À Bamako (Mali), le Père Bernard Verspieren a créé un centre de rééducation pour venir en aide aux victimes de mines, qui sont de plus en plus nombreuses.
Abdou Maïga (*) claudique à peine. Aujourd’hui, on vient de me donner un pied » , s’enthousiasme ce militaire d’une quarantaine d’années en retroussant son pantalon beige. Une prothèse apparaît.
Un jour de 2017, alors que son unité patrouille dans les environs de Gao, ville du nord du Mali meurtrie par près d’une décennie de guerre, son véhicule heurte une mine. Je me suis évanoui et à mon réveil, mon pied gauche avait été amputé, mes frères d’armes étaient morts » , explique-t-il.
Des béquilles pendant quatre ans
C’est après quatre ans à se déplacer à l’aide de béquilles qu’il entend parler du centre d’orthopédie et de kinésithérapie du Père Bernard Verspieren. Au cœur de Bamako, ses équipes s’affairent à donner un nouvel élan aux victimes d’engins explosifs improvisés (EEI), des mines artisanales qu’utilisent les djihadistes liés à Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) ou à l’État islamique au grand Sahara (EIGS).
Si la moitié des patients sont des militaires, les civils ne sont pas en reste. En septembre 2016, Lassina Camara, commerçant de Gao, quitte sa ville en bus pour aller se réapprovisionner dans la capitale. Il a suffi d’un simple écart de route pour que l’autocar, bondé, explose. Sur l’instant, j’aurai préféré mourir plutôt que d’être amputé, se rappelle le jeune homme de 25 ans, mais les médecins m’ont vite fait comprendre que mon pied était irrécupérable » .
Aider à revenir à la vie active
Pour pallier le handicap, tant physique que psychologique, le centre Bernard Verspieren propose un parcours de soins complet afin d’aider les victimes à se réintégrer dans la vie active. Ici vous avez la salle de rééducation bien sûr, là, le psychologue, là-bas, le médecin ou encore la salle de confection des prothèses , explique, au pas de course, Gaël Le Guilloux, directeur d’exploitation de la structure.
Depuis le début du programme en juin 2020, trente-cinq prothèses ont été distribuées à ceux qui ont vu leur destin basculer du jour au lendemain. Avec la guerre, il y a eu une nette augmentation des personnes blessées par des EEI » , constate le professeur Abdou Touré, traumatologue à la retraite qui soutient bénévolement le centre, et malheureusement, beaucoup de ces personnes restent blessées au nord car la route est désormais dangereuse » , regrette-t-il.
170 incidents liés à des engins explosifs
Face aux moyens déployés par les armées régulières comme la France au sein de l’opération Barkhane, les djihadistes maliens privilégient les mines artisanales pour piéger leurs ennemis. Selon le service action antimine des Nations Unies (UNMAS), 170 incidents liés à l’explosion d’un EEI ont été répertoriés en 2020, faisant 286 blessés et 76 morts. Une statistique en forte hausse sur les six premiers mois de l’année 2021, pendant lesquels 54 personnes ont trouvé la mort et 184 ont été blessés.
Derrière les vitres du centre, le sergent Oumar Coulibaly hèle l’équipe qui lui a fourni sa prothèse en 2012. Il est l’un des premiers soldats à avoir été blessé par une mine, une mine antichar » , précise-t-il, et il fait aujourd’hui la liaison entre les victimes et le centre Père Bernard Verspieren. Mon souhait est aujourd’hui de créer une association, afin que tous les blessés puissent se retrouver ensemble » , explique-t-il. Dans les mois à venir, il l’espère.
Source: https://www.ouest-france.fr/