester en ville. Demain matin, nous allons demander l’aumône et il est inutile de rentrer au centre ville et revenir encore. C’est loin et ce n’est pas facile”. Cartons à la main, il s’oriente vers l’ex-direction générale de la comptabilité publique et du trésor.
Au centre-ville, les espaces coûtent chers. Les talibé, les lépreux et autres SDF se disputent les ombres des bâtiments sous l’œil affligé des vigiles. Ils sont compatissants. 10, 20, 30 talibés déboulent de partout. Couchés à même le sol, mains entre les jambes, ils dorment ensemble. La météo affiche 21°C. Le vent ajoute une dose de fraîcheur à la nuit. La couverture est un luxe. Ceux qui en disposent arrivent à peine à se couvrir : elles sont usées et fines. C’est une véritable passoire pour les courants d’air. D’autres enfants, faute de couverture, se sont enroulés dans des sacs de riz de 50 kg pour dormir. Situation chaotique… et abracadabresque. C’est leur vie !
Ils arrivent néanmoins à chasser le chagrin. Ceux qui ne dorment pas se taquinent et sautillent de joie. On reste immobile et hébété devant la scène. “Comment allez-vous ?” Nous allons bien, répondent-ils en chœur. Heureux comme des mômes. Ibrahima Ballo, recroquevillé dans un sac de riz lève la tête, sourire aux lèvres. Il a décidé de ne pas rentrer à Kati ce soir. “Je suis là depuis ce matin, j’ai mendié, je suis fatigué et je ne peux pas rentrer. Et puisque notre marabout n’est pas là, j’ai décidé de rester ici pour demander l’aumône demain en ville. Cela me permettra de payer le savon et autres pour les petits besoins”, confesse ce gamin de 6 ans.
Le constat est amer, le riz et le sucre sont vendus par le maître coranique et l’argent va directement dans sa poche. Si les garçons n’arrivent pas à atteindre le quota, ils sont battus, souvent très brutalement.
La loi interdisant la mendicité n’est pas appliquée à cause des louvoiements d’un Etat qui peine à s’affranchir du pouvoir spirituel. Et les houleux débats qui ont eu lieu lors de la 19e édition de l’Espace d’interpellation démocratique sont la preuve de l’importance de la question.
Alpha Mahamane Cissé
Très pitoyable. Comment peut on être si cruel envers les enfants ( je pense à ces soi-disants maitres coraniques). Je ne sais pas à quoi sert ces ministères de l´action social, de la famille etc. Juste à se taper des villas alors que cet argent devrait servir à construire des centres sociaux pour donner un minimum d´education à ces prauvres enfants dont les parents inconcients sachant bien qu´ils n´ont pas de moyens de subvenir aux besoins des ces enfants en font quand même. Quelle mentalité de merdre 👿
@Doussouba. C’est simple, chaque fils à papa de fonctionnaire inscrit dans des grandes écoles en Europe ou aux Amériques, chaque villa cousue achetée ou chaque grosse cylindrée offerte à une maîtresse par nos grands commis de l’administration l’argent dépensé pourrait servir à l’entretien de ces pauvres enfants si les choses se passaient normalement!Mais hélas!Nous sommes dans un monde d’égoïstes où les gens mènent une course à l’enrichissement personnel reniant tout partage avec leurs prochains.C’est la triste réalité! 😥 😥 😥 😥
Sambou,
leur egoisme est tel que, on leur demande meme pas de partager leur bien(qui a des origines plus que douteuses), mais d’utiliser au moins correctement 30% pour ces enfants.
Et dire que ces gouvernants ont des ‘GAMELLES EN OR’.
Un le demande au nom de Dieu et vit a peine,
L’autre le demande au nom du peuple et devient diabetique.
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