Au Mali, l’exode temporaire d’une partie des “bras valides” a été longtemps une source de revenus très importante. Mais aujourd’hui, les envois d’argent des exilés deviennent rares ou « maigres ».
“Je t’écris jour et nuit. Je suis actuellement fatigué. Nous n’avons rien en famille. Depuis que Moussa est parti à Bamako, il n’a pas envoyé un franc. Il y a le problème du manger et le problème d’impôt. Je compte beaucoup sur vous.” Ton père…
“Le gros problème, c’est que le travail est momentanément arrêté. (…) Je ferai toutes les économies lorsque je recommencerai le travail. Peut-être ce sera pour bientôt. Ton fils…”
Cet échange de correspondances entre un paysan malien, et l’un de ses fils, parti “à l’exode” dans la capitale, est significatif de la fin d’une époque.
La plupart des “bras valides” qui sont allés chercher fortune en ville ou à l’étranger ne reviennent plus et cessent d’envoyer d’argent à la famille. Le vieux Dolo, âgé de plus de soixante ans a vu ainsi partir ses quatre enfants. Son fils Yamadou, embauché par les Industries textiles du Mali, à Bamako, a été pendant un temps le principal soutien de ses parents. Aujourd’hui, il est en chômage technique et ne peut plus envoyer un sou au village. Quant à retourner s’installer là-bas, c’est impensable. Ni la terre, ni les pluies ne permettraient de nourrir une seule bouche supplémentaire. L’année précédente, les cultures de mil ont été ravagées par les mange-mil avant de sécher sur pied. Le vieux Dolo n’a rien récolté. Pour s’en sortir, il a dû descendre dans la plaine pour participer à la récolte du riz. A l’approche de l’hivernage, il a fallu une distribution d’aide alimentaire organisée par l’administration pour lui permettre de “faire la soudure”.
En pays Dogon, certains fils de paysans “partis à l’exode” rentrent au village chaque année, le temps de participer aux travaux d’hivernage. Ce n’est pas le cas de Yamadou. “Je ne peux pas revenir les mains vides”, explique-t-il. Surtout qu’il est question de mariage avec une fille du village et qu’on ne peut pas se marier sans un sou. “Je t’avais cherché une femme, écrit le vieux Dolo, mais puisque tu n’est pas venu, elle s’est remariée.” Pourtant, le père ne se décourage pas. Il a trouvé une nouvelle fiancée à son fils et l’implore à nouveau : “Il faut venir voir la fille toi-même si elle te plaît. Il faut tout faire pour venir.”
Des pères qui se sentent abandonnés de leurs enfants, on en rencontre de plus en plus souvent au pays dogon. Au village, le chef conte ses “enfants vagabonds”, qui le laissent sans nouvelles et sans secours. Alors que la dernière récolte de mil n’a pas produit plus d’un mois et demi de consommation, cet autre homme a vu partir quatre de ses rejetons vers une destination inconnue. “Ce sont des enfants ratés qui n’ont pas pitié de leurs parrents”, s’emporte-t-il. Mais qui sait, si les “exodants” n’ont pas trouvé en ville des conditions d’existence aussi précaires que celles de leurs parents ?
Le départ temporaire des jeunes a longtemps constitué le moyen le plus courant de “joindre les deux bouts” pour les familles paysannes du pays dogon. Dans cette région au relief très accidenté et au climat capricieux, la production locale de céréales est presque toujours insuffisante, même les bonnes années. Beaucoup de fils de paysans vont alors vendre leurs bras en ville ou à l’étranger. Quant aux jeunes filles, elles sont nombreuses à travailler comme domestiques à Bamako ou ailleurs. “Tous les mois, rapporte un fonctionnaire bamakois, ma bonne me demande ses 6.000 F qu’elle envoie à sa famille. Et quand vient l’hivernage, elle fait tout pour repartir au village.”
Aujourd’hui, avec la crise des emplois urbains, les jeunes paysans partis chercher fortune ne trouvent que le chômage ou la “débrouille”.
La Rédaction