Après nos deux publications sur l’autorisation controversée de culture de cannabis signée par le ministre de la Sécurité, le général Salif Traoré, il y a eu des tentatives de noyer le poisson dans l’eau, en dévoyant le vrai débat et éventuellement prendre notre contrepied. Mais c’est peine perdue puisque des gens qui écrivent sous la dictée ne peuvent en rien nous contredire, après les quatre mois de recherche que nous avons effectuées sur le terrain, au niveau d’experts internationaux et en termes documentaires. D’ailleurs, ces tentatives nous poussent à sortir un peu de notre réserve en allant au fond de ce dossier pour lequel nous réservons encore bien des choses à dire.
Les défis posés par le trafic et la consommation de drogue à l’Afrique de l’Ouest sont sociaux et sanitaires, politiques et économiques, mais également sécuritaires. En réalité, ce sont des défis posés aux conditions du développement de la région par les réseaux criminels organisés. Une fois les menaces identifiées, la réaction se devait d’être à la hauteur”. Ces propos tenus par Pierre Lapaque, Représentant régional Onudc Bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, dès septembre 2016, dans le bulletin d’information du projet Onudc/Cedeao contre le trafic de drogues, sont très actuels s’il s’agit de rappeler la transversalité de la question de la drogue actuellement en Afrique de l’ouest et plus précisément au Mali où la connexion drogue-terrorisme relève de la Lapalissade.
D’ailleurs, suite à la saisie de près de 2 tonnes de cocaïne intervenue en Guinée Bissau, il y a deux mois de cela, il est prouvé que cette drogue, reconditionnée dans des sacs de farine, était destinée au Mali. Depuis lors, deux opérateurs économiques proches de groupes armés du nord du Mali sont activement recherchés par Interpol sur la base d’un mandat d’arrêt international. L’un d’eux est connu par les Nations unies pour avoir été cité dans un trafic transfrontalier de résine de cannabis entre le Mali et le Niger.
On n’a donc plus besoin de dire que, dans un contexte pareil, même si une loi permet d’autoriser la culture “encadrée” de cannabis à des fins médicales, il faille réfléchir à plusieurs reprises avant de délivrer une autorisation de culture de cannabis au Mali. Ce qui fait que l’opportunité de l’autorisation signée par le général Salif Traoré en tant que ministre de la Sécurité et de la protection civile, par décision n°141/MSPC-SG du 28 févier 2017, modifiée par la décision n° 249/MSPC-SG du 05 mars 2018, puisse souffrir forcément d’un débat sur son opportunité dans le contexte que vit le Mali.
Mais même si le Ministre s’est fondé sur des textes pour délivrer ladite autorisation, notamment sur la loi du n°01-078 du 18 juillet 2001, modifiée, portant sur le contrôle des drogues et des précurseurs, cette même loi a été violée sous plusieurs aspects par la décision qui prétend se fonder sur elle.
En effet, cette loi que vise l’autorisation, en son article 15, dispose : “L’autorisation indique les substances et préparations concernées par l’activité autorisée. Les quantités sur lesquelles l’activité pourra porter, le genre de comptabilité qui devra être tenu ainsi que toutes autres conditions que le bénéficiaire devra remplir et l’obligation qu’il devra respecter. Elle s’étend à toutes les opérations directement liées à l’activité autorisée”. Aussi bien l’autorisation que le cahier des charges y annexé ne respectent ces dispositions, complètement ignorées.
En plus, selon l’article 20 de la même loi, notamment celle n° n°01-078 du 18 juillet 2001, modifiée, portant sur le contrôle des drogues et des précurseurs, en dehors de l’autorisation valant licence d’exploitation, le ministre de la Sécurité et de la Protection civile devait délivrer une autre autorisation “d’utiliser en totalité ou en partie des établissements et des locaux dont dispose une entreprise privée autorisée ou une Entreprise d’Etat spécialement désignée pour la production, la fabrication, le commerce ou la distribution de gros, le commerce international, l’emploi des plantes, substances et préparations…après avis de la Commission nationale des stupéfiants.”
En délivrant l’autorisation de production de cannabis à une société privée, le ministre de la Sécurité et de la Protection civile ne s’est jamais soumis à cette disposition. Il en résulte que cette deuxième décision n’a pas été prise et le cahier des charges n’a pas aussi pris en charge cette question.
En outre – et plus grave ! – l’article 22 de la même loi précise que l’autorisation d’utilisation des locaux au titulaire de l’autorisation “est subordonnée à la vérification que les établissements locaux qui seront utilisés en totalité ou en partie sont en conformité avec les normes de sécurité déterminées par un arrêté conjoint des ministres chargés de la Santé publique, de la Sécurité et de l’Habitat”. Ce qui n’a pas été le cas puisqu’il n’y a pas eu cet arrêté qui fait intervenir conjointement les trois ministères désignés. Dans ces conditions, le Dr Yaya Coulibaly, directeur national de la Pharmacie et du Médicament qui a signé le cahier des charges, sans la précaution de l’application de cette disposition qui engage son ministère, a commis une faute grave.
Par ailleurs, l’article 23 de la même loi fait obligation, en son alinéa 2, de préciser sur l’autorisation les mesures sécuritaires auxquelles chaque établissement ou local sera soumis, ainsi que la personne physique ou morale qui sera responsable de leur application. Cette mesure légale a été aussi ignorée par la décision d’autorisation de production de cannabis et par le cahier des charges.
Nous nous en arrêtons-là, pour avoir déjà trop dit sur les manquements, disons les entorses à la loi qui entourent l’autorisation de culture de cannabis à des fins médicales délivrée par le général Salif Traoré en tant que ministre de la Sécurité et de la protection civile.
D’autres griefs existent au vu de la Convention unique des Nations unies sur les stupéfiants de 1961, modifiée par le Protocole de 1972 portant amendement de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961. En effet, l’autorisation de culture de cannabis signée par le général Salif Traoré, viole, à bien des égards, des dispositions de cette Convention à laquelle le Mali a adhéré au détour de la loi n°95-044 du 12 juin 1995.
A.B. NIANG