Bamako: Dans l’univers de la drogue

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Entre ceux qui fument un joint dans le salon VIP d’un bar de l’ACI et ceux qui « chassent le dragon » dans un fumoir de Bagadadji ou qui fument du « chanvre indien » dans les parages d’une gare routière de Médina Coura, le monde de la consommation de la drogue à Bamako se construit et se développe.

Dans ce monde parallèle, mais qui ne se cache presque plus, nous avons enquêté pour déterminer les lieux de vente, les modes de consommation, les catégories de consommateurs, les prix pratiqués sur le marché, la nature des drogues vendues, etc. Dans le jargon des dealers et consommateurs, Bagadadji est  appelé « Milieu », Missira se nomme « Colombie » et Médina Coura, « Djahanama » (l’Enfer).

Chasseur de dragon

Bagadadji, non loin du Grand marché. La nuit tombe sur un quartier qui « boue » durant la journée. Dans une petite ruelle menant au siège du PMU-Mali, non loin du siège du Groupe Bolloré, Dra, un homme formé à l’école des loubards, a rendez-vous avec son dealer. Kass est absent. « C’est le boss, il vient occasionnellement ici juste pour désintéresser les policiers. C’est comme ça depuis que je connais ce coin. On n’a jamais été embêté par la Police », explique Dra en riant. La maison de Dra est un « crack-house » (une maison de crack) et aussi  un « djassa », c’est-à-dire un fumoir ou un endroit de vente de la drogue en détail. Le « crack-house » de Dra n’est pas un « ghetto », c’est-à-dire un espace de consommation à ciel ouvert comme par exemple le « Rail-da ». De chaque côté du mur, des hommes assis sur des bancs en bois fument tranquillement des joints qui dégagent une odeur âcre. Les hommes paraissent pour la plupart en parfaite santé, hormis un adolescent aux cheveux « afro » portant des vêtements griffés et qui semble regarder les nouveaux visiteurs sans les voir. Lui, il « chasse le dragon », autrement dit, il inhale de la fumée d’héroïne chauffée sur du papier aluminium. Chaque fois qu’il inhale la fumée, il semble s’endormir durant les secondes qui suivent. Dans un coin de la cour, près du robinet : un crachoir. Le dealer de Kass est dans l’une des trois pièces de la maison. Dra l’a déjà prévenu par SMS de la quantité qu’il souhaite avoir. C’est dire que le milieu de la drogue utilise aussi les technologies de l’information et de la communication…

Le parfum du diable

Ici, les échanges se font dans le silence. Ainsi, Dra tend un billet de 5 000 FCFA au dealer qui lui remet un petit sachet blanc. Aussitôt, Dra sort de la pièce non éclairée où on a l’impression d’étouffer tant le mélange d’odeur de cigarette, de drogue, de sueur humaine et de poussière est suffocant. Dra va se placer auprès de la jeune fille anorexique et découvre le sachet blanc. Il en sort un petit caillou blanc qu’il casse en petits morceaux : c’est du crack obtenu en mélangeant du bicarbonate de soude à de la cocaïne. Chez Ablo, on ne vend que de la drogue dure : du crack appelé « caillou » et de l’héroïne, le « pao » fabriqué dans les mêmes conditions que le crack, sauf qu’à la différence du crack, il se présente sous une couleur jaunâtre. Dra allume une cigarette, mais ne la fume pas. Il la pose sur le banc et la laisse se consumer. Il sort une petite pipe de son pantalon jeans puis s’étire longuement, comme s’il s’apprêtait à livrer une partie de lutte. A l’aide d’une lame, il pousse la cendre de cigarette dans la pipe et jette les bouts de caillou sur la cendre, puis il sort son briquet et allume la pipe. Il ne fume pas la pipe, mais inhale la fumée qui s’en dégage. Cette fumée-là, qui dégage un parfum nauséeux de déchets toxiques, c’est le « parfum du diable » comme on l’appelle dans le milieu, parce « qu’une fois inhalé, on ne peut plus s’en passer », souligne Dra. Ici, le gramme de crack, c’est-à-dire la « dose adulte » (comme celle que prend Dra) est vendue à 5 000 FCFA, le demi-gramme à 3 000 FCFA. C’est à ce prix que le « caillou » d’héroïne est vendu. L’héroïne est aussi vendue au « djibi »  (entendez au quart de gramme) à 1000 FCFA. C’est la dose préférée des jeunes collégiens des quartiers chics et pauvres de Bamako. Il s’achète aussi à Lafiabougou dans les parages du cimetière. On trouve aussi des drogues dures : l’héroïne et la cocaïne. Un cocktail potentiellement mortel ! On se l’injecte avec une seringue. Les consommateurs sont généralement des bandits de grands chemins, des junkys indécrottables et inguérissables, ceux que les Allemands appellent les « Drogen Abhängige »  ou des soldats. Courant décembre 2011, au cours d’une de ses opérations, la Police a interpellé des personnes dans des fumoirs de Bamako.

Drogue VIP

De jeunes et vieux cadres d’entreprises privées ou publiques et des artistes ; qui ont assez d’argent pour s’acheter régulièrement de la drogue dure ; se retrouvent souvent dans des bars de Bamako situés à l’ACI ou dans nos quartiers précaires. La plupart de ceux qui fréquentent ces bars ne se doutent pas qu’on y vend et consomme de la drogue. Dans ces bars, pas de « coke » inhalé ni d’héroïne injecté : on y vend plutôt des joints d’héroïne et de cocaïne. Coût : 2 000 FCFA pour le premier et 4 000 FCFA pour le second. Le dealer de Dra est un détaillant qui achète les 5 grammes de « coke » à l’état ” pur  à… 80 000 FCFA, soit un gramme à 16 000 FCFA ! Après le mélange avec le bicarbonate de soude, le détaillant obtient cinq fois plus que la quantité originelle. Il revend le caillou de crack ainsi obtenu à 5 000 FCFA le gramme, soit un chiffre d’affaires de 125 000 FCFA sur les 5 grammes de coke achetés. Explication de la chute du prix, par la loi du marché : la quantité de drogue offerte a énormément augmenté sur la place. « Avant, le seul ghetto que je connaissais était à Missira, chez une ressortissante du Nigeria », indique Dra. Celle-ci est manifestement une pionnière de la création des fumoirs de la capitale.

Les dealers fournissent le marché des autres quartiers du District de Bamako.

Dans les quartiers populaires de la capitale à « Rail-da » (derrière la grande mosquée), en passant par Banconi-Flabougou et Boulkassoumbougou-Marché, les accrocs aux drogues ne se cachent plus. Dans ces endroits, les fumeurs de « ganja », de « moukou », de  « l’herbe de Marley » (les divers noms de la marihuana appelés par les jeunes branchés du milieu) ne se sentent guère troublés.

Tout près de la tombe

La marihuana est considérée dans le milieu comme la drogue des pauvres. En effet, tout comme l’Imménoctal (IM10, surnommée « Sékou Touré » (pour ses dégâts sur l’organisme), elle est consommée par les jeunes désœuvrés des quartiers pauvres et par des voleurs de motos dans des quartiers à une certaine heure de la nuit. On les reconnaît facilement à la gare routière par leurs dents abîmées, leurs corps squelettiques, leur haleine de baleine, leurs yeux rougis et leur hyperactivité. Qu’ils soient dans les ghettos des quartiers précaires ou qu’ils vivent dans des maisons plus ou moins modestes de s quartiers chics, les consommateurs de drogue du District de Bamako ont tous un point commun : Chaque jour que Dieu fait, ils se rapprochent davantage de leurs dernières demeures (tombes) !

Paul N’guessan

 

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2 COMMENTAIRES

  1. Et que fait la police dans tout cela? Il est vrai comme vous le dite que des complicités existent en son sein , comme d’ailleurs dans les pays du monde! Mais dois je croire que toutes nos autorités sont complices?
    Qui sont les gros poissons? Doivent ils continuer à spolier notre jeunesse pour le fric?

    Dignes Policiers du Mali, je parle de ceux la que les sous n’ont pas corrompus, mêmes si vous etes en minorité, faites que la nation vous soit reconnaissante un jour en démantelant par tous les moyens ces maffieux qui détruisent notre économie, notre pays

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